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Sport sur ordonnance : les regards se tournent vers Strasbourg

Mangez, bougez ! Depuis 2012 on peut bouger en faisant du sport sur ordonnance médicale à Strasbourg  et l’initiative va être étendue à l’échelle nationale. Comment ça marche, qui paye, et d’ailleurs comment en est-on arrivé à « ordonner » à des malades de bouger ?

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Sport sur ordonnance : les regards se tournent vers Strasbourg

Un séance de gymnastique au gymnase de la Robertsau
Un séance de gymnastique à la Robertsau (Photo Rue89 Strasbourg / MG)

Lors du vote la loi sur la santé, l’Assemblée nationale a introduit un amendement déposé par la députée (PS) Valérie Fourneyron qui reprend une initiative existant à Strasbourg depuis 2012 : de l’activité physique sur ordonnance pour les malades atteints de certaines pathologies chroniques. Depuis, Strasbourg est devenue la ville star et le sujet a été repris par des médias nationaux, à la télé et dans la presse écrite.

Et bientôt la prescription de légumes ?

La justification médicale du programme découle d’une série de travaux menés depuis les années 1980 80 en particulier par le professeur Jean-François Toussaint  sur la prévention sanitaire et à travers le Programme national d’activités physiques ou sportives (PNAPS)  . L’Organisations Mondiale de la Santé (OMS)  va jusqu’à recommander 5 heures d’activité physique par semaine, même s’il ne s’agit que de marcher pour faire ses courses ou monter les escaliers au travail.

L’idée de prescrire du sport sur ordonnance paraît donc aller de soi. Certaines personnes vont même jusqu’à parler de « bibliothérapie» avec à la clé la possibilité de lecture sur ordonnance, et en Belgique, par exemple, les salariés qui se rendent à leur travail à vélo bénéficient d’une prime de déplacement. En France, à l’issue du vote de l’amendement à l’Assemblée, le député (PS) Jean-Louis Touraine s’est d’ailleurs demandé si on en arriverait un jour à prescrire –et donc envisager un remboursement public- la consommation de fruits et légumes ou de l’eau minérale.

Le docteur Alexandre Feltz, adjoint au maire de Strasbourg en charge de la santé, veut avant tout rappeler que l’activité physique est efficace et que ce n’est pas la sécurité sociale qui finance le dispositif :

« Ce n’est pas la Sécu qui paie. Ce sont des agences de l’Etat sur le territoire comme la Direction régionale de la jeunesse et des sports, l’Agence régionale de santé, et bien sûr la Ville qui font fonctionner le programme. Franchement, l’utilité de l’activité physique n’est plus à démontrer mais en France on croit encore que le sport est dangereux et nous sommes d’ailleurs le seul pays d’Europe à exiger un certificat médical pour pratiquer un sport. C’est le monde à l’envers : ce qu’il faudrait c’est un certificat médical pour les sédentaires ! Notre société est hyper sédentaire à cause du travail tertiaire, des transports motorisés et des loisirs électroniques, mais en dehors des « bobos » peu de gens font du sport. Rendez-vous compte que 70% des malades du programme sport-santé ne savaient pas nager ou faire du vélo avant ».

Tous à Velhop (Photo: ELaemmel/Eurometropole)
Tous à Velhop (Photo: E. Laemmel/Eurometropole)

« Je cumule les pathologies alors je cumule aussi les activités physiques »

Tous les mercredis soirs au Gymnase de la Concorde à la Robertsau, Nelly, Gabriele et Sylvie font partie du programme sport-santé et font une séance de gymnastique avec une dizaine d’autres personnes. Nelly, une sexagénaire bavarde, vient à la gym depuis deux ans. Elle représente la malade-type du programme et elle est dithyrambique à son sujet:

« Je cumule les pathologies car je suis en surpoids et j’ai à la fois du diabète et de l’hypertension, alors suite à la prescription de mon médecin je cumule aussi les activités physiques : marche nordique, gymnastique, rameur et aqua gym. Je n’avais plus fait de sport depuis très longtemps, à l’époque où je me déplaçais encore à vélo, et sans cette initiative je ne ferais pas tout cela, surtout pour des raisons financières. Les deux premières années gratuites j’en ai bien profité et même si cette année je dois payer un peu, je vais continuer ».

Ses deux voisines acquiescent. Dans le cas de Sylvie, c’est un surpoids et une inactivité physique après une grossesse qui l’ont poussé à demander à son médecin de lui prescrire une pratique sportive adaptée à son cas. Le référent en charge du programme à la Ville l’a aiguillée vers la gym, une pratique douce pour ceux qui n’ont pas l’habitude de bouger. Et pour Sylvie aussi c’est l’argument financier qui a primé :

« Pour moi c’est simple, je n’ai pas d’argent à dépenser en équipement ou en abonnements, alors c’est ça ou rien ».

Nelly et Gabriele, à elles deux plus de deux années de sport-santé (Photo: Marc Gruuber)
Nelly et Gabriele, à elles deux plus de deux années de sport-santé (Photo Rue89 Strasbourg / MG)

De rares voix dissonantes

Si personne ou presque ne conteste les bienfaits de l’exercice physique comme prévention de pathologies chroniques, certains sont sceptiques sur le programme de Strasbourg. Parmi eux, le Dr Claude Bronner, médecin généraliste strasbourgeois et vice-président de la Fédération des médecins de France (FMF) :

« En tant que médecin je refuse de signer une charte et de faire des ordonnances qui vont faire que quelqu’un pourra utiliser un vélhop ou aller dans une salle de gym gratuitement. Dans ce cas on fait de l’action sociale, c’est un choix politique que je respecte mais ce n’est pas mon rôle de médecin. Moi je vois des malades, qu’ils soient riches ou pauvres, et je ne cautionne pas un système qui aboutit à ce que certains malades aient une gratuité que d’autres n’ont pas. Bien sûr que l’activité physique est bonne pour la santé et qu’elle est efficace pour les maladies chroniques, mais c’est le côté formel de ce programme qui me déplaît et j’y vois aussi un coup de pub de la municipalité ».

Encore un effort d’information auprès des étudiants en médecine

La Ville soigne en effet la communication auprès du public, mais paradoxalement elle pourrait encore s’améliorer là où elle est nécessaire, à savoir chez les étudiants en médecine qui d’ici quelques années pourront appliquer la loi fraîchement votée.

Louise (le prénom a été changé), finit sa spécialisation d’endocrinologue à la faculté de Strasbourg et elle regrette que les cours de la fac fassent l’impasse sur le programme sport-santé.

« Les étudiants en médecine ne sont pas sensibilisés au programme sport-santé car les enseignants suivent les consignes officielles de la Haute autorité de la santé (HAS), et comme la prescription de sport n’existe pas encore officiellement, personne ne nous en parle. On sait bien que le sport est un outil de prévention primaire et qu’il est bénéfique pour toute une série de maladies chroniques, mais il faudrait enseigner ça dès la fac pour que nous puissions le mettre en pratique ».

Le sport comme outil de politique sociale

En attendant son application à l’échelle nationale, le programme sport-santé fait ses preuves à Strasbourg depuis 2012 et la Ville assume le fait qu’il s’inscrit dans une démarche de réduction des inégalités sociales et territoriales de santé.

En janvier, les premiers résultats basés sur 158 patients ont montré que 20% n’avaient jamais fait de sport, d’où une mise à l’activité physique et/ou sportive, et que pour 40% d’entre eux cela leur a permis de reprendre une activité physique et/ou sportive qu’ils avaient interrompue. Une autre étude portant sur 65 malades a montré une perte de poids de 2kg en moyenne et une amélioration chez 7 patients parmi les 8 diabétiques dont on connaissait le marqueur sanguin auparavant.

Le profil des malades participants au programme (Source: Eurométropole)
Le profil des malades participants au programme (Source: Eurométropole)

Gilles Vieille-Marchiset est directeur de l’équipe de recherche « Sport et sciences sociales » de l’Université de Strasbourg. Il s’est intéressé de près au programme sport sur ordonnance et il en défend les aspects sociaux :

« Les pathologies chroniques touchent aussi une “population invisible”, une classe populaire qui croit que le sport c’est pour les autres. En particulier chez les femmes qui ont un travail peu valorisant, qui sont au chômage ou doivent s’occuper de leurs enfants, il y a peu d’activités sportives. Si l’on cumule cela avec la sédentarité et les stratégies marketing de l’industrie agro-alimentaire, il y a une perte totale de repères. Comme en France on est allé très loin dans la thérapie médicamenteuse, il est temps d’aller aussi loin dans les traitements non médicamenteux, surtout s’ils peuvent aider une catégorie de la population qui n’a jamais fait de sport de façon autonome ».

Cette tendance politique du sport-santé pose en effet la question de la sédentarisation et de la perte d’autonomie chez beaucoup de personnes. Il y a cinquante ans, qui aurait pensé que les autorités publiques doivent pousser les individus tout simplement à marcher ? C’est le cas à présent, et l’on peut même se demander si les ordonnances n’arrivent pas trop tard. Pourquoi attendre une pathologie chronique au lieu de faire de la prévention en amont, précisément avant que les pathologies ne se développent ?

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : Vous me ferez quarante pompes, prochaine prescription du médecin
Sur France Tv info: Le sport sur ordonnance voté par l’Assemblée nationale (Reportage de France 2 à Strasbourg)
Sur BFM TV : Sport sur ordonnance : comment ça marche


#alexandre feltz

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