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À Strasbourg, la nuit craint les verres piégés au GHB

Témoignages spontanés, souvenirs (ou oublis) intrigants et petits changements à l’initiative d’établissements nocturnes… La crainte de se trouver avec son verre piégé à son insu par du GHB et ses dérivés, difficilement détectables, a été réactivée de manière visible ces derniers mois à Strasbourg. Les urgences et la police n’ont pourtant observé aucune recrudescence dans le même temps.

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À Strasbourg, la nuit craint les verres piégés au GHB

« J’ai l’impression d’être passée à côté du pire. » Manon (les prénoms des témoins ont été modifiés) a la certitude d’avoir été droguée contre son gré pendant qu’elle était au Kalt, une boite de nuit strasbourgeoise. Le dimanche 23 septembre, elle se réveille dans un sale état : elle ne se souvient plus de sa soirée, elle est prise de nausées et tient à peine debout.

La jeune femme décrit les symptômes à un ami médecin. Il soupçonne une contamination au GHB, un acide connu sous le nom de « drogue du viol ». Alors elle fonce aux urgences grâce à un ami, présent à ses côtés. « Elle voulait une preuve tangible », se souvient celui qui a alerté Rue89 Strasbourg, comme deux autres habitants ces trois derniers mois, chose inhabituelle.

Suite à un mail d’un lecteur, Rue89 Strasbourg a recueilli les témoignages de plusieurs personnes convaincues d’avoir été droguées à leur insu. (Photo Abdesslam Mirdass)

La longue attente des résultats

Manon est restée près de huit heures aux urgences, sous perfusion. La jeune femme se souvient : « J’ai dû raconter mon histoire à une dizaine de personnes » Elle a attendu plus d’un mois pour recevoir ses analyses. Le résultat pour les benzodiazépines, molécules proches du GHB, est négatif. Mais la Strasbourgeoise reste inquiète : la drogue du viol ne se détecte que 12 heures après consommation grâce à un test urinaire. Aux urgences, Manon a donné son sang et elle craint que le délai de détection n’ait été dépassé… Avec l’aide de la direction du Kalt, un ami de Manon a visionné les extraits de vidéosurveillance : sans plus de succès.

D’autres personnes interrogées ont vécu des expériences similaires à Strasbourg depuis l’été. Une soirée sans excès dans un bar du centre-ville et puis « c’était comme si j’avais sniffé du triclo (dégraissant ultrarapide, ndlr) ou bu une bouteille de whisky en 10 minutes », raconte Romain. Pour ce quadragénaire, le week-end de la Toussaint est fait d’un « trou noir » et de « deux jours au lit avec un énorme mal de crâne. » Il soupçonne le fameux GHB avant d’être convaincu par un ami : « J’ai appris plus tard que cinq autres personnes étaient aussi victimes de ça le même week-end. »

Début novembre encore, Krutenau toujours, Julie fête l’anniversaire d’un ami. Elle arrive tard, vers 23h et boit deux verres de rosé et une moitié de gin tonic au cours de la soirée. La jeune femme de 23 ans s’est réveillée sans aucun souvenir de la majeure partie de sa soirée au Living. Elle se rappelle encore d’une tournée offerte par deux inconnus, à son arrivée. Le lendemain, l’étudiante se sent « hyper mal. J’avais trop mal au ventre et envie de vomir, c’était horrible j’avais l’impression qu’il y avait des travaux dans ma tête. » L’étudiante n’a pas eu la force de se rendre aux urgences ni au commissariat un lendemain de soirée. Comme deux amies à ses côtés ce soir-là, elle est convaincue d’avoir été droguée à son insu :

« Je ne me souviens plus du tout de ce que j’ai fait dans la boite mais nos amis nous ont dit qu’ils nous avaient jamais vu comme ça. On était excitées vraiment et c’était pas possible que ce soit lié à l’alcool avec deux verres. Je sais comment je suis quand j’ai bu, et là j’avais pas assez bu. « 

La police et les urgences ne détectent rien d’anormal

Au commissariat de police de Strasbourg, le chargé de communication est étonné de notre demande. « S’il y avait un phénomène au sujet du GHB, nous aurions déjà appelé à la vigilance. » Du côté de l’association Ithaque, spécialisée dans la réduction des risques liés à la consommation de drogue, c’est le même étonnement :

« Le problème apparent, aujourd’hui, c’est plutôt la banalisation de l’ecstasy et sa consommations sur tout un week-end. »

« Nous n’avons noté aucun cas récent de contamination au GHB », affirme le responsable des urgences strasbourgeoises. Mais le Pr Pascal Bilbault tempère son propos :

« Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de verres piégés à Strasbourg. Les tests de GHB ne font pas partie de notre routine. Les analyses sont réalisées quand quelqu’un s’est retrouvé dénudé à un endroit sans savoir pourquoi ou à la demande de la police. »

GHB : de l’euphorie à l’amnésie

Les symptômes décrits par le professeur Bilbault correspondent bien aux témoignages recueillis :

« Dans le GHB, ce qui domine c’est surtout le sentiment d’euphorie après la prise puis l’amnésie totale le lendemain. Lorsqu’on a bu un coup, on se réveille et on se souvient quand même de ce qu’on a fait. Avec le GHB, les personnes ne se souviennent de rien. »

L’Elastic Bar prend le phénomène au sérieux. Les employés incitent les fêtards à laisser leur verre derrière leur bar lorsqu’ils sortent pour fumer. Une barmaid, Aurélie Garcia, a lancé l’alerte après avoir, en quelques semaines, rencontré quatre clients convaincus d’avoir été drogués au GHB :

« L’une d’elle s’est réveillée dans un couloir qu’elle ne connaissait pas, sa veste était cassée et elle avait des cheveux en moins. Mais elle ne m’a pas dit si quelque chose lui était arrivée… Quand t’es barmaid, les gens se confient à toi mais il y a des limites. »

« Une paranoïa s’installe »

L’incompréhension règne sur le sujet. D’autant qu’aucun témoin ne fait état de tentative de viol ou de vol. Il manque donc un mobile pour les piégeurs présumés de verres. « Forcément, il y a une paranoïa qui s’installe », lâche Aurélie Garcia.

Face à un phénomène difficile à recouper, les habitués du monde de la nuit appellent tous à la vigilance. Au Kalt, une petite pancarte a été récemment accrochée derrière le bar. Elle incite sobrement le clubber à faire attention à son verre. L’établissement a envisagé d’acheter des couvercles pour les verres, ou de pailles dont la couleur change en présence de GHB. Des mesures bien intentionnées, mais peu efficaces selon Arnaud Aubron. Dans « Drogues Stores : dictionnaire rock, historique et politique des drogues », paru en 2012, l’ancien journaliste notait :

« Comme toute bonne panique irrationnelle, la peur du GHB créa elle-même un marché rentable, chaque nouveau gadget comme le « verre anti-GHB » ou le détecteur optique de GHB étant salué comme une avancée. (…) Mais, malgré ce branle-bas de combat, le fléau demeura imaginaire. Moins de dix cas avérés ces cinq dernières années (en ndlr). »

Mais les mauvais souvenirs ou l’appréhension sont, eux, bien réels et alimentent les discussions.


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