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Au studio de Srebnicki, on perpétue la tradition de la photographie de famille depuis 100 ans

Au centre-ville de Strasbourg, la famille de Srebnicki tire le portrait des Strasbourgeois dans le même studio depuis 1918. Pascale, héritière de la tradition familiale, continue cette mission malgré l’irruption du numérique et des portables.

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« Laissez-vous sourire ! Oui, c’est bien comme ça ! » Pascale de Srebnicki, appareil photo en main, guide un couple et ses deux enfants qui veulent un album de famille. Bien campée sur ses appuis et équipée de son objectif 70-200 mm, la dame aux lunettes et à l’air affable enchaîne les prises de vue : « enlevez cette main, rapprochez-vous du visage du bébé, faites-lui un bisou sur la joue… » On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie, c’est le cas.

Le studio est un des seuls commerces du coin à se targuer d’une telle longévité Photo : DL / Rue89 Strasbourg

Cent ans de photos en plein centre de Strasbourg

Le studio de Srebnicki est installé dans le passage de la Pomme-de-pin depuis 1918. « Il a été fondé par mon grand-père Willy et repris par mon père Jean, qui y a officié jusqu’en 1992, au-delà de ses 70 ans », explique Pascale, qui elle-même avoue continuer « pour le plaisir du job ».

Pascale de Srebnicki, troisième génération de photographes… Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg / cc

Les années passent, les commerces du couloir qui relie la place Kléber à la place des Étudiants changent, mais l’enseigne « Photo d’art », écrit avec une police des années 60, est toujours là. Pour accéder au studio, il faut entrer dans le passage, sonner et prendre l’ascenseur jusqu’au 4e étage.

On croit alors entrer dans un appartement du début du XXe siècle, fait de parquets et de murs blancs. Des portraits au mur, polychromes ou noir et blanc, rappellent qu’il s’agit d’un studio photo. Dans un coin à droite, un espace pour les photos d’identité, avec lampes et softboxes (des spots avec des carrés de tissus pour adoucir). Et puis, en face, le grand studio.

Le tabouret attend les clients prêts à se faire immortaliser Photo : DL / Rue89 Strasbourg

Ce jour-là, Audrey et Guillaume (les prénoms ont été changés), leur nourrisson de deux mois et leur grand de deux ans, viennent pour un portrait d’art de leur petite famille. C’est Audrey, qui faisait des portraits de famille quand elle était petite, qui a insité :

« Aujourd’hui, on fait plein de photos amateures mais on n’a pas de belles photos de nous quatre. C’est quand même autre chose de faire des clichés professionnels, pas des photos de smartphones avec des filtres… »

« Je ne suis pas épicier, je suis artiste »

Pascale confirme qu’il y a un « retour en force du portrait, une demande en hausse depuis quelques temps ». C’est que le studio a vu passer toute l’histoire de la photo en ses lieux. Tout au long du XXe siècle, les Strasbourgeois venaient se faire immortaliser, acheter des pellicules ou y faire développer leurs photos. « Et puis les chaînes sont arrivées et ont bradé les prix », se rappelle la portraitiste. Son père décide d’arrêter la vente au grand public. « Il disait : “je ne suis pas épicier, je suis artiste” », sourit Pascale.

Elle le rejoint dès son adolescence : « On habitait dans l’immeuble, donc le studio, c’était ma cour de récré. Je venais donner un coup de main pendant les vacances scolaires ». Elle finit par l’accompagner sur ses « shootings » à l’Orangerie, où les jeunes mariés se pressent encore pour immortaliser leurs tenues. « Je faisais les mises au point sur boîtier et mon père n’était pas tendre. Il me disait « ça, c’est pas bon », etc. » Elle apprend en faisant, devient une employée du studio, puis le reprend à son compte en 1992.

Une pro des portraits de famille

Assez vite, son compagnon, Maurice, la rejoint. Au tournant des années 2000, avec le déploiement des appareils photos numériques, le portrait en studio « peut-être perçu comme désuet » mais l’équipe de Srebnicki continue de « bien travailler ».

Peut-être parce que sa longévité lui confère un statut « d’institution » chez les familles strasbourgeoises, elle constate qu’on fait appel à elle notamment pour les mariages :

« L’habillage de la mariée se passe chez les parents, je m’immisce dans leur intérieur. J’y vois souvent des portraits avec notre signature, faits par mon père ou mon grand-père… J’ai des clients que j’ai photographié nourrissons, puis ados, jeunes mariés et dans l’attente de leur premier enfant ! »

Aujourd’hui, ses portraits de couples, d’enfants, de femmes enceintes ornent les murs du grand salon… Entre le solennel et la joie, dans l’ombre ou en pleine lumière, ils veillent sur chaque néophyte qui découvre ici les fonds blancs et gris, les accessoires, « escaliers » ou tabourets. Des jouets pour enfants sont disponibles à côté du canapé où Guillaume s’installe avec son bébé quand c’est le tour d’Audrey ou de leur grand de prendre la pose.

La petite famille s’est octroyée une séance photo en sortant du travail (et de la crèche). Audrey avait l’habitude de faire cela, petite. Photo : DL / Rue89 Strasbourg

La famille s’exécute avec plaisir, le nourrisson est magnétisé par le bal des accessoires presque automatique. Avec un drap sur la table, on aura une belle photo du nourrisson avec sa maman. Sur l’escalier, le papa dialogue avec son bébé pour le faire sourire. Pascale adapte un peu les lumières, change de fond de temps en temps. Un certain calme règne, entrecoupé par les flashs et les bruits de l’obturateur. Les quelques fenêtres donnent sur une cour d’où ne s’échappe aucun des bruits de la ville. Dans la pénombre du studio, on se sent ailleurs.

« Les enfants peuvent être prenants », concède Pascale. Elle se rappelle de bambins qui avaient dessiné au feutre sur ses toiles de fond, alors que l’idée était qu’ils décorent le ventre de leur maman enceinte.

Il y a aussi ces personnes seules, qui se sont vus offrir un bon cadeau, ou qui la sollicitent pour un portrait « corporate » ou personel. Le matin même, elle a travaillé avec un commerçant du marché Broglie dont elle avait fait la bannière mais qui souhaitait maintenant son instantané personnel, pour le plaisir : 

« La plupart du temps, ce sont des gens qui n’ont jamais pris la pose, qui ne se trouvent pas beaux. Il n’y a rien de plus valorisant que de mettre une personne lambda en confiance et qu’à la fin, elle nous dise “Je n’ai jamais eu d’aussi belles photos.” C’est pour ça que je fais ce métier ».

Le cadeau empoisonné du numérique

Depuis le début de leur aventure, les de Srebnicki couvrent les cérémonies de mariages. Mais Pascale a senti l’influence de la photographie numérique dans cet univers, accompagnée d’une exigence grandissante des clients : 

« Un photographe de mariage doit tout immortaliser, on ne peut rien rater. D’ailleurs, on s’y rend à deux maintenant. Résultat, on revient avec 2 500 voire 3 000 photos ! Avant, en argentique, on en prenait 300 et ça allait très bien. »

Elle pointe que le numérique permet de choisir l’expression parfaite, le détail qui fait tout, mais alerte :

« Le boulot de post-production est énorme. Avant, on envoyait sa pellicule au labo avec, certes, une petite boule au ventre. Aujourd’hui, on passe un temps fou à retoucher les clichés sur l’ordinateur, car il y aurait toujours quelque chose à améliorer. Alors, quand s’arrêter ? »

Pascale a senti le bouleversement du numérique, et, avant cela, l’arrivée des chaînes sur le marché de la pellicule Photo : DL / Rue89 Strasbourg

Après avoir pris plus d’une centaine d’instantanés de la petite famille, Pascale estime qu’elle n’aura pas assez de photos exploitables de leur grand garçon et propose une séance supplémentaire. Il y aura aussi un rendez-vous pour regarder la sélection sur place car « envoyées, elles sont compressées et de moins bonne qualité », explique Pascale.

Ici, une séance de portrait d’une heure ou 1h30 débute à 195 euros, ça peut aller au-delà « selon la finalité : coffret d’art, album-livre, créations murales, etc. ». Mais Pascale propose aussi des « mini-shootings » de 20 minutes à 65 ou 125 euros.

Dans la pénombre de la pièce principale, on se sent dans un ailleurs. Photo : DL / Rue89 Strasbourg

L’ère des photos biométriques

Nombreux sont les clients à découvrir le studio à travers la photo d’identité pour des papiers officiels, une activité qui a pris beaucoup de place chez de Srebnicki ces dernières années :

« Tous les jours, des gens viennent pour être sûrs de repartir avec une photo conforme et parce que ça n’a quand même rien à voir avec un photomaton ! »

Ce n’est pas la partie du métier qu’elle préfère, mais elle met le même soin du détail pour une photo de passeport que pour un tirage qui trônera dans un salon familial.

À force, Pascale est devenue incollable sur les normes biométriques des passeports de toutes les couleurs, et certifiée pour les cartes de résidents et les permis de conduire. Si un fond blanc est exigé, ainsi que les mêmes normes biométriques pour les bébés et pour les adultes, c’est l’Espagne. Un couple arrive justement ce jour pour immortaliser leur bambin. Dans un dialogue ibérique, la mère essaye d’attirer son attention, pendant que son père le tient. Le bébé joue le jeu et Maurice compose la parfaite photo d’identité en deux temps, trois mouvements.

Tout ce qu’elle fait, la partie préférée de son métier, c’est la rencontre, « ce qu’on peut apporter aux gens ». Après plus de 40 ans de carrière, elle analyse :

« La photo peut s’apprendre, il y a de très bons techniciens, mais soit vous avez une sensibilité, soit vous ne l’avez pas. »


#photographie

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