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Communiste libertaire, Yann a été gardé à vue 46 heures et perquisitionné pour des tags

Manifestant aux côtés des professeurs, Yann a été interpellé jeudi 15 janvier. Poursuivi pour deux tags, il a passé près de 48 heures en garde à vue. Son domicile a été perquisitionné. Il est interdit de manifester jusqu’au 1er mars, date de son audience devant le tribunal correctionnel.

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Communiste libertaire, Yann a été gardé à vue 46 heures et perquisitionné pour des tags

« Dans cette histoire, le mot le plus important c’est la disproportion. » Yann a 24 ans. Étudiant en première année de master de sociologie, il a manifesté aux côtés du personnel de l’Éducation Nationale dans l’après-midi du jeudi 13 janvier. En fin de manifestation, l’ancien surveillant dans un lycée strasbourgeois est interpellé suite à un contrôle d’identité.

Pour deux tags, Yann a passé près de 48 heures en garde à vue, avec perquisition du domicile et mesure de privation de liberté jusqu’au 1er mars 2022, date de son audience au tribunal correctionnel de Strasbourg. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Les policiers le soupçonnent d’avoir tagué « ACAB (All Cops Are Bastards, tous les flics sont des bâtards) » et « Mort à Blanquer (du nom du ministre de l’Éducation Nationale) pendant cette manifestation, ce qu’il nie. Il est menotté, emmené à l’hôtel de police et placé en garde à vue. Il ne sera libéré que 46 heures plus tard, après une perquisition à son domicile et un déferrement devant le Parquet, qui le poursuit pour « dégradation ou détérioration légère de bien destiné à l’utilité ou la décoration publique par inscription d’un signe ou d’un dessin », « menace de mort ou d’atteinte aux biens dangereuse à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique » et « refus de se soumettre au prélèvement biologique. » En outre, l’étudiant est interdit de manifestation sur le territoire alsacien jusqu’au 1er mars, date de son audience devant le tribunal correctionnel.

« Ma présomption d’innocence était niée dès le départ »

Yann raconte cette histoire depuis son salon. Au deuxième étage d’une tour à quelques pas du parc Citadelle, l’étudiant strasbourgeois perd parfois le fil de ces deux journées éprouvantes. Tout commence dans une fourgonnette de police, qui fonce toutes sirènes hurlantes vers l’hôtel de police, « genre je suis un dangereux criminel », ironise le jeune militant qui se définit comme « communiste libertaire ». Puis il y a ces longues heures dans une cellule du sous-sol du commissariat. Suite à une première audition où Yann refuse de répondre aux questions des policiers, l’étudiant est réveillé à 3 heures du matin. Ses empreintes sont relevées et le jeune homme est photographié. Il refuse ensuite le prélèvement génétique : « pour moi ce prélèvement est autoritaire et injustifié pour une histoire de tags », explique-t-il.

La lumière blafarde du néon dans le couloir l’empêche de dormir du jeudi 13 au vendredi 14 janvier. Il fait froid. Dans la geôle, un plaid est souillé « de merde et de sang ». Et puis il y a le stress : « J’avais l’impression que ma présomption d’innocence était niée dès le départ. »

Garde à vue prolongée et perquisition

La matinée du vendredi 14 janvier commence avec un petit-déjeuner sommaire, « deux biscuits et un jus d’orange ». Par la suite, un officier de police judiciaire (OPJ) se rend dans la cellule de Yann pour lui indiquer que sa garde à vue est prolongée, signe qu’un magistrat du Parquet considère qu’il risque une condamnation supérieure ou égale à un an de prison. Le fonctionnaire de police lui laisse aussi entendre qu’il pourrait bien passer son week-end à la maison d’arrêt de l’Elsau, avant de passer en comparution immédiate au tribunal correctionnel de Strasbourg. « Ses intimidations ont fini par me faire peur, mais je n’ai pas craqué, » dit l’étudiant.

La garde à vue se poursuit avec une perquisition dans l’après-midi du vendredi 14 janvier. Après un énième repas fait de « boulgours secs et de ratatouille dégueulasse », Yann est à nouveau menotté, direction son domicile. Il croise ses voisins en arrivant avec cinq policiers. « Ils ont pris des photos de ma bibliothèque, de mes dessins qui sont pour certains engagés. Sur l’étagère, un policier a vu plusieurs ouvrages d’inspiration communiste et libertaire. Il a pris le livre “Face à la police, face à la justice : guide d’autodéfense juridique” en ricanant : “Ça va vous servir !”. »

« Ce type de dégradations devrait donner lieu à une contravention »

Lors d’une dernière audition au commissariat, Yann voit la carte mémoire de son téléphone fouillée par l’OPJ. Ce dernier fait défiler des photos de vacances, de famille, d’amis. Le policier écoute quelques chansons, notamment des Quatre Barbus, un groupe des années 60 qui a interprété des chansons anarchistes. Yann a gardé le silence.

Avocate de Yann, Me Sendegul Aras, s’étonne de l’évantail des poursuites à l’égard de son client :

« S’agissant de tags, j’ai défendu quelques manifestants, qui ont été cités ensuite devant le Tribunal par une simple convocation d’officier de police judiciaire (COPJ). Ce type de dégradations était sanctionné jadis par une contravention. Concernant le refus de prélèvement ADN, une condamnation me semblerait disproportionnée si l’on s’en réfère à l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui a estimé, le 22 juin 2017, que la France ne peut engager des poursuites si les faits reprochés s’inscrivent dans un contexte politique ou syndicale sauf à porter une atteinte disproportionnée à la vie privée du prévenu. »

Contacté, le Parquet n’a pas souhaité répondre à nos questions.


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