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Liberté de la presse : « Cachez ces violences policières que je ne saurais voir »

Le gouvernement envisage l’interdiction de diffusion d’images ou de vidéos des forces de l’ordre, dans le cadre du projet de loi de « sécurité globale ». La loi est en cours d’examen au Parlement. Il s’agit d’un pas de plus à rebours de la démocratie et d’une nouvelle entrave au travail des journalistes.

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Liberté de la presse : « Cachez ces violences policières que je ne saurais voir »

Plusieurs médias indépendants – dont Rue89 Strasbourg – ont signé une tribune dénonçant le caractère liberticide de la loi de « Sécurité globale », présentée par le gouvernement.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, lorsque Jean-Jacques Bourdin l’interroge sur la proposition de loi (PPL) « Sécurité Globale », résume ainsi la position du gouvernement :

« J’avais fait une promesse, qui était celle de ne plus pouvoir diffuser les images des policiers et des gendarmes sur les réseaux sociaux. Cette promesse sera tenue puisque la loi prévoira l’interdiction de la diffusion de ces images. »

Ce texte, les députés LREM sont pressés de le faire passer. Sans doute craignent-ils une levée de boucliers légitime pour défendre la démocratie. Sinon comment pourrait-on expliquer que cette loi fasse l’objet d’une procédure accélérée ? Quelle urgence, en plein confinement, justifie cette attaque contre une liberté de chaque citoyen français ?

Déjà, en février, Mediapart révélait que Christophe Castaner, à l’époque encore ministre de l’Intérieur, envisageait de « contrôler la diffusion de vidéos montrant les violences policières« , reprenant ainsi les revendications des syndicats de police les plus liberticides. L’information avait déjà fait à l’époque bondir les défenseurs des libertés publiques. Le ministre de l’Intérieur avait alors nié étudier une telle loi, affirmation pourtant démentie quelques heures après par ses propres services.

Cet article de loi résulte directement du lobbying de syndicat policiers, qui ne supportent pas d’être scrutés par les citoyens pendant l’exercice de leurs missions (Photo archives Rue89 Strasbourg)

« Il en va du droit d’informer et d’être informé »

Quelques semaines après, en mai, c’était au tour des députés LR, Éric Ciotti en tête, de ressortir cette idée du placard. Sans succès. Mais cette fois-ci, derrière cette nouvelle attaque contre les libertés fondamentales, les députés LREM, dont Christophe Castaner et Jean-Michel Fauvergue, deux ténors de la majorité présidentielle.

L’article 24 du projet de loi prévoit « un an d’emprisonnement et une amende de 45 000€ » pour sanctionner la « diffusion du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de police dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique. »

« Les dérives possibles des policiers sont inquiétantes »

Nous, journalistes en devenir, professionnels de l’information, syndicats de journalistes représentatifs de la profession, associations de défense des droits humains, avocats et usagers des médias, tenons à alerter l’opinion publique sur de telles menaces.

Il en va de la liberté de la presse et, plus largement, du droit d’informer et d’être informé. En effet, un flou persiste sur cette notion « d’intention de nuire à l’intégrité physique et psychique. » Cette partie de la loi vise sans doute à tenter de rassurer, mais nous sommes nombreux à ne pas être dupes. Toutes les personnes qui ont déjà filmé les forces de l’ordre le savent : ces dernières s’y opposent régulièrement, souvent violemment, à la captation de leur image. Agressions, intimidations, garde à vue, destruction du matériel : les exemples ne manquent pas, les victimes sont nombreuses.

Pourtant, à ce jour, aucune loi particulière ne donne raison à de tels agissements : les forces de police et de gendarmerie n’ont pas de droit à l’image particulier lors des manifestations. Mais ne soyons pas naïfs, cette nouvelle disposition ne pourra que rendre l’opposition de la police encore plus systématique, plus violente, peu importe le sens souhaité par le législateur. Les dérives possibles avec un tel arsenal juridique sont inquiétantes. On connaît la puissance d’instrumentalisation et de lobbying des syndicats de police.

Si cette loi passe, qui peut affirmer que ces derniers n’exigeront pas des réseaux sociaux, la censure de toutes images d’abus policiers ? Un tel scénario est d’autant plus à craindre que la loi française rend ces plateformes responsables des images « manifestement illicites » qu’elles ne censureraient pas après signalement.

« Nous, journalistes de terrain, documentons les abus »

Nous le savons tous : Facebook , YouTube et Twitter n’iront pas jusqu’au procès, ils préfèreront supprimer toutes images désignées comme potentiellement sensibles. Vidéos de violences policières comprises, bien évidemment. Or, sans ces vidéos, la réalité des abus policiers resterait trop souvent invisibilisée, niée dans son existence même. Trop souvent, elle l’a été dans les quartiers populaires d’abord, puis dans les cortèges des Gilets jaunes ou dans les différents lieux d’expression politique. Ce sont nous, journalistes de terrain, associations de défense des droits et observateurs réguliers de la police, qui les documentons et participons à les visibiliser, via nos enregistrements, diffusés sur les réseaux sociaux et les médias traditionnels.

« Les violences policières existent, nos images les attestent »

Les violences policières existent, nos images les attestent, les rendent réelles aux yeux de l’opinion. Ce alors même que les autorités françaises nient leur existence et persistent, une nouvelle fois, à vouloir invisibiliser. C’est ce contre-pouvoir, nécessaire en démocratie, que le gouvernement et sa majorité parlementaire souhaitent enlever aux citoyens, aux journalistes encore soucieux de dénoncer ce qui ne va pas dans nos sociétés.

La police doit agir sous la surveillance des citoyens. Même devant les smartphones ou les caméras, si le public le juge nécessaire pour notre démocratie. Sans ces outils, sans celles et ceux qui les braquent, combien de violences policières auraient été passées sous silence ? Bien souvent ces vidéos, qu’elles soient le fait de journalistes, de citoyens ou directement des victimes des abus policiers, peuvent aussi constituer des éléments de preuve pour la justice, comme pour la mort de Cédric Chouviat ou d’Aboubakar Fofana.

Sans ces vidéos, qui aurait entendu parler de Geneviève Legay, militante pacifiste de 73 ans, gravement blessée à la tête dans une charge policière d’une violence inouïe ? Qui aurait entendu parler d’Alexandre Benalla si un journaliste n’avait pas identifié cette personne et diffusé son image sur les réseaux sociaux ?

« L’accès à une information indépendante rendue plus difficile »

Aujourd’hui, la priorité du gouvernement n’est pas de résoudre le problème du lien entre la police et le citoyen, mais de s’attaquer à la diffusion du message, en condamnant journaliste, manifestant ou habitant des quartiers populaires. Leur politique ? « Cachez ces violences policières que je ne saurais voir ». Ne nous leurrons pas, ce projet de loi s’inscrit dans un contexte pré-électoral où la majorité présidentielle court après les quelques voix sensibles aux arguments sécuritaires. En accédant aux demandes de certains syndicats de police, le pouvoir souhaite rendre toujours plus difficile l’accès à une information indépendante donc dérangeante, sur le travail de la police.

Mais, devons-nous rappeler que la force publique, au service de tous, doit être observable en tout temps, par toutes et tous ? Dans un État démocratique respectueux du droit international et de la liberté d’informer, ce serait inutile. Inutile de rappeler au pouvoir, la nécessité de maintenir coûte que coûte ce droit comme le répètent l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de réunion et d’association ou encore la Fédération européenne des journalistes (FEJ) et le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), dans le « Code de la liberté de la presse pour la police. »

Filmer la force publique dans l’espace public est un droit

Alors que les manifestations et leurs observateurs sont de plus en plus réprimés, nous nous inquiétons de voir le gouvernement céder à ce point aux sirènes liberticides lorsque celui-ci aurait dû se tenir au chevet des 2 000 manifestants blessés en 2019. Notons également que plus de 200 journalistes ont été empêchés de travailler, blessés ou mis en garde à vue, depuis novembre 2018, lors d’opérations de maintien de l’ordre en France.

Filmer les agissements et les comportements des agents des forces de l’ordre, dans leur action, doit rester un droit ! Il en va de la liberté de la presse, de la liberté de manifester, de notre démocratie.

Liste des signataires

Pour consulter la liste complète sur le site d’origine.

Organisations : Syndicat national des journalistes (SNJ) ; SNJ-CGT, syndicat national de journalistes de la CGT ; ACRIMED, association de critique des médias ; Ligue des droits de l’Homme ; Malik Salemkour, président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ; Pierre-Antoine Cazau, Observateur, président de la section de Bordeaux LDH ;  Attac France ; Raphaël Pradeau, Aurélie Trouvé et Maxime Combes, portes-parole d’Attac France ; Peuple Révolté, Collectif de Convergence des Luttes ; Fondation Copernic.

Les personnalités universitaires et en dehors du journalisme : Larrere Mathilde, historienne ; De Cock Laurence, historienne et enseignante ; Ludivine Bantigny, historienne ; Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS ;  Silyane Larcher, chercheure au CNRS, Lévrier Alexis, MCF, historien de la presse ; Gilles J. Guglielmi, Professeur de droit public ; Pouget Grégoire, président de l’association Nothing2Hide ; Vergiat Marie-Christine, ancienne Eurodéputée ; Elliot Lepers, le Mouvement ; Smidt Chloe, observatrice des droits de l’homme ; Jérôme Graefe, juriste, observateur de l’Observatoire parisien des libertés publiques ; Avert Erik, universitaire ; Rain Simono, juriste.

Rédactions et collectifs de photographes / journalistes : Collectif REC, Reporters en Colère ; Kelaouiñ, collectif de journalistes pour la liberté d’informer en Bretagne ;  Collectif Presse-Papiers ;  Société Des Journalistes de LeMédia TV ;  La rédaction de Reporterre, La rédaction du journal Fakir ; La rédaction de Radio Parleur, le son de toutes les luttes ; La rédaction de La Meute, un média pour photographier le social ; La rédaction de Bastamag, média indépendant ; La rédaction de la Relève et la Peste ; Rapports de force ; Rue89Lyon ; Rue89 Strasbourg ; Rue89 Bordeaux ; Polka Magazine ; Collectif OEIL ; Tendance Floue, collectif de photographes ; Collectif Prism ; Primitivi, télévision de rue ; La Mule du Pape, média indépendant ; Collectif Gerda…


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