Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Vélos volés : trop facile !

Strasbourg, capitale de la bicyclette, tient une place de choix dans le vol de vélos. On parle de trafics mais en fait, les vols sont en majorité des actes d’opportunité et les prises destinées au marché local.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Il faut toujours attacher la roue et le cadre du vélo à un point fixe.

Il faut toujours attacher la roue et le cadre du vélo à un point fixe.
Il faut toujours attacher la roue et le cadre du vélo à un point fixe. (Photo Camil Tulcan / Flickr / cc)

À Strasbourg, le vol de vélo est un sport local. Aux vols désormais classiques : dans la rue ou directement dans les halls ou cours d’immeuble se rajoutent de nouvelles pratiques comme le « bikejacking » qui consiste à sauter sur le vélo dès que le propriétaire a le dos tourné ou pire, à attendre le cycliste au feu rouge dans une camionnette, embarquer le vélo et demander 50€ au propriétaire pour récupérer la monture. Rares, ces derniers types de larcins ne sont pas représentatifs de ceux qui rythment les vols de vélo dans la capitale européenne.

Selon les Dernières Nouvelles d’Alsace, il y aurait en moyenne 1 200 déclarations de vols de vélos par an à Strasbourg. Sur ce chiffre, seulement 50 sont restitués à leurs propriétaires et 200 se retrouvent à la fourrière à vélos de la Police nationale. Frédéric Héran, ex-Strasbourgeois maître de conférences en économie, spécialiste de la bicyclette et auteur du seul rapport français sur le vol de vélo connu à ce jour, relativise ce chiffre :

« Environ la moitié des vélos volés ne sont pas déclarés,  il y aurait donc, pour Strasbourg entre 2 000 et 3 000 engins évanouis dans la nature par an. »

L’antivol attire le voleur

La clé contre le vol de vélo : c’est la qualité de l’antivol. L’étude du spécialiste du vélo montre que sur les personnes interrogées, 67% n’avaient qu’un antivol très peu fiable :

« Depuis l’étude parue en 2003, je crois que les gens ont appris à faire plus attention au vol, en se munissant d’antivols plus sérieux. La plupart des gens font un mauvais calcul : ils pensent que ce sont les vélos qui attirent le voleur, alors qu’au contraire, c’est le type d’antivol qui est regardé ! Acheter un vélo de piètre qualité ne dissuade pas. Ce qu’il faut, c’est un antivol en acier cémenté d’au moins 1 kg et il faut compter 50 euros au minimum. Le meilleur produit : l’Abus Granit X Plus 54 160 HBIl. Essayez de tirer un peu fort sur un cadenas qui vaut 10-15 euros : il tombera en deux minutes ! »

Pour s’y retrouver et faire le bon choix, la FUB, Fédération des Usagers de la Bicyclette, installée à Strasbourg, publie chaque année un tableau comparatif des antivols. Pourtant, aucun antivol n’est réellement fiable : tous peuvent être forcés. Il suffit de taper quelques mots-clés sur YouTube pour tomber sur des vidéos où professionnels et amateurs cassent tous types de cadenas en quelques secondes.

Stéphane, qui s’est fait voler sa moto pourtant protégée par un gros antivol, s’est longuement renseigné sur la question :

« Ce que les constructeurs vendent, ce sont juste des retardateurs de vol. Et ils le savent : lorsque j’ai retrouvé mon antivol, pourtant considéré comme très résistant, forcé, je me suis plaint au constructeur, qui m’en a envoyé un nouveau sur le champ, sans me demander plus d’explications que ça. Ils savent bien que leurs antivols ne sont pas invulnérables. »

Si quelqu’un tient absolument à forcer votre cadenas, il y arrivera. Sauf que la plupart des voleurs vont choisir la facilité et donc viser des antivols simples à casser. Arnaud, ex-voleur de bicyclettes dans sa jeunesse, raconte qu’il n’a jamais utilisé d’outils pour faire tomber les antivols :

« J’ai commencé à voler des vélos vers 15-16 ans. Le tout premier que j’ai pris n’était pas attaché. C’était tellement facile que j’ai fini par en voler aussi avec antivol. Je n’ai jamais utilisé d’outils, il suffit de choisir les vélos qui ont des cadenas de basse qualité, du genre scoubidou, d’exercer une pression à l’aide d’un objet droit en métal et l’antivol saute. Je ne suis jamais non plus entré dans un immeuble pour faire ça. Les vélos que j’ai pris ont toujours servi à mon usage personnel. C’était juste pour rentrer chez moi. Généralement je prenais le tram jusqu’à la Robertsau et je piquais un vélo près de la station pour terminer ma route. Je n’avais pas d’endroits favoris pour opérer : je faisais le calcul le plus pratique selon mes trajets. Comme je ne revendais pas, je voulais juste un vélo qui roule, rien de plus. »

Les beaux vélos ne sont pas spécialement ciblés

Beaucoup d’utilisateurs croient que les modèles désuets ne font pas envie. Or, l’étude  montre que 35% des vélos avaient plus de cinq ans d’ancienneté et 28% étaient des vélos achetés d’occasion. Cette idée s’est créée sur le mythe des gangs de voleurs qui revendent leurs prises. Or, la majorité des voleurs agissent seuls et ne font pas dans la revente.

Frédéric Héran, notre spécialiste, les appelle les « emprunteurs », ces délinquants qui s’en emparent le temps d’un trajet et qui l’abandonnent arrivés à destination. À Strasbourg, certains vélos se retrouvent dans l’Ill après utilisation :

« Voler un vélo ne rapporte pas beaucoup d’argent, et qu’en plus cela demande beaucoup de temps et de moyens : il faut le voler grâce à des outils, l’entreposer dans un espace sûr et le revendre en prenant des risques. Ce n’est pas une filière intéressante pour celui qui veut se faire de l’argent, voler des portables rapporte plus ! Pour le vélo moyen de ville qui vaut entre 200€ et 300€, c’est très rare de trouver des bandes organisées qui s’occupent des vols. Il y a les « emprunteurs » ou des adolescents qui, pour épater les copains, vont voler un vélo pour faire un tour. Dans les deux cas, ils abandonnent généralement le vélo une fois leur route achevée. Il m’est arrivé de me faire voler un vélo : je l’ai retrouvé, abandonné, en arpentant immédiatement les rues de mon quartier. »

Arnaud, lui, n’abandonnait pas ses prises, du moins pas intentionnellement :

« Je pouvais avoir jusqu’à dix vélos chez moi : les beaux que j’avais achetés et les moins bien que j’avais volés. J’utilisais les vélos volés quand je me rendais dans des endroits à risque où il était possible que l’on me vole. À vrai dire, je me suis fais voler autant de vélos que j’en ai volé ! C’est un cercle sans fin. »

La moitié des vols se déroulent dans des lieux privés

Une autre légende circule dans notre capitale française du vélo : l’on aurait plus de chances de se le faire voler s’il dort dehors. Faux. Les cyclistes qui rangent leurs bicyclettes dans leur cours ou même les montent sur le pas de leur porte font souvent l’erreur de ne pas l’attacher. Frédéric Héran explique :

« Il faut toujours attacher son vélo, même le temps d’une minute pour aller acheter son pain ou regarder les horaires du cinéma. Chez soi, il faut le cadenasser à un point fixe, même dans son garage. La moitié des vols se passent dans des lieux privés ! Il est bien plus discret de crocheter la serrure du garage que celle de l’antivol d’un vélo attaché dans une rue… Dans mon immeuble, j’ai installé des anneaux comme ceux autrefois utilisés pour accrocher la longe des chevaux : ils nous servent de point fixe et on n’a pas eu un seul vol depuis huit ans ! »

« Avec le vélo, on n’a pas le droit à l’erreur. »

S’il est un moyen de locomotion avec lequel il faut être vigilant, selon Guy de Citizen Bike c’est bien le vélo :

« Le vol est le résultat de l’erreur humaine : une voiture laissée portière ouverte ne sera pas forcément volée pendant la nuit alors qu’avec le vélo on n’a pas le droit à l’erreur. »

Effectivement, la plupart des vols s’opèrent sur des vélos mal ou pas attachés. Dans le groupe de personnes de l’étude de Frédéric Héran, 23% des vélos volés n’étaient pas du tout attachés et parmi les personnes qui avaient cadenassés leur biclou, seuls 40% sont sûrs de l’avoir attachés à un point fixe.

Jean, étudiant à Strasbourg, raconte l’erreur qu’il ne risque pas d’oublier :

« J’étais un peu éméché quand j’ai cadenassé mon vélo au centre-ville le soir de la Saint-Patrick. Je n’ai pas du tout réalisé que j’avais uniquement attaché le cadre à un poteau d’une hauteur d’un mètre… Pas étonnant qu’il ait disparu. »

Le vol de pièces, moins grave mais tout de même embêtant

Le vol ou l’échange de pièces de vélo est monnaie courante en ville. Souvent d’ailleurs, ceux qui se sont fait voler eux-même une selle ou une roue, s’y mettent par simple vengeance. Encore une fois, c’est la facilité des prises qui est décriée par les professionnels de la bicyclette. Le co-gérant de Citizen Bike le dit clairement :

« Il ne faut pas croire qu’il y a des collectionneurs de selles de vélo à Strasbourg, c’est juste que c’est facile d’en enlever une. »

Geoffroy Weibel, président pendant trois ans de l’association Bretz’selle, révèle une astuce :

« Vous pouvez mettre des autocollants un peu partout sur le vélo, ça dissuadera les voleurs qui veulent prendre une belle pièce. »

Rue89 Strasbourg propose de superbes autocollants avec notre logo, s’il vous en faut quelques uns, il suffit de passer nous voir !

 Sans marquage, aucune garantie sur la provenance du vélo

Les lieux de revente, bourses aux vélos ou magasins spécialisés doivent tous tenir un registre qui indique d’où viennent les vélos qu’ils achètent. Tous doivent demander aux vendeurs de justifier leur identité. Sylvain Gassmann de l’association Re-cycle sort son répertoire bleu à chaque achat :

« On m’en a déjà proposé mais nous n’acceptons pas les vélos volés. Tout est répertorié dans notre “registre d’objet mobilier” grâce auquel nous gardons l’identité des personnes. »

Mais ce fameux registre, que tous les revendeurs de vélos d’occasions ont, n’est pas gage d’un vélo « propre » car l’identité de la personne ne garantit rien. Au mieux, cela permet de retrouver le coupable si le volé reconnaît son vélo. Il est impossible de justifier de la provenance d’une monture, tant le marché d’occasion est développé à Strasbourg. Sur le site de petites annonces Le Bon Coin, on peut trouver facilement plusieurs annonces de vélos publiées par une même personne. Ainsi, au moment d’écrire ces lignes, un même vendeur proposait cinq vélos à 45€ chacun… Rencontré, l’intéressé dément évidemment qu’il s’agisse de vélos volés et indique des bourses de vélos pour leur provenance.

Un voleur risque gros – jusqu’à 3 ans de prison et et 45 000€ d’amende -, s’il tente de vendre l’engin à une boutique. Vincent Schoesser, gérant d’Esprit Cycles, raconte :

« On fait très attention à la provenance des vélos d’occasion que nous revendons. Nous demandons systématiquement au vendeur de justifier son identité et nous consultons les registres de la police. Et quand ça paraît louche, on ne prend pas. Il nous est arrivé une fois de vendre par erreur un vélo qui avait été volé. Heureusement, le vrai propriétaire était un de nos clients, et a reconnu son vélo en boutique. Nous avons donc communiqué l’identité du voleur à la police qui l’a convoqué. »

Le bouche à oreille, plus efficace que la police ?

En 2013, 200 vélos ont été retrouvés par les services de police et, grâce au site  vélos-trouvés et au marquage, 50 ont été remis à leur propriétaire. La cause du peu de restitutions viendrait d’un nombre trop faible des déclarations de vols. Chez Bretz’selle, les membres se serrent les coudes en cas de vol. Geoffroy Weibel, président de l’association durant trois ans raconte comment la vigilance des membres permet de résoudre certains vols :

« Lorsque le vélo d’un membre de l’association se fait voler, on fait passer des photos avec une description du vélo. Nous sommes 1 300 membres, ça en fait des yeux pour être attentifs ! On en a déjà récupéré une dizaine grâce à l’association ! »

L’autre moyen pour retrouver son engin disparu, c’est Internet. Scruter les sites de vente d’occasions, passer des annonces sur les forums et réseaux sociaux devient un réflexe pour retrouver sa monture. Caroline s’est fait voler son vélo dans son garage, le seul week-end où la grille de l’immeuble avait cessé de fonctionner :

« J’étais très énervée, d’autant plus qu’il y a un côté violation de son chez-soi. J’ai tenté le tout pour le tout en lançant un appel sur la toile et tout est allé très vite : le vélo avait été volé le samedi dans la nuit, j’ai informé mes amis Facebook avec une photo du dit vélo, et le lundi matin je recevais le coup de fil d’une amie. Elle me disait avoir mon vélo devant les yeux, sur le palier de l’un de ses voisins d’immeuble ! J’ai immédiatement rappliqué, j’ai repris mon vélo et ai confronté mes voleurs. Ce n’était pas des mauvais bougres, juste des jeunes de 17 ans un peu écervelés qui s’étaient fait entraîner par de mauvaises fréquentations. Ils se sentaient minables d’avoir été pris la main dans le sac. Je leurs ai demandé d’écrire une lettre d’excuse sans faute d’orthographe. C’était écrit à l’encre sur une feuille à petits carreaux : ça faisait vraiment écolier, je ne pouvais pas vraiment leur en vouloir. »

Des solutions pour contrer le vol

Différentes solutions sont inventées pour prévenir le vol. Le vélo qui s’enroule autour des poteaux, mais aussi l’antivol bruyant, plus réaliste, qui pourra effrayer les personnes mal intentionnées. Pour  Sylvain Gassmann, le moyen le plus fiable pour ne pas perdre la trace de son vélo serait la puce GPS.

La Ville met à disposition des parcs à vélo, où les montures peuvent passer la nuit en sécurité. Le marquage, coûte 4 euros chez CADR67 permet de retrouver le propriétaire volé et peut être dissuasif. Dissuasif aussi, les deux cadenas, comme le montre cette vidéo.

 


#vélo

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options