« 5 000 euros de charges par an pour un F4 de 85 mètres carrés », s’exclame Raphaël Rodrigues, élu d’opposition lors du conseil municipal de Schiltigheim du mardi 1ᵉʳ avril. Dans la suite de sa question orale, il pointe l’insalubrité de certains logements et l’absence de réponse du bailleur social Alsace Habitat aux divers problèmes des locataires. « C’est scandaleux », s’exclame quelqu’un dans le public avant que la maire n’appelle au calme.
Aux élus et aux locataires d’Alsace Habitat qui se sont invités au conseil municipal, Danielle Dambach dit entendre la détresse de ses administrés et avoir déjà interpellé le bailleur de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA). Elle en appelle à Frédéric Bierry, président de la collectivité : « Je demande à la CeA de faire toute la lumière sur ces hausses de charges et de trouver de nouvelles solutions pour aider les locataires. »
Les prix de l’énergie pèsent durement sur les locataires d’Alsace Habitat
Installé rue de la Moselle à Schiltigheim, Adrien et Johanna Elter témoignent du choc quand, fin 2023, ils reçoivent leur décompte de charges. Alsace Habitat réclame au couple en situation de handicap près de mille euros. « Ça n’était jamais arrivé depuis 12 ans que je suis dans l’appartement, ils nous ont dit que c’était à cause de l’augmentation des prix de l’énergie », explique le trentenaire. Ils parviennent à régler la facture en puisant dans leur épargne, mais Johanna Elter témoigne d’une dégradation de leurs conditions de vie :
« On ne chauffe plus l’appartement sauf quand on reçoit du monde, on minute le temps sous la douche, on a changé nos opérateurs téléphoniques et internet et il m’arrive même de sauter le repas du midi. »
Début 2024, des locataires d’Alsace Habitat se réunissent en deux collectifs. Le bailleur social finit par proposer un fonds de solidarité de 430 000€, permettant des remises de 100 à 600€ pour 2 500 locataires. « Ce n’était pas suffisant, mais c’était déjà ça », témoigne Miloud Bellahcene, président d’un collectif de « locataires en colère » d’Alsace Habitat. Au printemps, la situation semble s’apaiser après une rencontre entre des habitants et l’équipe dirigeante du bailleur social :
« On a pu dialoguer et ils nous ont dit que cette hausse des charges était exceptionnelle, que tout rentrerait dans l’ordre. On est sorti satisfaits de la rencontre. »
Des factures de 1 300€ à 2 500€ en 2024
Pourtant, quelques mois plus tard, c’est une nouvelle douche froide qui attend les locataires. « Les décomptes de charges ont quasiment doublé », explique Miloud Bellahcene. De 800€ en 2023, son rappel de charges est passé à 1 380€ en 2024. Une somme dont il ne peut s’acquitter :
« J’ai beau travailler, je ne sais pas comment je vais régler cette somme. Le bailleur m’a proposé d’échelonner les paiements, mais même sur 10 mois, je ne vais pas arriver à la payer. »
Locataire d’un appartement dans le quartier du Marais, Christian Bircea, lui, n’avait déjà pas pu régulariser ses charges en 2023. Ce sont donc 800€ qui s’ajoutent aux 1 600€ qu’il devait déjà à son bailleur.
« Je ne peux plus travailler parce que je suis diabétique et je n’ai que 1 320 euros de ressources. Chaque mois, il ne me reste 150€ pour manger, comment je fais ? C’est une honte, je vis comme un clochard. »
L’ancien militaire peut toutefois compter sur l’aide de ses amis pour améliorer un peu l’ordinaire, mais se sent désespéré face à une situation qu’il juge sans issue :
« Avant, la fin d’année, c’était pour les fêtes, les cadeaux et la famille. Maintenant avec Alsace Habitat, la fin d’année, c’est juste les charges. Il n’y a plus de fêtes ni de cadeaux, seulement le stress. »
Alsace Habitat exclut toute mesure exceptionnelle
Pour Miloud Bellahcene, la colère est grande à Schiltigheim, où se situe une part importante du parc d’Alsace Habitat, d’autant plus que le bailleur n’a pour l’heure répondu à aucune des alertes du collectif. « Nous n’avons eu aucun retour d’Alsace Habitat. On s’est rapproché des agents mais ils nous ont renvoyé vers le Centre communal d’action sociale. » Le président du collectif y a déposé un dossier d’aide exceptionnelle, mais il estime que ce n’est pas à la commune d’aider les locataires à éponger leurs dettes.
Il espère que suite à leur action lors du conseil municipal, Danielle Dambach fera pression sur Frédéric Bierry, lequel fera pression sur le bailleur social contrôlé par la Collectivité d’Alsace :
« On souhaite que les charges soient prises en charge par la Collectivité d’Alsace, parce que derrière ce sont des familles qui n’y arrivent plus. La CeA en a les moyens, ils ont donné un million d’euros pour de la neige artificielle. L’humain, c’est quand même plus important. »
Dans une interview accordée à France 3 Alsace, Étienne Wolff, président d’Alsace Habitat, exclut la possibilité de prendre des mesures exceptionnelles et de mettre en place un nouveau fonds de solidarité. Pour lui, « les gens doivent comprendre que le coût de l’énergie, ce n’est pas du ressort d’Alsace Habitat. »
Également maire de Brumath, Étienne Wolff avertit qu’il ne voit pas les charges locatives baisser dans les prochaines années. Une réponse « indigne d’un président de bailleur social » juge Miloud Bellahcene, « il aurait pu parler avec nous directement. Là, il n’est pas à la hauteur et il ne nous respecte pas. » L’ancien militaire Christian Bircea est plus direct :
« Il y a des familles qui sont ruinées et qui n’y arrivent plus, mais il nous dit que ce n’est pas son problème. »
Une situation à risque
Christian Bircea estime sa situation désespérée, dangereuse même. « Je ne sais pas comment on va s’en sortir, mais si cela continue, il y aura des drames. Des gens vont se jeter par la fenêtre de désespoir. » Miloud Bellahcene craint, lui, que la situation ne devienne explosive. « Lors du conseil municipal, on a réussi à canaliser la colère. Nous avons réussi à calmer les jeunes, mais c’était périlleux. » Il observe pourtant que la colère monte dans certains quartiers de Schiltigheim comme Les Écrivains, la question des charges venant s’ajouter à un fort sentiment d’abandon. « Les habitants n’y croient plus et si on laisse les choses se dégrader, ça va partir en émeute à la moindre occasion. »
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