C’est évidemment Melody Gardot qui focalisera toutes les attentions et suscitera les désirs les plus ardents des amateurs de jazz à voix en cette soirée d’ouverture du Strasbourg Jazz Festival le 2 juillet. On ne conteste pas à la chanteuse, pianiste, guitariste de Philadelphie son statut de jeune (27 ans) – mais déjà brillante et solide – étoile de la galaxie jazzy avec un répertoire forcément influencé par les illustres représentants de la note bleue (Billie Holiday, Bessie Smith, Miles Davis) mais qui intègre aussi – et c’est fort plaisant – musique folk, bossa nova, sonorités pop-rock et même babils de bébé.
Sa sensibilité, ce timbre félin doucement éraillé, cette apesanteur vocale élégante teintée d’un halo de mystère font assurément d’elle une grande dame, qui vit la musique en la remerciant sans cesse de ses bienfaits régénérateurs – à 19 ans, Melody Gardot subit un grave accident et la musicothérapie l’aide à se reconstruire, avec le résultat que l’on sait. Toujours pleinement au cœur de ses chansons, Melody, immanquablement, elle sonne.
Outre la tête d’affiche attendue, la sensation de cette première soirée s’appelle Keith B. Brown. Il voit le jour à Memphis, ses parents viennent du Mississippi : le jeune Keith devait donc s’inscrire dans la lignée du blues des champs de coton – le cinéaste Wim Wenders ne s’y était pas trompé quand, en 2003, il lui avait confié le rôle de Skip James dans Soul of a man. Et pourtant, Keith B. creuse un sillon country-folk et se promène avec aisance dans des contrées bien soul.
Herbie Hancock viendra électriser le public du PMC le mardi 3 juillet au soir, lui, la légende vivante du jazz au demi-siècle d’une carrière riche et dense, ex-compagnon de route de Miles Davis et surtout immense touche-à-tout talentueux toujours au faîte des innovations les plus ardues et les plus avant-gardistes. En 1983, son tube Rockit issu de l’album Future Shock rencontre un succès planétaire également récompensé par l’encore bien jeune chaîne de télé musicale MTV qui sacre ce clip :
Avant le piano, les claviers et, peut-être, ce légendaire et multigénérationnel Rockit, le trompettiste Ibrahim Maalouf distillera sa double culture libanaise et française. Un souffle orientalisant de Beyrouth et, plus largement, du monde arabe du Proche-Orient, ainsi que des sonorités plus rock, jazz-funk et électro, liées aux rencontres et multiples collaborations du trentenaire. A son actif, entre autres : Vincent Ségal, M, Arthur H, Sting, Vincent Delerm, Lhasa, Marcel Khalifé, Amadou & Mariam, Juliette Gréco, etc.
La soirée du 5 juillet débutera et s’achèvera (incontestablement trop tôt!) au son de La Nouvelle-Orléans avec deux pointures de Nola, à un peu plus de deux générations d’écart, ce qui prouve bien, s’il était besoin, la vitalité musicale de cette Big Easy qui n’a pas été ravagée que par Katrina.
Il y a tout d’abord la folie dévastatrice de l’inénarrable Dr John, le diable de New Orleans à l’éternelle canne vaudou, vieillard en apparence mais toujours animé d’une fougue de jouvenceau émerveillé par les plaisirs de la vie. Des plaisirs qu’il a goûtés, testés, éprouvés en cinquante ans de carrière, s’enfilant tout ce qui lui passait sous le nez et les yeux. Au final, ce camé de l’ère psyché (et bien après d’ailleurs) n’a pas si mal vieilli. Dr John tient bien la route. Et sa dernière collaboration en date avec le Black Keys Dan Auerbach sur l’album Locked Down lui a remis un joyeux coup de booster. Cure de jouvence pour Dr John, et sans speed ni acide s’il vous plaît !
L’autre souffle de La Nouvelle Orléans ce soir-ci viendra d’un talentueux « gamin » inspiré, entre autres, par Dr John et plus largement par l’esprit enchanteur de Nola. 26 ans au compteur pour Troy Andrews et un prix d’excellence en trombone qui contribua à le rebaptiser Trombone Shorty le mena à direction de la section cuivres de Lenny Kravitz lors d’une tournée mondiale en 2005. Excusez du peu ! Depuis, il a gagné en maturité, en aisance, en insolence scénique. Bref, Trombone groove. Avec du cœur et des tripes, en prenant son pied, dans un style musical bien pimenté inventé pour faire écrire et parler : le « supafunkrock ». Un son survitaminé – avec le groupe de Trombone Shorty, Orleans Avenue –, pour de vrai, For True. Tiens, c’est le titre de son nouvel album !
Pour refermer la 23è édition très relevée du Strasbourg Jazz Festival, cette petite question, après quatre soirées électrisantes : c’est groove, docteur ? Oui, stopper cet élan en si bon chemin peut sérieusement entamer le moral. Pour la route, autant profiter à fond de cette ultime soirée, le vendredi 6 juillet. Ouverture en fanfare avec Robert Randolph et sa formation, The Family Band :
Magistral ! Augmentons à présent la température de quelques degrés. Le surnom « Queen of soul » étant déjà justement attribué à la grande Aretha Franklin, comment alors qualifier Sharon Jones ? Avant de coiffer un jour la couronne de souveraine, donnons-lui le diadème de princesse… L’Américaine, lancée par le label new-yorkais Daptone en 2002, à l’âge de 46 ans, chantera avec ses exceptionnels Dap-Kings, le groupe résident de Daptone et formation avec laquelle elle fait des merveilles depuis plusieurs années. Avec une diva de ce niveau, l’esprit de la soul a encore de beaux jours devant lui tant ce son de l’âge d’or du genre est sublimé avec justesse et raffinement.
Y aller
Strasbourg Jazz Festival, du 2 au 6 juillet au Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg. A partir de 20h tous les soirs.
Lundi 2 juillet : Keith B. Brown et Melody Gardot
Mardi 3 juillet : Ibrahim Maalouf et Herbie Hancock
Jeudi 5 juillet : Dr John et Trombone Shorty & Orleans Avenue
Vendredi 6 juillet : Robert Randolph & The Family Band et Sharon Jones & The Dap Kings.
Programme complet et billetterie ici.
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