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Ni grève, ni manif : ces opposants à la réforme des retraites se mobilisent autrement

Manifester et faire grève n’est pas accessible à tous. Rencontre avec celles et ceux qui se mobilisent autrement contre la réforme des retraites lors d’un atelier confection de banderoles à la maison Mimir dimanche 29 janvier.

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Sous un ciel bleu et malgré des températures à engourdir les orteils, plus d’une trentaine de personnes se sont rassemblées dans la cour de la maison Mimir à Strasbourg, ce dimanche 29 janvier. Dans ce lieu autogéré en plein cœur de la Krutenau, ils sont venus peindre des banderoles et fabriquer des tambours en amont de la journée de contestation contre la réforme des retraites prévue mardi 31 janvier. Sur fond de musique balkanes, les opposants s’appliquent, les mains recouvertes de traces de peinture fraîche.

L’organisatrice de l’évènement aime les messages qui apparaissent aux fenêtres, « comme pendant le confinement ». Elle a donc ouvert les portes du lieu afin d’offrir d’autres moyens de se mobiliser. Pour certains, cet atelier en amont de la mobilisation compte beaucoup, car tous les participants n’iront pas battre le pavé pour s’opposer à la réforme des retraites.  

« La crainte d’être catégorisé gréviste »

Du côté de Léo (le prénom a été modifié), le problème, c’est sa période d’essai. Dans la pénombre d’une salle adjacente à la cour, le militant s’applique : sur un tissu encore monochrome, il entame la confection d’une banderole – « Il n’y a pas de travailleur magique en pleine forme à 64 ans », y lit-on, tracé au crayon de papier. « J’ai commencé un nouveau boulot récemment donc je ne vais pas tout de suite commencer à faire grève », précise-t-il.

Parmi les objets fabriqués dimanche après-midi, des tambours composés de cadres de bois et de scotch épais transparent. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

« Il y a toujours cette crainte d’être catégorisé comme le gréviste quand tu viens d’arriver », poursuit le trentenaire. Pour pouvoir manifester sans crainte de représailles de la part de son employeur, il a trouvé une technique : organiser son temps de travail pour commencer plus tôt, finir plus tôt et rejoindre la marche en cours. « Mais j’ai de la chance de pouvoir adapter mes horaires », estime-t-il. 

Une fois sa période d’essai achevée, il prévoit de se syndiquer pour allier conviction et salariat : « Ce n’est pas un tabou dans notre entreprise. Disons que j’évite juste de me mettre en grève cette fois-ci, par précaution », précise-t-il en reprenant son pinceau. En principe, un employeur privé n’a pas le droit de sanctionner, licencier ou discriminer un salarié gréviste.

Faire garder les enfants

Retour en plein air, au milieu des tubes de peinture multicolores et d’un pot de café en self service. C’est une autre difficulté que devra résoudre Lucie (le prénom a été modifié), 34 ans, d’ici mardi. La fonctionnaire au large sourire est accompagnée par son fils qui aide à peindre et fabriquer les tambours, virevoltant entre les adultes affairés. Elle trace en vert les lettres d’une large banderole qui fera partie du cortège d’Alternatiba Strasbourg.

Lucie compte bien se rendre à la manif. Mais pas ses fils. Pas question d’emmener les enfants dans le cortège, par précaution selon la trentenaire :

« On ne sait pas ce qui peut se passer, vu les violences policières pendant les Gilets jaunes. Je me dis que s’il y a un problème quelconque j’aime mieux qu’ils ne soient pas là ». 

Les militants d’Alternatiba Strasbourg ont travaillé à la banderole de tête qui mènera la partie écologiste du cortège. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Sans parent dans les alentours, Lucie n’a pas encore de solution pour les faire garder. La jeune femme compte sur ses amis ou sur son partenaire : « Au pire, il les gardera et j’irai marcher ».

Le couple n’a pas l’habitude de faire grève mais cette réforme des retraites, « c’est la goutte d’eau », estime-t-elle. « Je ne sais pas si j’y crois vraiment, ni si faire grève fera changer les choses. Mais si on n’embête pas le gouvernement, rien ne changera », assène-t-elle en réajustant son bonnet. 

Travailler pour donner aux caisses de grève

Alexandre (le prénom a été modifié) ne manifestera pas mardi. Capuche verte sur la tête et perceuse à la main, c’est lui qui assemble les cadres de bois pour confectionner les tambours. Confiant dans la réussite du mouvement social, il explique sa façon de soutenir l’opposition à la réforme des retraites :

« Je préfère travailler et donner mon salaire à une caisse de grève, dans les secteurs où c’est vraiment utile comme dans les lieux de production stratégiques : les zones névralgiques de la pétrochimie, le frêt SNCF, les ports… Comme ce qui a pu être fait en Angleterre. »

Pour Alexandre, « ce n’est pas au niveau des PME que ça se joue. Si moi j’arrête de travailler, ça ne change rien ». Pourtant, le militant de 26 ans en a fait des manif, « sous Hollande puis sous Macron », avant de se lasser face aux débats parlementaires écourtés par le recours à l’article 49.3 de la Constitution : 

« Je ne crois plus aux effets de masse d’une manifestation, ça ne mène à rien. Celle du 19 janvier était réussie et pourtant le gouvernement ne recule pas. On sait qu’il va falloir amplifier le mouvement. Et ça se passera sur les lieux de production. Les grévistes auront besoin de soutien matériel. »

Alexandre, 26 ans

Malgré tout, Alexandre comprend les gens qui ont décidé de se mettre en grève le 31 janvier. « Ça fait partie du folklore militant. C’est comme une démonstration de force », concède-t-il, avant de se remettre à l’atelier perceuse. 

« Manifester me demande parfois trop d’énergie »

C’est loin du bruit de la perceuse d’Alexandre qu’est assis Masha, sur un petit banc de pierre. Pour lui, manifester constitue parfois un effort insurmontable : « Je n’ai pas toujours assez d’énergie pour sortir dans la rue et être entouré de milliers de personnes ». Diagnostiqué autiste, il compose au jour le jour avec les activités qui lui sont accessibles, en fonction de ses capacités. Son moyen de prendre part à la mobilisation, c’est la confection de banderoles pendant cet atelier ou l’organisation d’évènements comme cette fête militante organisée la veille au Molodoï et dont les dons ont été « reversés à des collectifs en lutte et à des caisses de grève ».

Dès lundi, la maison Mimir arbore une banderole flambant neuve en soutient à la mobilisation contre la réforme des retraites. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

« Même si manifester m’est désagréable, j’ai toujours envie de faire quelque chose », poursuit l’étudiant en sociologie en se déplaçant encore un peu plus loin du bruit du rassemblement. Et se mobiliser contre la réforme des retraites fait partie des choses « indispensables » même s’il estime qu’il n’y aura jamais droit. « Je touche l’allocation aux adultes handicapés (AAH) donc je ne cotise pas », précise-t-il. « Mais politiquement c’est important, il s’agit des retraites pour cette fois mais l’AAH ou le RSA pourraient aussi être menacés », estime Masha.

« C’est une autre manière de manifester »

Aux grandes manifestations l’étudiant préfère les rassemblements en plus petit nombre. Militant au sein du Brif (Bloc révolutionnaire insurrectionnel féministe), il affectionne les actions plus discrètes comme se rassembler entre personnes queers dans des endroits, des bars ou des espaces publics, qui a priori ne s’y prêtent pas : « C’est une autre manière de se manifester, au sens premier du terme ».

Il est presque 17 heures à la Krutenau et les participants de l’atelier sont invités à finir leurs banderoles et tambours. Lucie et son fils s’en vont à vélo, Léo finalise sa banderole qui sera finalement bleue, blanche et rouge. Les créateurs de tambours fixent les derniers morceaux de scotch et testent leurs nouveaux instruments. Certains se disent à mardi, et d’autres, à bientôt.


#maison mimir

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