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Au procès des attentats : Foued Mohamed-Aggad « voulait tuer en vrai »

Devant la cour d’assises spéciale, l’ancienne petite amie de Foued Mohamed-Aggad, le terroriste alsacien du Bataclan, a décrit un jeune homme influençable pris dans une logique de ressentiment et de violence croissante.

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Au procès des attentats qui ont fait 130 morts et plus de 400 blessés à Paris le 13 novembre 2015, la cour d’assises spéciale poursuit les auditions des proches des terroristes. Après avoir entendu en visioconférence une sœur et une nièce des frères Clain, toutes deux incarcérées, c’est de Foued Mohamed-Aggad, le troisième terroriste du Bataclan né à Wissembourg, dont il a été question mercredi 15 décembre. 

La salle des pas perdus devant la Salle d’audience où se tient depuis septembre dernier le procès des attentats du 13 novembre 2015 Photo : SW – rue 89 Strasbourg

Repoussée à 14 heures, pour cause de grève des magistrats, l’audience devait d’abord permettre d’entendre la mère du djihadiste de Daesh, mais faute de temps, c’est son ancienne petite amie seule qui a finalement témoigné à la barre.

Longs cheveux noirs et pointe d’accent du Sud-Ouest la jeune femme aujourd’hui âgée de 29 ans a dressé le portrait d’une jeune homme en proie à des frustrations, miné par des échecs à répétition et une colère grandissante, qu’il faisait subir à elle et à sa famille, notamment ses sœurs. 

« Quand je l’ai connu à 16 ans, c’était une toute autre personne que celle à l’origine de ces actes », explique Kaltoum A. Questionnée, elle décrit pourtant par la suite un jeune homme qui plonge dans la vision radicale de l’islam, qui se greffe à des idées rétrogrades sur la place des femmes, et est souvent violent. 

2013 : départ en Syrie

Ils sont séparés lorsque fin 2013, Foued Mohamed-Aggad rejoint la Syrie avec neuf autres jeunes alsaciens. Le dernier contact qu’elle a avec lui, c’est début 2014 au téléphone : « il faisait croire que j’étais son épouse pour pouvoir m’appeler. » À ce moment là il lui décrit une vie de rêve : villa luxueuse, festins, et la reconnaissance, enfin :

« En parlant avec son frère Karim, j’ai appris que c’était faux. En fait, ils étaient 110 à habiter dans une maison et ils mangeaient du pain avec de l’huile. Foued me décrivait des villageois qui les applaudissaient. Karim me disait qu’ils étaient traités comme des larbins. »

« J’ai compris qu’il avait trouvé sa place, il s’était inventé un monde », ajoute-t-elle. De peur d’être inquiétée, accusée de complicité, elle décide alors de couper les ponts avec son ex-copain. Elle n’en entendra plus parler avant d’apprendre par les médias son implication dans les attentats du 13 novembre :

« Pour moi il allait mourir là-bas. Je ne savais pas qu’il avait dit que s’il revenait en France, c’était pour faire la guerre. »

Dans la vidéo diffusée en janvier 2016, et revendiquant les attentats par la voix des frères Clain. Fouad Mohamed-Aggad apparaît comme les autres kamikazes en train d’exécuter un otage, jalon d’un parcours sanglant qu’il suivra dans les rangs de Daech.

Kaltoum A. impute la décision du départ en Syrie à sa rencontre avec Mourad Farès lors d’une soirée de juillet 2013. Le recruteur identifié comme responsable du périple des Strasbourgeois et dont elle dit avoir entendu qu’il touchait 5 000 euros par jeune envoyé rejoindre les terres du djihad : 

« Mourad Farès lui a remonté le cerveau à lui, à son frère Karim et à leurs amis et les a convaincus de partir en Syrie. Foued n’arrivait pas à trouver sa voie en France. Il a essayé de m’emmener avec lui, j’ai dit non ! Il avait changé, je l’ai laissé partir et je me suis dit tant mieux, bon débarras. » 

Deux membres de l’équipée sont tués dans un affrontement entre groupes djihadistes quelques temps après leur arrivée fin 2013, puis 7 d’entre eux, rentrent en France en 2014 séparément. Pas Foued qui reste sur place. Ses compagnons de voyage seront arrêtés à leur retour en France puis jugés en 2016. Parmi eux Karim, frère ainé de Foued, condamné à 9 ans de prison en 2016, une peine confirmée en appel en 2017. 

Le palais de justice, sur l’île de la Cité. Photo : SW / Rue 89 Strasbourg / cc

Un petit ami violent

La jeune femme raconte qu’au début de leur histoire, Foued était un jeune homme joyeux, gentil, pas du tout religieux non plus. Puis il change. Elle quitte le domicile de ses parents à Castres pour s’installer à Toulouse où il emménage avec elle dans sa résidence étudiante. Aux questions de la cour, elle répond qu’il était cependant déjà d’une jalousie maladive, puis qu’il lui impose sa vision rigoriste du comportement qu’elle doit suivre, même avant d’avoir rencontré Mourad Farès. Sa source à l’époque semble être des vidéos sur Youtube qu’il regarde abondamment. Lors de l’instruction, elle a raconté des coups dans le dos, des gifles. Des gestes qu’elle a encore tendance à minimiser : 

« Il est  devenu impulsif et violent sans me porter réellement de gros coups, mais il arrivait à faire croire que c’était de ma faute, il m’a écarté de tout le monde. Ma seule faute : j’étais jeune, inconsciente et naïve. Il coupait mes talons, déchirait mes vêtements qu’il jugeait trop courts. »

Ce comportement s’aggrave après la rencontre avec le recruteur Mourad Farès. À bout, elle décide de rompre mais Foued Mohamed-Aggad la harcèle longtemps, il n’accepte pas que ce soit fini. Elle n’ose pas en parler aux membres de sa famille qui connaissent et apprécient le jeune homme, qui est tout autre en leur présence. 

Trouver sa place dans le djihad

Ce départ en Syrie a été un moyen pour lui de trouver sa place et d’être reconnu, analyse Kaltoum A. à plusieurs reprises. Le jeune homme de 23 ans avait échoué à rejoindre la gendarmerie et n’avait pu devenir agent de sécurité. Ses sœurs à qui il tentait d’imposer sa loi, étaient contentes de le voir partir de la maison, se souvient-elle. Foued avait interdit à sa sœur adolescente de se rendre à un concert de La Fouine. Son père, remarié, l’empêchait de voir sa demi-sœur.

La Toulousaine raconte avoir eu par la suite plusieurs coups de téléphone de la mère de Foued qui lui reprochait d’avoir rompu avec son fils : 

« Elle me disait : “tu vois la copine à Karim elle est restée avec lui et lui est revenu, toi tu aurais dû garder le contact avec mon fils”. Mais Foued personne n’en voulait, c’était un boulet même pour ses sœurs et moi j’aurais dû rester avec lui ? »

À une question d’un représentant de la cour qui lui demande de préciser selon elle, les raisons du départ en Syrie de Foued Mohamed-Aggad, elle balaie des motivations humanitaires et décrit un jeune homme engagé en toute conscience dans un parcours mortifère : 

« Il y allait pour tuer. Ce n’est pas le petit jeune qui joue à tuer devant sa playstation, lui voulait tuer en vrai, il se disait qu’il allait gagner et être le meilleur. »

Le 13 novembre 2015, armé d’une kalachnikov et ceint d’un gilet explosif, il pénètre au Bataclan, où avec ses deux complices, ils feront 90 morts. Après avoir pris en otage des spectateurs dans les étages de la salle de spectacle, Foued Mohamed-Aggad mourra, tué par l’explosion du gilet d’un autre djihadiste au moment de l’assaut par les policiers.


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