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Pour punir ses agents, le Département de Moselle met fin au télétravail

Depuis 2019, le Département de Moselle a voté plusieurs textes pour expérimenter et organiser le télétravail de ses agents, dont il tire des bilans positifs. Mais à la rentrée 2021, il prévoit de faire exactement l’inverse.

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« Lors des confinements nous étions à 100% en télétravail. Ma directrice faisait confiance à ses agents et le travail était fait. Je déposais mes enfants à l’école, puis j’étais à mon travail à 8h30. En me déplaçant au bureau, je ne peux pas être là avant 8h45. » Cadre au conseil départemental de Moselle (CD 57), David (prénom modifié) ne comprend pas que la direction des services exige un retour physique de tous les agents dans les bureaux dès le 1er septembre. Une décision subite prise moins d’un an après avoir exprimé le souhait inverse, celui d’être « pionnier » sur le télétravail organisé, et non subi comme lors des confinements.

David résume le sentiment général parmi les agents du CD 57 :

« Exiger qu’on revienne tous sur place, c’est comme dire qu’on n’aurait rien foutu pendant un an. On a fait un pas en avant sur le télétravail pour trois pas en arrière, je suis complètement blasé ».

Le 1er janvier 2019, la collectivité départementale s’était lancée dans une expérimentation sur le télétravail, avec 50 agents pendant un an. Les volontaires avaient reçu du matériel et devaient travailler à distance de 1 à 3 jours par semaine. « Les agents seront suivis mais ils ne feront pas l’objet d’un flicage permanent. Le but est vraiment de leur permettre de produire mieux », déclarait alors le directeur général des services, Marc Houver, au Républicain lorrain. Un an plus tard, cette expérimentation est saluée dans le rapport d’activité 2019 de l’institution. Les premiers retours permettent une « amélioration du bien-être, des conditions de travail » et actent « l’absence d’impact sur le collectif de travail », appuie le document. Au 1er janvier 2020, 120 volontaires supplémentaires rejoignent la démarche.

Une délibération gagnant-gagnant voté en septembre 2020

Quelques mois plus tard, la Covid-19 survient et avec la crise sanitaire, le confinement du pays. Le travail à distance est obligatoire pour environ la moitié des 3 000 agents de l’hôtel du Département à Metz. Satisfaits de cette généralisation un peu forcée de leur expérimentation, les élus de la collectivité locale ont voté le 17 septembre, à l’unanimité, une délibération pour généraliser le télétravail à compter du 1er janvier 2021. Quelques aménagements sont ajoutés, comme la possibilité de télétravailler pour raisons médicales ou lors d’événements exceptionnels comme les intempéries, grèves, canicules, ainsi que la création de « jours flottants » ponctuels. Les autorisations de télétravail sont réversibles à tout moment.

En dehors des agents des routes, des collèges, de l’accueil du public et des missions de contrôles, environ un millier des quelques 3 000 emplois du CD 57 sont « télétravaillables », au moins quelques jours par mois. La délibération vante une démarche « gagnant-gagnant » et s’appuie sur un bilan « très largement positif » qui « montre la capacité de notre administration à innover ». Pour la collectivité, les avantages listés sont pléthores : « un facteur d’attractivité », « compléter la politique handicap », « une réduction de l’empreinte carbone, » voire une « rationalisation du parc immobilier »…

Une enquête réalisée après le confinement auprès des salariés compile des chiffres favorables : 76% des agents ont vu un impact positif sur leur concentration. Seuls 5% estiment que l’impact a été négatif sur la qualité du travail. Du côté des encadrants, 44% expriment un impact « neutre » sur l’organisation du service et positif pour 42%. Les chiffres sont similaires en ce qui concerne la qualité (46% ont vu un impact positif et 46% un impact neutre).

Avant et après le confinement, le Département de Moselle trouvait le télétravail génial. Et puis… Photo : Microbiz Mag / Flickr / cc

Des agents demandeurs

Pour le personnel, cette généralisation est très attendue. Lors d’une enquête interne à laquelle 1 304 salariés ont répondu, 1 073 se disent intéressés. Un formulaire devait être mis en ligne pour que chacun se déclare. Mais durant la première moitié de l’année 2021, rien ne vient. L’approche des élections départementales en juin, mais surtout la situation sanitaire expliquent en partie cet attentisme. Le travail à distance contraint est encore la norme pour une grande partie des agents concernés.

Le mois de juin voit la vaccination se massifier et la situation épidémique s’améliorer. L’occasion d’enfin déployer le dispositif ? Au contraire, le 8 juin une note est transmise aux agents sur l’organisation des semaines à venir. Du 9 juin au 30 juin, le télétravail passe à trois jours maximum, puis deux jours en juillet-août et, à partir du 1er septembre, la note annonce un « retour au régime de droit commun », c’est-à-dire 100% en présentiel. Les encadrants sont « invités » à être présents « au-delà du cadre précisé ».

Le 15 juin, un mail de la direction des ressources humaines confirme que « l’ensemble des autorisations de télétravail prend fin au 30 juin ». Y compris pour les salariés qui ont participé à l’expérimentation. « Vous serez informé(e) ultérieurement de la réouverture de la campagne de déploiement du télétravail », indique le message, sans autre explication.

Pour David, c’est l’incompréhension :

« La délibération sur le télétravail a été votée à l’unanimité et on la défait avec une facilité déconcertante, sans aucune explication. Légalement, il faudrait a minima un vote similaire qui acte qu’on revient en arrière ».

Syndicats et salariés en quête d’explication

Du côté des syndicats, on n’explique pas davantage ce revirement soudain. Mais on le déplore. Une responsable du syndicat SNT de la CFE-CGC, qui requiert l’anonymat (minoritaire, le syndicat plutôt implanté chez les cadres n’a pas de délégué permanent) pointe les effets nocifs pour les agents et les recrutements :

« Pour affoler les gens, il n’y a rien de mieux que l’incertitude. On a laissé croire aux agents qu’il y aurait du télétravail, mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le choix que font la métropole de Metz, la Ville de Metz ou la Région Grand Est pour la rentrée. Le département de Moselle a investi pour déployer le Très haut débit, mais on ne s’en sert pas. Pour les agents, le télétravail est l’occasion de se concentrer chez soi sur des dossiers de fond, ce qui est plus difficile au bureau. Et puis c’est une hausse de rémunération indirecte qui ne coûte rien à la collectivité, car il y a moins de dépenses en transports. Les encadrants intermédiaires sont largement favorables au télétravail, ce sont les hauts dirigeants qui ont peur de se retrouver un peu seuls. »

Cathy Oasi, responsable du syndicat Sud, pointe plus directement le directeur général des services :

« La direction des ressources humaines, qui était partante pour appliquer le télétravail, nous a dit que le directeur général estime que le télétravail n’est pas du vrai travail. Nous avons interpellé le président, Patrick Weiten, mais nous ne l’avons pas revu depuis sa réélection le 1er juillet. Cette contradiction nous interpelle, car elle va à l’encontre de la charte signée par tous, les missions ont été accomplies et il y a justement eu beaucoup de souplesse pendant les périodes de confinements, avec des personnes qui préféraient venir sur site ou rester chez eux. »

Gilbert Chaumont, secrétaire général syndicat Force ouvrière (FO), majoritaire au sein de la collectivité mosellane, craint une désorganisation à la rentrée :

« On s’était félicité d’avoir été moteur sur l’instauration du télétravail et d’accords flexibles. Il y a de très nombreuses demandes, car les agents ont pris goût au télétravail avec les confinements. Ils aimeraient des réponses pour s’organiser pour la rentrée et l’année à venir, notamment pour les gardes d’enfants. Ce n’est pas impossible que l’on soit face à un petit excès d’autoritarisme de la direction et du président après la réélection : montrer qui est le patron, faire revenir tout le monde, avant d’avoir peut-être à nouveau de la souplesse au bout d’une semaine ou l’autre… Ce sont des logiques et une vision du travail un peu vieille école. Notre syndicat est d’accord pour revoir la charte de télétravail, car avant le Covid on tablait plutôt sur 600 agents et là il y aurait plus de 1 000 demandes. Mais ceux qui ont participé à l’expérimentation pourraient au moins rester en télétravail d’ici-là. »

Parmi les hypothèses pour expliquer le revirement de la direction, ce représentant du personnel soupçonne une passe d’armes au sujet de la revalorisation du régime indemnitaire, qui tarde à venir après des années de négociation. Le boycott d’une réunion en mai par trois des quatre organisations syndicales, car ce point avait été retiré de l’ordre du jour, a fait l’objet d’un article dans le Républicain lorrain qui a titré sur un « Malaise social » au Département. Le tout juste avant des élections départementales qui s’annonçaient serrées en Moselle. Membre du centre-droit, le président sortant Patrick Weiten (UDI) a finalement été réélu par ses pairs avec 28 voix, et comptait deux challengers de droite, Jean François (LR) et Jean-Luc Bohl (centre-droit) qui ont obtenu respectivement 19 et 6 voix au sein de l’assemblée. Ils ont tous les deux critiqué les méthodes de gouvernance de Patrick Weiten.

Face à cette situation enlisée, certains syndicats s’interrogent sur un recours au tribunal administratif pour « excès de pouvoir », si l’absence de mise en œuvre de la délibération votée devait perdurer.

Un accord national prévoit 3 jours par semaine

Contactés via le service de presse, ni le directeur général des services Marc Houver ni le président réélu Patrick Weiten n’ont jugé utile de répondre aux sollicitations de Rue89 Strasbourg, démontrant ainsi le même mépris que celui qu’ils ont opposé aux agents.

Convaincu ou non, le CD 57 va devoir se résoudre à instaurer le télétravail. Au début de l’été, un accord relatif à l’ensemble de la fonction publique (de l’État, des collectivités locales et hospitalières) a été signé par les neufs organisations syndicales et le gouvernement. À l’instar de la charte du département mosellan, cet accord prévoit un maximum de 3 jours par semaine, sauf cas spécifiques ou la réversibilité des autorisations. En cas de refus du télétravail, l’administration devra en justifier les raisons. Comme toutes les collectivités locales, le CD 57 a jusqu’au 31 décembre pour en décliner les modalités détaillées.


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