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À toutes les personnes concernées, nous enterrons Jacky

Jacky, un SDF de Strasbourg, a été tué samedi sur l’autoroute qui traverse Strasbourg. En attente d’un accompagnement contre sa démence depuis plus d’un an, il sera enterré jeudi 30 mars. Ses proches souhaitent que son décès n’alimente pas que les statistiques.

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Jacky (Photo David Kodat)

À toutes les personnes concernées,
À tous ceux et toutes celles qui connaissaient Jacky, personne à/de la rue, un « ancien » atteint de démence,
À tous ceux et toutes celles qui ont eu connaissance de sa mort violente le samedi 18 mars, c’était lui, « un piéton percuté« ,

Nous vous informons de l’enterrement de Jacky, qui aura lieu ce jeudi 30 mars à 10 heures à la chapelle de la Robertsau à Strasbourg. Jacky est décédé samedi 18 mars à la suite d’un accident, l’impliquant lui, le simple « piéton », marchant au bord de l’autoroute, et une voiture.

Jacky était une personne sans domicile fixe, l’un de ceux que l’on appelle les « anciens », et qui a vécu à la rue durant de trop nombreuses années. Ces derniers temps, il était manifestement de plus en plus affecté par des troubles de la mémoire. Il déambulait en ville tous les jours et la nuit également. Il n’était pas conscient du danger qu’il courait parfois. Ces derniers temps, il était hébergé en structure médico-sociale ouverte, c’est-à-dire libre de sortir quand il le voulait. Jusqu’à ce que cela lui soit fatal.

Ainsi, chacun et chacune d’entre nous, simples personnes l’ayant rencontré dans différents contextes, tenons à témoigner d’un événement qui ne doit pas rester dans le silence, qui ne doit pas rester anonyme et qui ne doit surtout pas se reproduire.

Jacky (Photo David Kodat)

Le destin de Jacky était bien celui d’un homme

Jacky semblait appartenir à la rue, et son destin, bien qu’il nous apparaissait incompréhensible voire absurde, était bel et bien celui d’un homme, d’une personne. Nous ignorons tout du parcours de cet Alsacien, de ses drames, de ses contradictions, mais l’implacable fatalité de sa mort nous paraît aussi être le symptôme d’une société, d’un ensemble qui ne tient plus guère compte de l’humain, de l’individu.

Bien sûr, le fait qu’il soit atteint d’une maladie de la mémoire et de troubles du comportement soulève des questions : était-il plus juste et plus respectueux de l’enfermer ? Nous ne prétendons pas apporter de solution. Ici, dans ces quelques mots, chacun et chacune témoigne anonymement d’une expérience avec lui, de ce qu’il le fait et le rend de nouveau humain, lui, le simple SDF déshumanisé faisant partie du décor, le « piéton ». Ici, nous faisons le choix de l’appeler Jacky et non Monsieur Heller car il suffisait de l’avoir rencontré une fois pour tisser un lien avec lui. Un lien fait de tendresse et d’amitié et non de pitié, car Jacky montrait une fierté hors du commun, savait s’imposer, et, en même temps, regardait les autres avec des yeux d’enfant, attentif mais prêt à faire confiance.

Fier d’avoir refait le carrelage de la gare

Jacky était celui qui, à travers la fenêtre du camping-car et avec son âme d’enfant, me racontait Strasbourg. Il était celui qui s’affirmait fier d’avoir refait le carrelage de la gare de Strasbourg. Oui, ce sol supportant les gens, les rattrapant, les accueillant. Ces dalles battues du pied par la vie si fréquemment, mais qui résistent au temps.

Jacky portait les stigmates de sa longue vie d’errance. Derrière sa barbe grise, son visage était buriné et des dents lui manquaient, mais ses yeux reflétaient sa sympathie et sa gaieté, en même temps que sa fragilité. Il avait certes des problèmes de mémoire, mais les conversations avec lui, parfois en alsacien, se finissaient souvent en éclats de rire.

Jacky c’était celui que les copains et les copines de la rue avaient à l’oeil car souvent il fallait le ramener, l’accompagner. Celui qu’il fallait convaincre de prendre la bonne direction. Celui qui savait résister et qui préférait la marche en chaussons à travers la ville plutôt que le tram.

Jacky c’était l’incompréhension aussi, parfois la colère rentrée d’un abandon accompagné d’une blague « il est fugueur » et l’anecdote « on l’a retrouvé à Haguenau. »

Jacky c’est celui qui ne fuguera plus et qui pour la première fois nous rend profondément tristes, même si on se dit qu’il est parti pour une grande balade dont personne ne viendra le dérouter…

Jacky c’était pour commencer un ronchonnement, puis un sourire jusqu’aux oreilles. C’était le glouton, jusqu’à en finir la soupe. Il était celui qui était heureux du peu, mais qui partageait tant.

Avant d’être de l’imparfait, Jacky est un individu, une personne, un caractère. C’est aussi une expérience de vie, une histoire, abandonnées par la société parce que trop vieilles.

Transformé en chiffre par certains, il était aussi depuis juste un peu moins d’un an sur liste d’attente pour une prise en charge dans un établissement adapté à ses besoins : les besoins d’une personne avec un long parcours de vie à la rue et atteint d’une maladie mentale dégénérative.

Jacky, depuis un peu moins d’un an, était juste en attente de mourir à la rue.

Nous sommes diverses personnes l’ayant rencontré, il y a plus ou moins longtemps, nous sommes des bénévoles ou des professionnels du secteur caritatif, des amis, SDF ou non. Nous et tout le monde sommes tous un peu responsables de cette mort illégitime. Toutes les « bonnes raisons » qui nous rendent « innocents » deviennent irrecevables sur une autoroute, seul et inconscient du danger. Cela ne doit pas se reproduire, c’est notre devoir.

Vincent Faucheux et des amis de la rue


#santé mentale

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