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La réforme de l’allocation de rentrée plonge des familles dans le désarroi

En cette rentrée 2016, les parents des enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) ne reçoivent plus l’allocation de rentrée scolaire. Elle sera versée sur un compte bloqué. Une mauvaise nouvelle pour les parents qui ne peuvent pas compenser cette perte. Quant aux associations, elles déplorent une mise en œuvre effectuée dans la confusion générale.

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Le coût des fournitures scolaires est de plus en pus élevé (Photo Jean Perrin/FlickR/cc)

La rentrée scolaire, c’est important pour Murielle, mulhousienne mère de trois enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance. Chaque année, elle profite de ce moment de complicité au supermarché, alors que le reste du temps, elle ne peut plus voir ses enfants que quelques heures par semaine.

Mais cette année, l’Etat lui a supprimé ce rituel. La loi de protection de l’enfant, votée en mars par le Parlement bloque les montants de l’Allocation de rentrée scolaire (ARS) sur des comptes qui ne seront disponibles qu’à la majorité des enfants.

Le coût des fournitures scolaires est de plus en pus élevé (Photo Jean Perrin/FlickR/cc)
Le coût des fournitures scolaires est de plus en plus élevé (Photo Jean Perrin/FlickR/cc)

Un trou imprévu dans le budget des parents

Une décision incompréhensible pour Murielle :

« Je ne comprends pas pourquoi ils ont décidé ça… Sans l’allocation, je ne sais pas comment faire. J’ai toujours fait les courses de rentrée avec mes 3 enfants placés, je n’ai pas les moyens de les faire sans cette aide. »

L’ARS est versée chaque année en août sous conditions de ressources et peut aller de 363€ à 396€. Le coût de la rentrée est estimé par la Confédération Syndicale des Familles (CSF) à 362€ par enfant au collège en moyenne. Au lycée, cette somme monte à 400€, voire 600€ pour certaines filières technologiques et professionnelles.

Les lois de protection de l’enfance prévoient que les frais d’entretien et d’éducation des enfants placés en foyer restent à la charge de leurs parents. Une situation que détaille Fanny Basille, directrice du Foyer Charles Frey à Strasbourg :

« Certains parents tiennent beaucoup à acheter les fournitures scolaires eux-mêmes. Car pour eux, le rôle de parents consiste à accompagner autant que possible leurs enfants dans la scolarité. »

Une communication volontairement opaque et précipitée

Les structures ont été assaillies de réactions de parents paniqués. Murielle avait aussi contacté le foyer, pour se faire expliquer la nouvelle loi. Il lui a été répondu qu’ils ne pouvaient lui apporter aucune aide financière. Comme Murielle, les parents se posent beaucoup de questions pratiques, comme le rapporte l’Union Départementale des Associations Familiales (UDAF) :

« Je me demande les raisons de cette mesure. Qui va acheter les affaires scolaires du coup, et les vêtements ? Est-ce que je vais pouvoir accompagner mes enfants et l’éducateur dans ses achats ? Est-ce que le Service de Protection de l’enfance peut me confier une partie du budget si je m’engage à acheter des fournitures ? »

Laura Biteaud, du service accompagnement de l’UDAF, pointe le choc qu’a été l’information brute pour des familles qui pensaient toucher une somme toujours perçue :

« Il faut imaginer le travail éducatif et explicatif qui aurait dû accompagner ces notifications de non versement. Le travail pour nous a été de prévenir les familles que l’on suit au plus tôt, dès le mois de juillet. »

Cette précipitation a en fait été voulue par le gouvernement, qui espèrait ainsi éviter que les médias ne s’emparent de cette mesure plutôt impopulaire. Un courrier de la mission enfance famille du Conseil Départemental du Bas-Rhin, envoyé en juillet aux structures (foyers, Maisons d’enfance…) indique :

« La CNAF a indiqué qu’aucune communication large auprès des familles n’est prévue. Les familles seront informées via les notifications associées au non versement de l’ARS en août 2016. »

De l’argent nécessaire… évaporé

À cause de ce timing serré, certaines familles n’ont pas pu s’organiser en conséquence. Élodie comptait sur l’ARS pour ses deux filles :

« Je me suis mise dans une belle galère, car voyant mon aînée une fois par mois, là début août et début septembre, j’ai pris sur mon RSA. Les services sociaux viennent de m’apprendre la nouvelle… J’ai aussi acheté un sac pour la deuxième, le tout m’a coûté 150€, une chance que je n’avais pas encore acheté cahiers, stylos etc., car je n’ai aucun moyen de me faire rembourser cette somme. »

Surtout, l’allocation n’est pas remise aux foyers ni aux Maisons d’enfance, qui doivent alors puiser dans leur propre budget pour effectuer ces achats de rentrée.

« Tous les mois j’achète quelque chose pour mes enfants »

Même si Lucie Moreau, responsable de la mission enfance famille au Conseil Départemental, assure que « la CAF applique le cadre légal, les familles ont été informées, et nous avons anticipé au maximum. » Mais les conséquences sont bien réelles pour les familles touchées. Comme Céline, qui a appris au moment de la notification que ce temps fort de préparation de rentrée était fini pour sa famille :

« Je suis dégoûtée, je n’ai même pas pu faire plaisir à mes enfants, et le pire, c’est qu’ils ne disent rien aux gens. Alors on fait comment ? »

Isabelle, mère de famille nombreuse, travaille à temps partiel et a dû se débrouiller :

« J’ai quatre enfants placés sur sept, et je peux vous dire que tous les mois j’achète quelque chose pour mes enfants. J’avais mis de l’argent de côté pour les imprévus et les sorties, mais là, j’ai dû les dépenser pour les fournitures d’école et les vêtements. »

Certaines familles n'ont pas pu faire les courses de rentrée (Photo ActuaLitté/FlickR/cc)
Certaines familles n’ont pas pu faire les courses de rentrée (Photo ActuaLitté/FlickR/cc)

Les enfants « placés à la maison » doublement pénalisés

Tous les acteurs ont été pris dans un flot d’informations contradictoires qui n’a pas facilité la mise en œuvre. La loi parle de « placement », sans préciser les modalités. Surtout, la CAF n’a généralement pas connaissance de la situation des familles bénéficiaires de l’ARS et a dû, pour appliquer la nouvelle loi, se faire transmettre par le Conseil Départemental les listes des personnes dont il fallait suspendre le versement de l’allocation.

Or, les jeunes confiés à l’ASE peuvent l’être en internat, en accueil de jour, ou en placement à domicile, c’est-à-dire qu’ils sont suivis de très près par des éducateurs, mais restent chez leurs parents, et donc à leur charge.

D’après Fanny Basille, la position de la CAF du Bas-Rhin avait été de ne suspendre le versement de l’ARS que dans le cas de l’internat. Mais le Ministère a donné des consignes au courant de l’été pour viser toutes les familles, dans un mail relayé par la mission enfance famille.

Pour les associations familiales, c’est un scandale. Colin Riegger, secrétaire général de la CSF du Bas-Rhin, y voit une « grosse contradiction » : « les enfants sont complètement à la charge de leurs parents, mais on leur enlève de quoi payer les achats de rentrée ! » Pour ces personnes, pas de plan de secours avec le foyer qui subviendrait aux besoins de rentrée. Pour Patrick, deux enfants et allocataire du RSA : « on m’a aussi bloqué les ARS alors que j’ai mes enfants à charge à 100%, c’est dégueulasse. »

Le foyer Charles Frey à Strasbourg accueille des enfants en internat et en accueil de jour (Photo Paralacre/Wikimedia/cc)
Le foyer Charles Frey à Strasbourg accueille des enfants en internat et en accueil de jour (Photo Paralacre/Wikimedia/cc)

Une occasion en moins de maintenir la relation parents-enfants

Outre les difficultés matérielles, la fin de cette allocation pourrait participer d’une rupture du lien parent-enfant, d’après les associations et les professionnels. Brigitte est vraiment amère :

« Même pas 1 euro pour mes enfants placés, contrairement aux autres que j’ai à la maison. Ça fait des jaloux. On met l’argent sur un compte bloqué jusqu’à leur majorité, mais les gosses n’ont pas le droit de se rhabiller ou d’avoir un joli cartable… Je vais me plier en quatre pour faire plaisir à mes enfants du mieux que je peux. Déjà qu’on nous enlève nos enfants, maintenant ils nous enlèvent le seul plaisir qu’on a, de leur acheter des fournitures ? »

Laura Biteaud, du service accompagnement de l’UDAF, signale :

« La rentrée scolaire est un temps fort dans l’année, et on peut accompagner les parents au moment de faire les courses. Cela maintient la place des parents en tant que parents justement. Ce bon outil disparaît. »

Un contexte de stigmatisation et une efficacité remise en question

L’objectif de la loi est-il d’assurer que les sommes versées bénéficient exclusivement au jeune. Un éducateur signale :

« Il y a malheureusement des parents qui touchent l’ARS mais ne l’utilisent pas du tout pour les courses de rentrée. Certains gardent très peu de contacts avec leurs enfants mais touchent quand même ces allocations. »

Mais les associations contredisent ces critiques, comme veut le démontrer le secrétaire général de la CSF du Bas-Rhin :

« D’après l’enquête de la CNAF, on constate que l’ARS est peu dévoyée. Plus de 90% des sommes perçues sont utilisées dans les courses de rentrée scolaire. On sait que cet argent est nécessaire.

L’UDAF avance que 98% des parents d’enfants placés maintiennent le lien et donc les activités. Pour Colin Riegger, on cherche consciemment à s’en prendre à ce public particulier :

« Nous pensons qu’il y a un mouvement global qui vise à peu à peu supprimer toutes les allocations pour ces familles-là. »

Laura Biteaud pointe aussi ce que cette mesure suggère d’après elle :

« Il y a peut-être une peur que l’argent soit mal utilisé. Mais les familles lambda, dont les enfants ne sont pas placés, font ce qu’elles veulent avec l’ARS. Evidemment qu’il doit y en avoir qui profitent, mais ce n’est pas la majorité. »

Un compte bloqué… et opaque

Les professionnels s’inquiètent aussi de la mise en œuvre du pécule bloqué destiné au jeune majeur. Laura Biteaud soulève plusieurs problèmes :

« Il faudra accompagner le jeune dans l’utilisation de cette somme. Et surtout, cela pose un problème de données : qui aura accès à la liste des noms de ces jeunes placés ? Ce n’est pas anodin d’être sur ce genre de fichiers. On a l’impression qu’on est plus dans la sanction que l’éducation. Si on a peur de la manière dont une allocation est utilisée, il y a des mesures éducatives prévues, comme ce que nous faisons, avec comme objectif le retour à l’autonomie. Pour faire le choix de l’éducatif il faut visiblement beaucoup de courage. »

La directrice du foyer Charles Frey reste sceptique sur la provenance de l’argent :

« Il y a une volonté dans la loi de se soucier de l’avenir des enfants placés, qui ont souvent des difficultés à leur majorité. Mais il est illusoire de croire qu’on aura réglé cette question avec cette disposition. En plus, il est maladroit de prélever ce soutien ponctuel et futur sur l’ARS dont les enfants ont besoin tous les ans. »

Les représentants d’associations se demandent également quelle était l’urgence d’une mise en œuvre dès la rentrée 2016, avec toutes les difficultés qu’elle apporte, laissant entendre que les prochaines échéances électorales n’y seraient pas pour rien.


#Aide sociale à l'enfance

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