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Mais au fait, à quoi sert l’Eurodistrict ?

Aujourd’hui mercredi, l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau tient conseil. Dans six mois, il fêtera ses dix ans depuis la déclaration commune du président Chirac et du chancelier Schröder à l’occasion du 40ème anniversaire du Traité de l’Elysée. Pourtant ici, l’institution est encore très méconnue. Peut-être parce qu’on n’a pas encore compris à quoi elle servait…

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Mais au fait, à quoi sert l’Eurodistrict ?

Le Jardin des deux Rives, prétexte à l’organisation de nombreux événements transfrontaliers (Photo : L.D)

Les habitants de la CUS et leurs voisins de l’Ortenau partagent un point commun. D’accord, ils sont frontaliers. Ils vivent aussi dans le territoire de l’Eurodistrict. Mais lors d’une consultation publique en 2010, l’Eurodistrict découvrait qu’à peine 10% de la population connaissait son existence. Pour une institution publique, un tel score fait désordre. Donc qu’est-ce que c’est ? L’Eurodistrict est d’abord une zone géographique à cheval sur le Rhin regroupant 79 communes, dont celles de la CUS et de l’Ortenau en Allemagne, soit plus de 850 000 personnes. L’institution est née officiellement en octobre 2005 avec comme objectif d’être un « laboratoire de l’Europe au quotidien », pour faciliter la vie de ses citoyens en gommant la frontière franco-allemande et ses tracasseries administratives.

Louable ambition. La réalité de la frontière est malheureusement tenace, et d’abord dans les mentalités. Exemple avec le bus 21 de la CTS, transfrontalier de l’arrêt Jean Jaurès à celui de la Stadthalle Kehl. Ce lundi-là, il y a du monde au départ du bus. Comme tous les jours, à tous les horaires apparemment.

Beaucoup de Français empruntent cette ligne, principalement pour aller faire des courses à plus petit prix côté allemand. Cette blondinette a dû jouer des coudes pour dégoter l’une des dernières places assises. Camille, 17 ans, soupire. Mais avant qu’elle ne visse de gros écouteurs verts sur ses oreilles, la question est lancée. L’Eurodistrict ? « Ah oui, je connais ». Bon, premier point. « Mon petit-frère participe aux courses à pieds avec sa classe ». Bien, ce n’est pas faux. Mais la réponse reste incomplète. Amusé par la question, quelques mètres devant, au niveau de l’accordéon de ce bus interminable, c’est au tour de François, 23 ans, de s’y coller : « L’Eurodistrict, je crois que ça sert aux maires qui ont des projets communs ». Il y a de l’idée, on avance.

Budget annuel : 850 000€, 1€ par citoyen

D’ailleurs, le terminus approche, et cet après-midi là, dans la salle des fêtes de Kehl, c’est conseil municipal commun au menu. Là encore, le concept n’a pas attendu l’Eurodistrict. Les conseillers municipaux des villes, désormais quasi jumelles Strasbourg-Kehl, se réunissent à intervalles réguliers. Ils prennent acte de l’avancement des projets qui impliquent les deux communes. A l’ordre du jour ? Aménagement de la future métropole des deux Rives ou encore tracé de l’extension du tram côté kehlois. L’Eurodistrict s’organise sur ce principe de concertation commune. A plus grande échelle, c’est la codécision qui prime.

En 2010, l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau s’est constitué en Groupement Européen de Coopération Transfrontalière (GECT). Un acronyme plutôt barbare pour un statut qui permet d’agir en autonomie administrative et budgétaire, vers une collectivité locale transfrontalière. Le budget annuel de 850 000 euros provient des contributions des villes et collectivités qui composent cet espace. Ramené au nombre d’habitants, il revient quasiment à 1 euro par citoyen. Le droit français est appliqué car son siège est à Strasbourg, son secrétariat général à Kehl. Lors des trois conseils annuels de l’Eurodistrict, 48 élus allemands et français siègent. Des élus et conseillers de la CUS et des élus de l’Ortenaukreis, des villes d’Offenbourg, Oberkirch, Lahr, Achern et Kehl.

Carte du territoire de l’Eurodistrict en 2006. Droits : ADEUS. Sources : eurodistrict.eu

Roland Ries, maire de Strasbourg en a été le premier président. Après deux ans, la place est revenue en mars à un Allemand, le landrat Frank Scherer, représentant de l’arrondissement de l’Ortenau. Après un couac, en 2010-2011 et la démission de l’ancien secrétaire général, le poste vacant a été repris par Cordula Riedel fin 2011. Elle explique :

« Maintenant que nous avons une petite équipe dédiée, nous espérons pouvoir nous faire connaître davantage . Nous avons été dès le départ dans le « bien faire » plutôt que le « faire connaître ». Des choses ont été accomplies, sans forcément que les gens s’en aperçoivent. Nous avons conscience que ce n’est pas encore ancré dans toutes les mentalités. Mais nous voulons rendre cet espace plus participatif, notamment avec un nouveau site internet et la consultation directe ».

Et il est vrai qu’au départ, ce concept avait du mal à être saisi. Reinhard Reck est journaliste à la rédaction politique de la Mittelbadische Presse à Offenbourg. Il se souvient :

« Au début, il a été difficile pour la presse de connaître l’existence de l’Eurodistrict. On a pu entendre certaines critiques, il lui était reproché de se rencontrer en secret. Ce qui a pu surprendre aussi, c’est que Roland Ries en a fait son cheval de bataille lors de la campagne des Municipales en 2008 ».

Ça surprend encore aujourd’hui.

La santé, première préoccupation de l’Eurodistrict

Un des premiers domaines sur lequel l’Eurodistrict s’est penché concerne la santé. Qui sait par exemple que les urgentistes allemands et français disposent d’une convention prioritaire pour circuler sur le territoire voisin ? On encore qui connaît l’existence du centre commun de recherches dédié à l’épilepsie ? Les hôpitaux universitaires de Strasbourg et l’Epilepsiezentrum de Kork travaillent ensemble sur le projet « SEEK », Strasbourg Épileptologie Eurodistrict Kork. Et c’est là qu’on peut appliquer l’idée d’un «laboratoire de l’Europe au quotidien».

Mais on n’en est même pas là, comme le note Cordula Riedel :

« Une carte de santé valable de part et d’autre de la frontière est une chose envisagée dans l’Eurodistrict. Cela ne pourra se faire que par étapes, tant que les systèmes allemand et français reposeront sur des bases différentes ».

Tant pis pour la santé. La formation est aussi au menu de l’Eurodistrict. Les apprentis dans la CUS et dans l’Ortenau, du niveau CAP/BEP jusqu’au Bac Pro, peuvent désormais s’essayer au travail frontalier. Etudier dans un pays et travailler dans l’autre sous contrat d’apprentissage avec une entreprise a été rendu possible par l’Eurodistrict.

A ces objectifs pratiques, s’ajoutent aussi ceux du bilinguisme, de la culture, de la mobilité, et de la participation citoyenne, rappelés par le président Scherer au moment de sa prise de fonction. Le journaliste Reinhard Reck précise:

« Beaucoup d’initiatives franco-allemandes sont prises dans cette région frontalière, par exemple pour l’emploi et le marché du travail. Mais cela vient aussi de structures qui n’ont pas de lien direct avec l’Eurodistrict. »

L’initiative citoyenne, ou le prochain jackpot du Schmilblick ?

Cette participation citoyenne que l’Eurodistrict souhaite booster existe donc. Elle était même parfois là avant et s’exprime dans des domaines ciblés. Le Football Club Eurodistrict n’est pas près d’envoyer une formation porter ses couleurs aux Jeux Olympiques. Pourtant, ce club transfrontalier est bien l’un des premiers à avoir saisi le concept Eurodistrict pour l’appliquer au quotidien. En attendant un statut de droit européen, ce club repose sur deux associations jumelles, enregistrées en droit français et en droit allemand. Il accueille des joueurs de part et d’autre du Rhin.

Le sport, avec les marches de l’Eurodistrict ou le Kilomètre solidarité, tout comme l’art et l’Académie d’été des arts, voilà deux perspectives de développement pour l’Eurodistrict. Pour Cordula Riedel, le sport saute-frontières est plus simple que les problèmes réglementaires :

«Ce sont des domaines qui se prêtent aux échanges transfrontaliers car ils ne reposent pas intégralement sur la communication orale. Ils permettent de dépasser les questions linguistiques et d’échanger différemment. On découvre une autre culture, une autre sensibilité sans pour autant être bilingue ».

Et pour donner des coups de pouce aux projets, l’Eurodistrict va bientôt pouvoir faire la charnière entre les idées transfrontalières et la pompe financière qui alimentera leur concrétisation. Les fonds du programme Interreg IV, versés par la Commission européenne et pilotés par l’Eurodistrict, peuvent s’élever jusqu’à 400 000 euros. Un budget potentiellement mobilisable d’ici la fin du programme Interreg IV fin 2014.

Reste donc réellement à rendre visible ces opportunités, car pour Reinhard Reck :

« Il existe des minorités bien informées qui s’engagent dans le franco-allemand, notamment sur l’axe Strasbourg-Kehl. Mais du côté allemand, le territoire de l’Eurodistrict est très étendu, et il n’est pas certain que des habitants d’un petit village de Forêt Noire connaissent même l’existence de l’Eurodistrict »

Si Cordula Riedel reconnaît le rôle de locomotive joué par les « Twin Cities » du Rhin, elle pense néanmoins que « l’axe Kehl-Strasbourg ne doit pas polariser l’Eurodistrict. Certes, de nombreuses choses s’articulent autour, mais nous avons tout un territoire à intégrer dans son ensemble ».

Il n’empêche, à quelques dizaines de kilomètres de là, la ville de Lahr organise cette année les 50 ans de son jumelage avec Dole dans le Jura. Till Neumann est journaliste à la Lahrer Zeitung, il est au fait des questions sur l’Eurodistrict pour avoir vécu et travaillé à Strasbourg dans le domaine du franco-allemand. Pour lui, « beaucoup de gens savent ici que Lahr et Dole sont jumelées. Mais que l’Ortenau et la CUS construisent une région transfrontalière est quelque chose qui reste bien moins connu ».

Bon, maintenant on prend les paris. Combien y aura –t-il « d’Eurodistrictois » bien au point sur le sujet d’ici une quarantaine d’années, prêts à organiser des anniversaires et des commémorations de l’envergure des habituels rituels bienveillants franco-allemands ?

Y aller

Conseil de l’Eurodistrict, séance publique, mercredi 5 juillet 2012, 15h-17h,  au Landratsamt d’ Offenbourg, Badstrasse 21.

#transfrontalier

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