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Reconversion de la manufacture des tabacs : bientôt la fin du suspense

Qu’adviendra-t-il de l’ancienne manufacture des tabacs ? Depuis des mois, le mot d’ordre est « circulez, il n’y a rien à voir » et surtout pas un ensemble immobilier de 22 000 mètres carrés dans le quartier central de la Krutenau, mis en vente par son propriétaire Imperial Tobacco et convoité par des investisseurs publics et privés. Rares sont les acteurs du dossier qui acceptent de dévoiler leur jeu, mais le projet retenu par la ville devrait être présenté lors des 24 h de l’architecture.

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Reconversion de la manufacture des tabacs : bientôt la fin du suspense

La manufacture a été construite dans les années 1840 (Photo Luc Boegly)

Le dossier devait être discuté à la direction des affaires culturelles de la région Alsace (DRAC) cette semaine. Or il n’en sera rien, l’examen du dossier ayant été repoussé à la demande de la mairie. Alors que dans un mois, la manufacture des tabacs ouvre ses portes exceptionnellement à l’occasion des 24 heures de l’architecture, les 19 et 20 octobre, le devenir des lieux est pour le moins incertain.

Extrait du dossier de presse des 24 heures de l’architecture.

Le propriétaire, Imperial Tobacco, a fermé cette usine de cigares en 2010. Alors, l’entreprise comptait encore 227 salariés, mis à la porte. Un investisseur se fait rapidement connaître, Scharf Immobilier, qui inaugure quasiment en même temps son nouvel hôtel de luxe, la Cour du Corbeau, non loin de là. L’investisseur local signe une promesse de vente avec le propriétaire, assortie d’une clause suspensive : si la ville de Strasbourg refuse de modifier son POS (plan d’occupation des sols), permettant au site « industriel ou artisanal » de devenir un terrain d’habitation, alors le deal sera caduc.

Opposition diffuse à un complexe de luxe

Deux ans plus tard, la situation n’a pas évolué. Et pour cause. Des élus strasbourgeois voient d’un mauvais œil la création d’un complexe hôtelier ou d’un ensemble logements entièrement privé, qui plus est de luxe. Ce qui trouverait grâce à leurs yeux : un projet mixte où l’on trouverait potentiellement une auberge de jeunesse, des équipements éducatifs (gymnase, mur d’escalade, salles de musique pour l’école associative installée aux Bateliers adjacents…) et un pôle universitaire, qui occuperait entre 20 et 60% de la surface utile. Dans cette configuration, l’investisseur Scharf pourrait récupérer une partie du site.

Alors, où en est-on ? Sur ce dossier, les principaux acteurs marchent sur des œufs, refusant de dévoiler leur jeu. Imperial Tobacco d’abord, propriétaire des murs depuis son OPA sur Altadis, ex-SEITA (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes, à la tête des manufactures françaises du temps du monopole d’État sur le tabac…), refuse de communiquer sur le prix de cession des terrains. On parle de 12 à 20 millions d’euros, « des chiffres qui circulaient il y a quelques temps », glisse un acteur, mais que personne ne peut ou ne souhaite confirmer.

Jean-Sébastien Scharf se dit « navré [de ne pas pouvoir éclairer notre lanterne] mais la mairie est la seule chargée de la communication sur l’avenir du bâtiment ». Pas de chance, la ville de Strasbourg elle aussi est réticente à s’exprimer sur ce dossier « qui fera l’objet d’un séminaire d’élus début octobre ». Alors que l’adjoint à l’urbanisme Alain Jund jure qu’ »il n’y a rien de neuf », le maire Roland Ries glisse :

« Une négociation est en cours. La Communauté urbaine de Strasbourg pourrait racheter l’ensemble, le plus tôt étant le mieux. Pour le moment, c’est un site industriel, moins cher à l’achat que s’il devenait possible d’y installer des logements ou autres. Mais je ne veux pas en parler pour le moment, je m’exprimerai là-dessus au moment des 24h d’architecture… »

La manufacture en 2008, vue de la rue de la Krutenau. Au centre : le bâtiment des années 1950 et la cheminée (Photo Pascal Bastien)

Le bâtiment bientôt classé

La collectivité n’a de toute façon aucun intérêt à « déclasser » le site – à changer son usage – avant de trouver une solution qui lui convienne. Ce qui pourrait se faire rapidement, si l’on en croit Alain Beretz, président de l’Université de Strasbourg. S’il reste prudent, le président de l’UdS redit son intérêt pour ce lieu idéalement situé :

« La création d’un pôle de géosciences, qui rassemblerait l’institut de géologie, l’école et observatoire des sciences de la terre et l’ENGES, est envisagé à cet endroit, dans le cadre du Plan campus. Nous sommes en train d’évaluer nos marges de manœuvres financières. Les arbitrages en internes ne sont pas encore rendus, mais j’aurai une meilleure visibilité d’ici quelques semaines. »

Tout pourrait alors s’accélérer.

En parallèle des tractations sur la vente et la reconversion du lieu, une procédure de classement est engagée. Le site pourrait être inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, voire classé (le degré de protection supérieur), d’ici la fin de l’année. La demande de classement émane de l’Association des habitants Bourse-Austerlitz-Krutenau (l’Ahbak). En collaboration avec les services de l’Etat en région, elle est instruite à Paris par Paul Smith, ingénieur d’études à la direction générale du patrimoine, au ministère de la culture. Spécialiste du patrimoine industriel, Paul Smith est enthousiaste à propos du site strasbourgeois :

« Construite à partir de 1848, la manufacture de Strasbourg a servi de modèle pour une quinzaine de manufactures des tabacs en France. Imposante, presque carcérale, elle représente l’autorité fiscale de l’Etat, qui détient alors le monopole du tabac. Pendant la seconde guerre mondiale, en septembre 1944, le bâtiment intérieur est détruit par un bombardement et reconstruit. Il abrite depuis 1958 les locaux techniques et les locaux techniques et une nouvelle chaufferie avec sa cheminée, pour laquelle un permis de démolition a déjà été refusé au propriétaire.

Nous pensons demander la protection globale du site, ce bâtiment du XXème siècle inclus. Il est bien sûr nécessaire de trouver de nouveaux usages pour ce lieu exceptionnel, comme cela a été fait dans d’autres villes comme Toulouse, Nantes, Marseille, Rion ou bien d’autres mais pas au détriment de l’histoire et de la lisibilité du lieu. C’est l’un des points sur lequel nous avons échangé avec Michel Spitz, l’architecte désigné par la mairie pour travailler sur l’aménagement de la manufacture. »

Cet architecte de Colmar, également mandaté pour travailler sur le Palais des fêtes, a en effet remporté un appel d’offres émanant de la CUS (voir document ci-dessous) pour établir « une étude de cadrage et de programmation urbaine et architecturale en vue de la reconversion du site ». Cette étude est « en cours ». Contacté par nos soins, l’architecte n’a pas donné suite.

Extrait du compte-rendu du conseil de CUS du 29 sept. 2011

En attendant que les fameux « arbitrages » soient enfin rendus et surtout dévoilés au public, ce qui devrait être le cas dans un mois, l’Ahbak, d’abord mobilisée aux côtés des salariés de « la manu », continue à suivre le dossier. Plusieurs événements organisés du 29 septembre au 7 octobre 2012 autour de la manufacture sont programmés par l’association, parmi lesquels une exposition et la projection d’un film au CEAAC (Centre européen d’actions artistiques contemporaines), un « rallye-découverte du patrimoine industriel et artisanal de la Krutenau » et un stammtisch des anciens de « la manu ». Elle a également participé avec le conseil de quartier à la rédaction d’un « cahier des attentes » très fouillé sur le devenir de cette forteresse industrielle, que beaucoup espèrent un jour enfin ouverte sur le quartier et sur la ville.

Un patrimoine industriel


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