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Comment a été repêchée in extremis l’usine General Motors

Plus de 150 millions d’euros ont été investis sur le site de l’ex-usine General Motors par son repreneur, Punch Metals International. En septembre, le site devrait lancer la production d’une boîte de vitesses automatiques à 8 rapports, un luxe infini. Pour en arriver là, il aura fallu accorder les repreneurs belges, les Américains, les banques, les élus, le gouvernement et le port… Récit d’un an de tractations de haute-voltige.

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La boite automatique à huit rapports, le savoir-faire de l'usine de Strasbourg (Photo Wikimedia Commons / cc)

En septembre, les quelques 1 000 salariés de Punch Powerglide Strasbourg, le nouveau nom de l’ex-usine General Motors du Port-du-Rhin, vont débuter la production d’une nouvelle génération de boîtes de vitesses automatiques à 8 rapports. Un produit haut de gamme fabriqué pour l’équipementier automobile allemand ZF dont le premier client sera BMW. Plus d’un an après son acquisition début 2013, le petit groupe belge Punch Metals International (PMI) a finalisé un investissement de 155 millions d’euros sur le site, un montant considérable pour un développement régional.

À cela s’ajoutent de plus petites enveloppes, pour la modernisation de la fonderie de l’usine et l’amélioration de la ligne dédiée au modèle actuel, à 6 vitesses, qui continuera à être produit. Après des années de difficultés, le moral semble être remonté au plus haut. Mais pour en arriver là, il a fallu passer par de longs mois de doute et de négociations ardues. Retour sur les détails de la reprise de ce site.

À l’Adira, l’agence de développement économique du Bas-Rhin, Pascal Gaden occupe le poste stratégique de conseiller aux affaires spéciales. C’est lui qui suit les entreprises en difficulté. À ce titre, il surveillait General Motors (GM) Strasbourg comme le lait sur le feu :

« La première salve datait d’août 2008. GM comptait vendre son actif pour renflouer ses caisses. Mais il y a eu la faillite de Lehmann Brothers et la crise qui a suivi, la faillite de GM, et la vente n’a pas pu se faire. En 2010, GM, sorti de faillite, a accepté de reprendre cet actif et de lui donner de la charge de production pour en assurer l’équilibre. Ils avaient des besoins en boîtes 6 vitesses jusqu’en 2014-2015 et on leur avait fait miroiter le coût exorbitant d’une fermeture du site. »

Détroit : 9 mai 2012 « l’usine de Strasbourg est à vendre »

La deuxième salve survient le 9 mai 2012. Ce jour-là, le groupe américain diffuse un communiqué de presse aux tonalités de signal d’alarme :

« Parallèlement à la recherche active d’une solution interne permettant d’affecter de nouveaux programmes du groupe à son site de Strasbourg, General Motors Company (GMC) a décidé de lancer une évaluation complète et détaillée du site de GM Strasbourg en vue d’une vente potentielle de cette unité (…). La recherche portera sur des repreneurs potentiels présentant un projet solide et crédible de nature à préserver l’activité et les emplois de l’usine et du centre de recherche de Strasbourg. »

Du côté des syndicats et des élus, l’inquiétude est vive. « Qui pouvait miser sur une reprise ? On a pensé qu’on allait vers le naufrage, avec un site trop grand et des produits sur le point d’être dépassés », se remémore Catherine Trautmann (PS), vice-présidente de la CUS en charge du développement économique et présidente du conseil d’administration du Port autonome. Pascal Gaden garde des souvenirs teintés d’un peu plus d’optimisme :

« Nous n’avions pas été officiellement avertis avant le 9 mai, mais nous avions eu un certain nombre de signaux qui nous faisaient penser dès avril qu’il allait falloir se retrousser les manches. On ne voyait toujours pas poindre de vraie volonté de fabriquer une nouvelle boîte de vitesses. Alors paradoxalement, l’annonce a presque été un soulagement parce qu’elle signifiait que l’on allait pouvoir s’inscrire dans une démarche autre que de simplement demander à GM de bien vouloir réinvestir à Strasbourg. On allait enfin avoir la possibilité d’agir ! Nous avons obtenu un partenariat par lequel ils nous mandataient officiellement pour identifier et approcher les industriels qui pourraient être intéressés. Charge à nous de les rabattre vers Barclays Capital, l’une des plus grandes banques d’affaires, qui devait les engager dans le processus de discussions financières. »

« Dites cette usine, elle vous intéresse toujours ? »

L’Adira se tourne alors vers Punch Metals International, un groupe industriel belge contrôlé par l’homme d’affaires flamand Guido Dumarey. En 2010, ce dernier s’était déjà intéressé à General Motors Strasbourg. À l’époque, il avait un temps été question d’une offre de reprise du site, pour un euro symbolique, avec le maintien de 700 emplois seulement sur les 1 150 qu’il comptait. Catherine Trautmann avait alors eu un premier contact avec le groupe belge. Cette offre de reprise avait été retirée, sans explication, peu de temps avant que General Motors Company ne revienne en piste.

Mais le groupe de Guido Dumarey était revenu à la charge, avec une offre de trois millions d’euros cette fois, déposée quelques jours avant que le tribunal des faillites de New York ne se prononce sur le sort du site. À ce moment, les dirigeants et les salariés de l’usine strasbourgeoise faisaient ouvertement part de leur préférence pour la proposition de GMC.

La boite automatique à huit rapports, le savoir-faire de l'usine de Strasbourg (Photo Wikimedia Commons / cc)
La boite automatique à huit rapports, le savoir-faire de l’usine de Strasbourg (Photo Wikimedia Commons / cc)

Reste qu’entre l’Adira et Guido Dumarey, le courant était plutôt bien passé. « On avait maintenu le contact avec eux, dit Pascal Gaden, faisant référence à Guido Dumarey et à son bras droit, Marc Maes. Ils faisaient partie des investisseurs que l’on souhaitait faire venir en Alsace, éventuellement pour d’autres projets. » Aussi, « dès que le processus de vente a été officialisé par GMC », les discussions se sont engagées, affirme Marc Maes. Encore fallait-il que GMC ait réellement envie de vendre son usine, et pas de la fermer… « Nous allons tâcher de faciliter les contacts », avait promis lors de son installation, au début de l’été 2012, le tout nouveau commissaire régional au redressement productif nommé par Arnaud Montebourg, Jacques Muller. Promesse tenue.

Bercy fait asseoir les Américains à la table

Pascal Gaden se souvient qu’il n’a pas été simple de dialoguer avec les Américains :

« À l’invitation de Bercy, tout le monde a pu se mettre autour de la table et GMC est venu discuter avec nous, ce qui n’était pas gagné au départ. La logique strictement financière aurait dicté de fermer l’usine plutôt que la revendre à un petit équipementier européen… Pour eux, il y avait en plus un risque en matière de communication au cas où le projet péricliterait au bout de deux ou trois ans. Ils voulaient donc s’assurer que le projet tienne la route. Ils ont été exigeants. »

Exigeants, et généreux. Pour permettre la reprise du site et les investissements nécessaires au lancement d’une nouvelle génération de boîtes, GMC laissera 93 millions d’euros sur le compte courant de l’usine. Mais une générosité conditionnée, rappelle Catherine Trautmann :

« Ils s’étaient engagés par écrit à réinvestir lorsqu’ils avaient repris le site en 2010. C’était dans les conditions. Mais le fait qu’ils laissent cette somme, ce n’était pas une position assurée d’emblée dans les négociations. Disons qu’ils voulaient voir si en face il y avait quelqu’un qui mettait des sous sur la table. Ils n’étaient pas là pour faire des cadeaux. »

10 millions d’apport, 50 millions à trouver auprès des banques…

Selon Marc Maes, Punch Metals International a pu investir 10 millions d’euros, soit moins d’un quinzième des investissements nécessaires pour la boite 8 vitesses. Les subventions publiques auraient représenté « moins de 1% » du coût total d’investissement. Comme l’avait fait le conseil régional, la CUS a voté lors du conseil de communauté du 21 février une aide exceptionnelle d’un montant de 100 000 euros, fléchée en direction de « la réalisation des investissements en faveur de la fonderie et de l’extension de la production de la boîte de vitesse existante ». « Le maintien de la fonderie permet d’avoir un site industriel intégré, sans coûts de transport », insiste Catherine Trautmann.

Pour le reste, soit plus de 50 millions d’euros, il a fallu avoir recours à l’emprunt bancaire. Pour cela, « Guido Dumarey a tout mis en garantie, tout ce qu’il avait, tout ce que sa femme avait, tout ce que ses enfants avaient, parce que c’est le projet de sa vie », affirme un observateur du dossier. Pascal Gaden et Catherine Trautmann confirment tous deux que « le repreneur est allé très loin » dans son investissement personnel. Malgré cela, les discussions ont été très longues.

« Punch Metals va exploser en plein vol »

Et sans doute compliquées, bien que Marc Maes assure le contraire, par les déboires de Punch Metals International en Picardie. Le groupe belge y avait acheté en 2012 deux usines, Juy et Still, bien plus petites que General Motors Strasbourg. Mais il s’avérera incapable de les redresser, malgré des aides financières de l’État. Placées en redressement judiciaire, Juy et Still seront finalement liquidées, Punch devant rembourser les aides perçues…

De quoi légitimement inquiéter les syndicats, les salariés strasbourgeois et les élus comme Catherine Trautmann :

« À un moment, j’ai cru que le repreneur allait exploser en plein vol. C’est une affaire où il y a eu des hauts et des bas, c’était un radeau qui tanguait et on a parfois cru que tout le monde allait passer par dessus bord. Mais finalement, tout le monde s’est accroché. »

Pour Pascal Gaden, c’est surtout un contrat qui a validé l’opération :

« Le meilleur élément de négociation pour Punch à ce moment-là, c’était dans doute d’avoir sous le coude un partenariat avec ZF. Sans les engagements d’achats de l’équipementier allemand pour la nouvelle boîte de vitesses qui garantissaient un volume d’affaires, le projet ne tenait pas la route. Mais pour autant, ZF n’avait pas vocation à intervenir dans la discussion. »

Catherine Trautmann poursuit :

« ZF avait un intérêt très clair. Ça leur coûtait moins cher que de construire leur propre usine, ça leur permettait d’aller plus vite dans des conditions de sûreté de production. »

Le savoir-faire et les compétences des salariés du site, qui exporte des boîtes de vitesses dans le monde entier depuis 1967, ont constitué un atout de poids pour s’assurer du partenariat allemand.

Un chiffre à la louche du Port autonome débloque les banques

Arrive enfin une réunion de bouclage, à Paris, en décembre 2012, sous l’égide de Bercy. L’Adira est sur place, Catherine Trautmann est restée à Strasbourg :

« À un moment, le ministère appelle, me sort d’une réunion de groupe et me dit : “Ça bloque, on n’y arrive pas, les banques refusent le montage !” Il ne manquait vraiment pas grand chose, c’était sur le résiduel qu’on ne se mettait pas d’accord. C’était trop nul de rester bloqué à cause de quelque chose comme ça. Alors j’ai appelé Jean-Louis Jérôme (le directeur du Port autonome de Strasbourg, ndlr) et on a eu une fin de soirée et un bout de nuit pour envoyer un élément nouveau chez Montebourg et débloquer le dossier. »

L’élément nouveau, « qui avait déjà été évoqué auparavant », dixit Catherine Trautmann, est un engagement du Port pour participer à l’équilibre de l’opération. Il y est question de l’achat d’une partie des terrains inexploités par General Motors Strasbourg et dont Punch n’avait pas l’utilité. Catherine Trautmann reprend :

« On a donné un chiffre à la louche. C’était une possibilité de recette nette pour l’entreprise, et il y avait aussi la valeur non-financière de cet engagement. C’était tellement tendu, tellement compliqué, que les gens se raccrochaient alors à une parole. En l’occurrence, la parole des collectivités, le fait que l’on ait été constamment sur les mêmes positions pour faire aboutir ce dossier, ça a joué beaucoup. La possibilité de pouvoir travailler ensemble est une clé essentielle. »

Aujourd’hui, l’achat des terrains n’est pas encore finalisé. Environ 40 des 92 hectares du site ne sont pas utilisés, mais la discussion ne porte que sur une partie de cette surface. Pour Nicolas Teinturier, directeur de la valorisation du domaine du Port autonome, l’affaire pourrait être conclue autour de 5 millions d’euros.

À l’Adira, qui a connu des issues moins heureuses dans des dossiers comme celui de Petroplus ou de Delphi, Pascal Gaden juge que ce qu’il voit aujourd’hui lui fait penser que l’agence ne « s’était pas trompée » en faisant confiance à Guido Dumarey. Catherine Trautmann estime de son côté que ce sauvetage « est un gage pour l’image de notre ville » :

« C’est comme un investissement neuf. C’est même encore mieux parce qu’on part d’un site qui était considéré par son propriétaire comme un boulet. »

L’oeil de l’Europe sur Strasbourg

Elle dresse le parallèle avec l’ex-papeterie Stracel, fermée par son propriétaire finlandais, UPM, mais dont une partie des actifs et des salariés a pu être reprise par un duo d’entreprises venu de Belgique et d’Allemagne. Dans cette usine aussi, un énorme investissement de 100 millions d’euros a été réalisé. Selon elle, le Comité économique et social européen souhaite « suivre ces deux dossiers » :

« Je pense que l’Union européenne doit réfléchir à la capacité pour les entreprises de taille moyenne et des alliances d’entreprises d’investir pour reprendre des sites appartenant à de grands groupes internationaux. Pour cela, il faut un site qui ne soit pas obsolète, qui soit valorisable rapidement, voire vite transformable comme dans le cas d’UPM, et qui permette de conquérir vite un marché ou d’élargir ses positions sur un marché déjà conquis. »

A l’époque, souligne-t-elle, la Banque publique d’investissements (BPI) n’avait pas encore été créée pour appuyer de telles opérations. Ce serait un atout de plus aujourd’hui. Mais reste que les banques françaises sont à ses yeux « toujours trop frileuses par rapport à l’investissement industriel », notamment en comparaisons de leurs consœurs allemandes qui ont « une tradition d’accompagnement de l’industrie ».

Aller plus loin

Sur Libération : «regrets» et «ambiance malsaine» pour les anciens de GM (mars 2013)

Sur Rue89 Strasbourg : Les inquiétants déboires économiques du repreneur de General Motors (février 2013)


#Adira

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