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En trois minutes, les doctorants essaient de rendre la science compréhensible

Trois minutes pour présenter trois ans de travail. Avec « Ma thèse en 180 secondes » les doctorants des deux universités alsaciennes se prêtent à un difficile exercice pour rendre la science accessible au grand public.

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En trois minutes, les doctorants essaient de rendre la science compréhensible

Ma thèses 180 sec
Jugurtha Kariche a séduit par son humour pour parler de tremblements de terre, mais a subi un long trou de mémoire. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

« Aujourd’hui, on ne va parler ni d’extrémisme, ni de terrorisme ou d’hipsterisme, mais de séisme ! » La formule de Jugurtha Kariche, algérien et barbu, fait mouche. La salle rit et écoute. En 180 secondes, pas une de plus, il doit expliquer son sujet de thèse : comment les séismes se répondent et s’articulent avec les failles. Il prend l’exemple des dominos. Malheureusement, un trou de mémoire coupe ce bel élan deux minutes plus tard.

Tel est le défi des 19 doctorants lors de cette finale régionale (format 22 régions) de la troisième édition de « Ma thèse en 180 secondes« . On y apprend que manger un Mars est parfois meilleur qu’une pomme, pourquoi tout le monde se souvient de « sa première fois », alors qu’on oublie d’autres événements plus récents, ou que les « ouvertures faciles » qui résistent, c’est peut-être bientôt fini avec des emballages qui réagissent à la température.

Adopte un mec pour expliquer la biologie

Reflet de notre époque, deux participants se sont inspirés du site de rencontres Adopte un mec pour appuyer leur démonstration. L’une pour les neurones qui secrètent les souvenirs (dont ceux de la première fois), l’autre pour le virus du SIDA, cette molécule qui ne s’attache pas aux autres et que les nouveaux traitement essayent justement de rendre enfin fidèle. Ce dernier, Mathieu Pires, a remporté le prix du public et la deuxième place du jury. Il a su tenir la métaphore tout au long de sa présentation.

Reportage de France 3 Alsace

Revers frustrant du format, les doctorants présentent l’intérêt de leur sujet, mais pas vraiment ce qu’ils ont pu trouver lors de leurs travaux. Les participants n’ont qu’une seule diapositive comme support et trois mots notés sur un ordinateur à côté de l’angoissant compte à rebours. Il faut avant tout convaincre par les mots, maîtriser son temps et son stress.

Quelle idée passent des jeunes doctorants en quelques minutes à des profanes ? Celle que la science, c’est aller toujours plus loin. Pour continuer dans le domaine des souvenirs, il a d’abord fallu comprendre que deux neurones différents se connectent pour former la mémoire. On a ensuite découvert que c’est un noyau reuniens qui les met en relation (la comparaison avec le site de rencontre est toute trouvée). Désormais, on essaie de comprendre pourquoi ce reuniens agit certaines fois et d’autres non. Du coup, Amélie Gressier étudie le comportement de rats dont le reuniens a été détruit.

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Un amphithéâtre bien rempli et attentif à l’Institut de Science et d’Ingénierie Supramoléculaires (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

En 2014, la gagnante venait de Strasbourg… et fait du théâtre depuis

À Strasbourg, on connait bien « Ma thèse en 180 secondes », un concept inventé en Australie. Pour la première édition en 2014, Marie-Charlotte Morin avait remporté la finale nationale. Elle avait réussi à tenir en haleine des millions d’internautes en parlant de… cellules rectale des vers ! (la vidéo ici)

Une fois sa thèse terminée, la jeune femme a gardé le goût de la scène. Elle dirige une troupe de théâtre de vulgarisation scientifique. Sa première pièce « Tout le monde descend » qui explique et oppose aux obscurantismes la théorie de l’évolution de Charles Darwin sera au camionneur du 31 mars au 2 avril.

Un débouché bien loin de la recherche universitaire classique, qui réjouit le président de l’Université de Strasbourg, Alain Beretz :

« Ce type d’événements sert à faire connaître que trois ans de thèse ne débouchent par forcément sur de la recherche à l’Université. On distingue la formation “à la recherche” de la formation “par la recherche”. C’est ce qu’il faut développer. Dans d’autres pays, docteur est un statut et il y en a dans les entreprises ou l’administration. La thèse, c’est une rigueur, une technique de travail. On questionne toutes les données et on rencontre des échecs, mais constructifs, donc on n’a moins peur d’échouer à l’avenir. Savoir présenter des travaux complexes avec des mots simples à des non-spécialistes, ça leur servira toute leur vie. Il existe même le concept d’elevator pitch (argument éclair en français ndlr), savoir présenter un projet le temps d’un trajet en ascenseur. »

Ne pas continuer sa thèse par de la recherche universitaire, un propos qui trouve écho chez Nicolas Loy, dont les travaux portent sur un moyen pour que les chirurgiens soient moins exposés aux rayons X grâce à la réalité augmentée. Le doctorant de l’Icube, qui a comme champs d’application privilégiés l’ingénierie pour la santé, l’environnement et le développement durable, s’imagine davantage poursuivre dans des entreprises, voire des start-up :

« Je pense qu’on peut avoir plus d’impact sur la société avec de la recherche appliquée que fondamentale. »

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Les participants n’ont qu’une diapositive comme support. Il faut avant tout faire preuve d’aisance sur scène. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Peu de sciences sociales

Ils ne se connaissaient pas et après plusieurs séances de préparation avec le Jardin des Sciences, ils forment une petite équipe soudée. Ils prévoient de se revoir pour regarder la finale nationales sur internet. La plupart ont voulu se lancer « un challenge personnel », dixit David Nogueira qui travaille sur l’addiction à la cocaïne. »Tous les doctorants ont envie de parler de leur thèse », ajoute Marlena Betzner qui travaille sur de l’imagerie haute résolution sur les microbes. L’occasion est trop belle, avec le secret espoir de marcher dans les traces de Marie-Charlotte Morin. Le plus dur, c’est d’arrêter le jargon de spécialistes et d’aller à l’essentiel.

Mais malgré les efforts des candidats, il leur arrive de décrocher du sujet lors de quelques secondes d’inattention. Surtout que la majorité des sujets relève des sciences « dures » et rentrent vite dans des considérations complexes. Parmi les 19 participants, 15 avaient un sujet en lien avec la chimie ou la biologie. Polymères, bactéries, neurones, molécule, fibres, etc sont leur dada.

Sur scène (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Si on dépasse d’une seconde, c’est l’élimination. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Milan Koci, qui a parlé d’Économie en comparant les notions d’éthique, d’utilitarisme et de marxisme, s’est justement étonné d’être l’un des rares représentants des Sciences humaines. Une situation qu’Alain Beretz explique aussi par une réalité sociale : il y a moins de contrats doctoraux dans ces secteurs :

« Il n’y a pas de quota. Il y a peut-être une plus grande timidité dans les Sciences humaines, mais aussi beaucoup de doctorants dans ces domaines doivent travailler à côté et ont moins de temps libre pour se lancer dans un tel challenge. »

À la fin des deux heures de présentation, c’est Philippine Chambault de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS) qui l’emporte. Elle défendra l’Alsace à la finale nationale à Bordeaux le 31 mai. Elle étudie, en plaçant des balises sur des tortues, ce qui impacte ou non leurs migrations le long de l’Amérique du Sud. Moralité ? Une fois dans l’eau, la tortue est bien plus rapide que le lièvre.

Les vidéos seront en ligne sur le site utv.unistra.fr dans les prochains jours.

Aller plus loin

Sur France 3 Alsace : Strasbourg : 180 secondes pour expliquer une thèse (vidéo)
Sur Arrêts sur images : « Ma thèse en 180 secondes » : un an après, que sont devenus les chercheurs finalistes ? (en 2015)


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