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« Grâce aux ordonnances Macron, licencier n’aura jamais été aussi simple »

Avocat et enseignant en droit du travail, Antoine Bon analyse le projet d’ordonnance pour « la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail. » En rendant les licenciements plus simples et moins chers pour les entreprises, ce texte reporte sur les salariés les risques de l’exploitation de l’entreprise..

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Licenciements à Baerenthal en 2005 (Photo Do U Remember / FlickR / cc)

Le gouvernement vient de publier le projet de 5 ordonnances visant à réformer le dialogue social dans les entreprises. Au sein de ces ordonnances, l’une d’elle ne traite pas de ce sujet mais est consacrée à « la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail. » Sous ce titre trompeur, l’ordonnance prévoit de réformer substantiellement le régime du licenciement.

Quel est donc ce nouveau régime qui va s’appliquer à l’ensemble des salariés du secteur privé sous contrats à durée indéterminée pour tous les licenciements notifiés à compter de son entrée en vigueur ?

Les indemnités encadrées même en cas de licenciements abusifs

Dans la législation actuelle, l’employeur ne peut mettre fin au contrat de travail de sa propre initiative sans pouvoir justifier d’un motif réel et suffisamment sérieux pour légitimer cette mesure.

À défaut, le salarié peut saisir les prud’hommes afin de voir reconnaître le caractère abusif du licenciement et obtenir une indemnisation qui s’ajoutera à l’indemnisation légale ou conventionnelle due pour un licenciement légitime.

La fixation de cette indemnisation obéit au principe de la réparation intégrale. Les juges doivent évaluer, en fonction des éléments apportés par le salariés, le préjudice réel causé par cette rupture sur sa situation personnelle.

Le Code du travail ne limite ce pouvoir que par l’exigence que l’indemnisation soit au moins égal à 6 mois de salaire si le salarié présente une ancienneté d’au moins 2 ans dans son entreprise et que celle-ci comprenne plus de 10 salariés.

La nouvelle ordonnance modifie radicalement ce système en instaurant un minimum et un maximum à l’indemnisation que pourra accorder le juge en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise (voir le tableau ci-dessous).

Ancienneté dans l’entreprise Indemnité minimum Indemnité minimum -11 salariés Indemnité maximale
0 Sans objet 0 1
1 1 0,5 2
2 3 0,5 3
3 3 1 4
4 3 1 5
5 3 1,5 6
6 3 1,5 7
7 3 2 8
8 3 2 8
9 3 2,5 9
10 3 2,5 10
11 3 3 10 ,5
12 3 3 11
13 3 3 11,5
14 3 3 12
15 3 3 13
16 3 3 13,5
17 3 3 14
18 3 3 14,5
19 3 3 15
20 3 3 15,5
21 3 3 16
22 3 3 16,5
23 3 3 17
24 3 3 17,5
25 3 3 18
26 3 3 18,5
27 3 3 19
28 3 3 19,5
29 3 3 20
30 et au-delà 3 3 20

Il convient de noter en premier lieu, que le minimum de 6 mois est réduit à 3 mois et qu’un minimum inférieur est instauré dans les petites entreprises. On notera ensuite que la proportionnalité des montants maximum n’est pas linéaire puisque celle-ci diminue à partir de 12 ans d’ancienneté et plafonne à 20 mois de salaire pour 29 ans d’ancienneté.

En pratique on constatera que le salarié ne pourra espérer obtenir les 6 mois de salaires d’indemnisation qui lui étaient jusqu’ici garantis au bout de 2 années qu’à partir de la 6ème année d’ancienneté. Encore faut-il préciser qu’il ne s’agit plus d’un minimum mais d’un maximum. Ces 6 mois d’indemnisation ne deviennent la moyenne de ce que le salarié peut espérer obtenir qu’à compter de 12 ans d’ancienneté.

Les magistrats inquiets pour l’individualisation des préjudices

Les juges sont parallèlement encouragés à ne pas accorder les montants maximum prévus en tenant compte des montants déjà versés au salarié au titre de l’indemnité de licenciement proprement dite.

Il n’est pas certain que les magistrats seront sensibles à cette suggestion, puisqu’un de leurs syndicats (l’USM) vient de publier une tribune pour se plaindre de ce qu’ils considèrent comme une atteinte au principe de réparation intégrale du préjudice et de son individualisation sous le contrôle du juge.

Ce barème ne s’appliquera pas dans les cas où le salarié pourra prouver qu’en plus d’être dénuée de cause réelle et sérieuse, la mesure de licenciement est nulle car elle obéit à une volonté de harcèlement, d’atteinte à ses droits fondamentaux ou à l’exercice d’un mandat de représentation.

Ces cas existaient déjà dans la législation actuelle, l’ordonnance prévoit cependant la réduction du minimum d’indemnisation qui leur était applicable qui passe de 12 mois à 6 mois de salaire.

La sanction des licenciements abusifs est ainsi substantiellement adoucie pour les responsables d’entreprises. Il est donc probable que cette mesure aura pour effet d’encourager les licenciements abusifs et de décourager les salariés présentant une ancienneté inférieure à 10 ans de saisir les juridictions. Pour renforcer encore l’effet dissuasif de ces mesures contre le recours aux juridictions du travail, la prescription, qui avait déjà été réduite de 5 ans à 2 ans, est encore abaissée à 1 an.

Licenciements à Baerenthal en 2005 (Photo Do U Remember / FlickR / cc)
Licenciements à Baerenthal en 2005 (Photo Do U Remember / FlickR / cc)

Les licenciements légitimes plus difficiles à contester

La deuxième partie du texte vise à faciliter le licenciement légitime, c’est à dire celui qui repose sur une cause réelle et sérieuse. Il instaure une simplification du formalisme du licenciement. Un formulaire permettra une standardisation de l’acte notifiant le licenciement. Par ailleurs, les motifs du licenciements n’auront plus à figurer entièrement dans ce document qui pourra être complété par après si le salarié le sollicite.

Le non-respect des procédures applicables ne sera en tout état de cause sanctionné que d’une indemnité plafonnée à un mois de salaire et ne sera plus considéré comme abusif (comme c’est notamment le cas en l’absence de consultation des représentants du personnel).

Le motif du licenciement pour motif économique est élargi dans les groupes internationaux puisqu’il ne sera plus nécessaire que les difficultés économiques existent à l’échelle du groupe dans son ensemble mais uniquement sur le territoire français.

Ainsi un groupe bénéficiaire sur le plan européen disposera d’un motif légitime pour rompre le contrat de ses salariés français si cette activité est déficitaire sur le territoire. De même pour les salariés inaptes, les groupes internationaux n’auront plus à chercher à reclasser les salariés dans leurs filiales à l’étranger.

La seule mesure favorable aux salariés de cette réforme du licenciement est l’annonce de l’augmentation du montant de l’indemnité légale de licenciement. Elle ne figure cependant pas dans le texte même mais devrait faire l’objet d’un décret d’application à venir.

Une fois adopté, ce nouveau régime du licenciement va faciliter les licenciements légitimes en les renchérissant légèrement et rendre substantiellement plus difficile leur contestation tout en diminuant drastiquement les indemnisations qui pourraient en résulter. Les employeurs ne manqueront pas de se féliciter de ces mesures, cependant que les salariés voient diminuer, à nouveau, les droits issus de leur contrat de travail.

La facilitation des licenciements, une mesure reconduite depuis 10 ans

Cette réforme parachève l’évolution observable depuis une dizaine d’année de la législation du licenciement. Initialement, la loi était considérée comme l’instrument de la défense du salarié, partie faible au contrat, contre l’employeur. Le Code du Travail était conçu comme un ensemble de règles visant à poser des gardes-fous à la volonté patronale et à protéger le salarié. La législation sur le licenciement devait garantir que seuls des motifs suffisamment graves autorisent l’employeur à priver le salarié de la source de ses revenus.

Les sanctions encourues devaient être suffisamment dissuasives pour que l’employeur ne cède pas à la volonté de rompre le contrat de façon trop légère, mais qu’au contraire, le licenciement soit l’ultime mesure rendue nécessaire par la situation dans laquelle il se trouve.

Il était admis que le salarié devait être le dernier à subir les risques de l’exploitation de l’entreprise et que seules ses propres fautes dans l’exécution du contrat de travail ou l’impossibilité économique pour l’entreprise de continuer à le rémunérer pouvaient justifier la rupture du contrat.

Force est de constater que l’Etat agit désormais non pour protéger le salarié contre la rupture du contrat de travail mais pour protéger les entreprises contre les conséquences économiques que peuvent représenter les décisions de supprimer des emplois.

Ces décisions sont désormais présumées légitimes et la législation entend protéger le droit des dirigeants à les mettre en oeuvre de façon simple et rapide tout en réduisant les possibilités pour les salariés de les contester.

La question de la légitimité du motif de ces suppressions d’emploi s’estompe progressivement à mesure que croît la difficulté pour les salariés de soumettre cette question au juge et la limitation des conséquences de sa remise en cause.

Antoine Bon
Avocat, chargé d’enseignement en droit du licenciement


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