Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Un an après son ouverture, la salle de shoot de Strasbourg ne désemplit pas

Un an après le lancement de la salle de shoot de Strasbourg, la fréquentation s’établit entre 50 et 80 personnes par jour et ne faiblit pas. Élus et travailleurs sociaux se félicitent d’y accueillir un public auparavant très éloigné des soins. Prochain objectif : propose de l’hébergement pour accompagner les toxicomanes dans la durée.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Un an après son ouverture, la salle de shoot de Strasbourg ne désemplit pas

En France, deux salles de shoot ont été ouvertes, la première à Paris en octobre 2016 et la seconde à Strasbourg un mois plus tard. Baptisée Argos, la « salle de consommation à moindre risque » (SCMR) selon le vocable officiel de Strasbourg accueille les toxicomanes au rez-de-chaussée de l’ancien bâtiment de chirurgie thoracique à l’Hôpital civil. Tous les jours de l’année, de 13h à 19h, ce centre permet la consommation de stupéfiants, dans des conditions sanitaires adaptées et sécurisées. Les toxicomanes apportent leurs produits et sont accompagnés dans leurs gestes, des précautions leur sont conseillées, du matériel stérile est fourni, etc.

À Argos, 85% de la consommation de drogue se fait par injection, de la cocaïne et des opioïdes essentiellement. Le crack et l’héroïne, sniffés, sont moins fréquents. Entre 50 et 80 personnes transitent par Argos chaque jour, la majorité sont en situation de grande précarité. La moitié vit en hébergement précaire et 18% sont sans ressource. C’était la population ciblée par les pouvoirs publics qui ont porté la SCMR.

Malgré des précautions et la nécessité d’attendre au moins 30 minutes entre chaque consommation, quatre overdoses ont été comptées depuis le lancement d’Argos. La proximité avec les services de secours et les formations aux gestes d’urgence du personnel sur place ont permis à ces overdoses de ne pas être fatales.

Le docteur Alexandre Feltz, adjoint au maire de Strasbourg en charge de la santé, souhaite réhabiliter et accompagner. C’est l’un des objectifs de l’Argos :

« C’est un lieu important pour la santé et la sécurité. Nous avons réussi à toucher une large population strasbourgeoise notamment les personnes en situation de grande précarité. Ils n’ont bien souvent pas accès aux soins et réduire les risques liés à cette pratique. Ce centre peut prendre en charge ces personnes dépendantes et cela de manière précoce. »

Un kit attend les usagers de l’Argos. (Photo CM / Rue89 Strasbourg / cc)

Offrir l’écoute sans juger

Une équipe de professionnels spécifiquement formée accueille prioritairement les usagers injecteurs de drogues et / ou de médicaments en situation de précarité, en respectant leur anonymat. Ce sont des infirmiers, des assistants sociaux, médecins, psychiatres et éducateurs spécialisés… Au total, une équipe de 20 à 25 personnes est dédiée au fonctionnement d’Argos. Dans la journée, pour accueillir les usagers, l’équipe doit compter au moins 5 personnes : un infirmier dans la salle d’injection, deux chargés de sécurité devant le centre, etc.

À ce jour, aucun débordement n’a été déploré à l’intérieur du centre, aucun problème n’a été signalé entre les usagers et le voisinage et peu de contrôles de police aux abords du centre ont été relevés.

Anne-Sophie Koch est infirmière. Elle détaille son rôle :

« Les toxicomanes viennent ici parce que quelqu’un leur a conseillé. Nous leur proposons du matériel propre, sécurisé mais ce n’est pas tout : toute l’équipe s’emploie à leur offrir un moment de convivialité, de partage et d’écoute. »

Frédéric Krembel est quant à lui éducateur spécialisé, il appuie :

« La majorité des personnes ne viennent pas ici consommer de la drogue par plaisir. C’est devenu un besoin, une addiction pour échapper à leurs problèmes. Les raisons sont vraiment diverses. Notre rôle est de les écouter, sans les juger. Chaque personne a sa pratique, sa manière de consommer. Nous voulons être souriants, accueillants et non jugeants. »

Pour Hélène Niva, infirmière également, il s’agit d’un travail dans la durée :

« C’est vrai qu’un lien se crée au fil des rencontres. Certaines personnes viennent tous les jours, certaines restent toute la journée. Un dialogue se noue, nous ne sommes jamais intrusifs ou du moins on essaie de ne pas l’être. On est dans l’échange… »

Tous essaient de créer une atmosphère de confiance, de repos pour des habitués qui sont bien souvent en situation de grande précarité. Nourriture et vêtements sont proposés aux consommateurs de drogues grâce à des partenariats mis en place avec la Banque alimentaire et la Banque de l’objet.

2 personnes en cure, 13 dépistages d’hépatite C

Les encadrants sont également présents pour orienter vers des soins médicaux. Deux personnes sont parties en cure, treize ont été dépistées porteuses de l’hépatite C, quatre ont commencé un traitement de substitution. C’est le cas d’une jeune femme. Elle a demandé de l’aide au personnel. Au total, 180 personnes ont été orientées vers des soins, 391 personnes ont été enregistrées anonymement dans les fichiers d’Argos. Danièle Bader, directrice d’Ithaque, l’association gestionnaire du site précise :

« Pour les enregistrer, nous leur demandons simplement les deux premières lettres de leur nom et la première de leur prénom pour créer un dossier. Ainsi que leur mois et année de naissance. Nous n’acceptons pas les mineurs. »

Environ 90% des usagers d’Argos sont strasbourgeois, Danièle Bader souhaite également attirer les Allemands :

« Attirer les toxicomanes allemands, c’est notre objectif car nous sommes une région transfrontalière et nous devons progresser dans les dépistages, notamment concernant l’hépatite C. »

Pour cela, une équipe mobile d’Argos se rend dans des lieux tels que des espaces verts, des squats, pour sensibiliser et proposer de venir consommer les drogues au sein d’un lieu sécurisé. Danièle Bader précise :

« Nous faisons du travail de rue. Nous voulons créer un lien, donner des informations. Un éducateur se charge de réaliser de la prévention dans des lieux à risques, des lieux où la consommation de drogue se fait de manière non sécurisée. Un risque non seulement pour les usagers mais aussi pour les habitants. Les services de la ville, de nettoyage ou d’espace vert, nous contactent lorsqu’ils repèrent une zone avec des seringues par exemple. Nous envoyons du personnel sur place. »

L’ancien bâtiment de chirurgie thoracique héberge désormais Argos (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Nouvel objectif : devenir un petit centre d’hébergement

Pour Danièle Bader, les toxicomanes pourraient être plus nombreux encore à bénéficier de cette salle de consommation. La majorité des usagers actuels souhaite un accès aux soins accrus. Ils espèrent en particulier une possibilité d’hébergement. D’ici la fin 2018, Argos voudrait aménager le premier étage du bâtiment resté inoccupé. Une dizaine de chambres pourrait être aménagée. Cette extension est encore en discussion, cependant, la directrice d’Ithaque a un souhait en particulier :

« Nous voudrions être en mesure d’accueillir les personnes qui ont des chiens et ne veulent pas s’en séparer. Dans les lieux d’accueil pour les personnes en précarité, les animaux sont souvent interdits. Nous réfléchissons à cela. »

Les salles de shoot en France sont soumises à une évaluation constante, dans le cadre d’une expérimentation sur 6 ans. Après un bilan des effets de ces lieux, il s’agira de savoir si d’autres salles pourront ouvrir en France. L’exemple strasbourgeois est copié, une nouvelle SCMR pourrait ouvrir à Bordeaux en 2018, au sein de l’hôpital Saint-André.


#travail social

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Plus d'options