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Le redoutable impact des mobilisations en ligne, exemples à Strasbourg

Qui n’a pas apporté son clic à une cause quelconque sur Internet ? Les pétitions et mobilisations en ligne se sont multipliées et surprise, un petit clic peut parfois faire la différence. Retour sur trois mobilisations à Strasbourg avant notre soirée ciné-club de mardi, avec la projection du film « Des clics de conscience. » Des places sont à gagner pour cette soirée.

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« Au départ, accueillir ma filleule handicapée à l’internat était tout à fait impossible. Mais 20 000 signatures plus tard, l’Académie de Strasbourg a trouvé une solution. » C’est ainsi que François Muratet résume la campagne de signatures électroniques qu’il a menée en septembre 2017 sur le site change.org. Il raconte :

« J’ai lancé cette pétition pour ma filleule, Suzanne, atteinte d’une maladie neurodégénérative qui l’oblige à se déplacer en fauteuil. Elle a quinze ans, un âge où on apprécie pouvoir se détacher un peu de ses parents. Ils avaient effectué un nombre de démarches impressionnant pour lui permettre d’être accueillie en internat au lycée de Barr quand ils ont appris, le 29 août, que tout était remis en cause par l’inspection académique… Ils étaient complètement bloqués, plus personne ne répondait à leurs appels. J’ai alors lancé cette pétition qui a rencontré un certain succès. »

« Une pétition permet de fixer l’attention »

Le regard franc et déterminé de Suzanne et le sens de la narration de François Muratet ont permis à la pétition d’atteindre rapidement un millier de signatures. Il rappelle :

« On savait que Suzanne était victime d’une injustice, à chaque fois qu’on en discutait, les réactions étaient toujours indignées. Puis les gens demandent comment aider, et c’est là le véritable avantage d’une pétition en ligne, elle permet de fixer l’attention, de mobiliser une communauté et de donner des nouvelles. »

François Muratet et les parents de Suzanne ont relayé cette pétition auprès des personnalités et des élus locaux, dont Bruno Studer, tout nouveau député (LREM) du Bas-Rhin et président de la commission éducation. Il prend connaissance de la situation et promet de porter cette situation à l’Assemblée nationale. Entre temps, la pétition continue d’engranger les signatures. Elle en comptait 6 000 quand les Dernières Nouvelles d’Alsace relaient à leur tour le dossier fin septembre.

À l’Académie, les services commencent à s’échauffer… Alors que l’accompagnement de Suzanne était jugé « impossible » voire « illégal », des solutions sont trouvées. L’inspectrice chargée du handicap, déjà bien au fait de la situation, rappelle soudainement les parents de Suzanne et promet de régler la situation. L’administration dépêche même un fonctionnaire au conseil d’administration du lycée de Barr, afin de s’assurer que l’assemblée accueille favorablement la demande de la famille…

Victoire après un mois et 22 000 signatures

Le 14 novembre, après 22 000 signatures, la famille clame « victoire » et clos la pétition, Suzanne a pu passer sa première nuit à l’internat. Rétrospectivement, François Muratet se dit convaincu que c’est la pression en ligne qui a permis de débloquer la situation :

« Dans nos rapports avec l’administration, il n’a jamais été question de la pétition. C’était là mais on n’en parlait pas. Les agents de l’Académie avaient leurs textes, leurs règlements, leurs procédures et nous indiquaient se débrouiller avec ça. Mais tout le monde savait très bien qu’ils étaient forcés de nous écouter parce qu’à chaque fois que quelqu’un signait, tous leurs chefs recevaient des notifications régulièrement dans leurs e-mails et qu’ils voulaient que ça s’arrête. »

Après un premier trimestre passé à l’internat, Suzanne est finalement retournée dormir chez ses parents. L’adolescente, dont les soins nécessitent une relation très proche avec ses accompagnants, a eu du mal à supporter les changements de personnel. Mais elle a au moins pu tester ses limites.

Le vital soutien d’inconnus pour Alicia et sa fille

Alicia Andrès est une jeune maman de Cernay. Photographe, habituée à utiliser les réseaux sociaux, elle s’est donné en janvier 2017 comme défi de publier une photo par jour tirée de son quotidien. Mais en avril, on diagnostique à sa fille de 3 ans, Andréa, une leucémie. Elle a choisi d’intégrer la maladie dans son récit :

« Je ne voulais pas arrêter le projet et je ne voulais pas que ça devienne uniquement centré sur la maladie non plus. J’ai continué à publier des photos, dont certains d’Andréa avec ses cheveux rasés… Les posts sur Facebook ont commencé à atteindre une audience allant au-delà de notre cercle d’amis. Et en novembre, quand on m’a annoncé la rechute d’Andréa, j’ai été très surprise par l’élan de solidarité qui s’est déclenché. Ça nous a bien aidé, car j’étais plus bas que Terre. »

Une publication dans laquelle elle détaille les difficultés matérielles qu’elle va rencontrer avec son compagnon pour rendre visite tous les jours à Andréa à l’hôpital de Strasbourg-Hautepierre sera partagée plus de 5 000 fois. Dans les commentaires, des encouragements et des propositions d’hébergement :

« On avait besoin d’un hébergement, pour pouvoir passer quelques nuits à Strasbourg à tour de rôle. Les gens ont été très généreux, beaucoup nous ont proposé un canapé, une chambre… Et quelqu’un que je ne connaissais pas et qui utilise très peu son petit appartement nous l’a proposé. Sans Facebook, nous aurions dû recourir à la Maison McDonald’s, bien mais qui nécessite de réaliser des états des lieux d’entrée et de sortie tous les jours. »

Les neufs photos les plus appréciées en 2017 parmi "les photos d'Alicia" (Photos Alicia Andrès / Facebook)
Les neufs photos les plus appréciées en 2017 parmi « les photos d’Alicia » (Photos Alicia Andrès / Facebook)

À Noël, plus de cinquante cadeaux ont été envoyés à Andréa par des inconnus. Alicia reconnaît qu’elle est parfois submergé par cette générosité en provenance d’inconnus :

« Ça peut être envahissant, il y a parfois des questions qui sont trop personnelles… Mais je m’efforce de répondre à tous les commentaires et messages qui le méritent. Les gens ont tellement été bienveillants qu’on se doit de leur donner des nouvelles. Je pense avoir trouvé le ton et la distance justes, probablement parce que je pratique les réseaux sociaux dans le cadre de mon travail. Et publiquement, j’en profite pour sensibiliser au don de sang et de moëlle osseuse. »

Puissant allié des causes militantes

Du côté des militants, on a compris depuis longtemps le potentiel des pétitions en ligne. Le collectif Zéro Déchet de Strasbourg avait ainsi accompagné une mobilisation de parents d’élèves contre les barquettes en plastique dans les écoles par une mobilisation en ligne sur Facebook. Un manifeste avait été rédigé et signé par plus de 800 parents d’élèves en maternelle avant d’être envoyé au maire, Roland Ries. Cette pression citoyenne, les élus de la municipalité l’ont bien entendue puisque la Ville s’est engagée, à l’occasion du renouvellement du marché, à utiliser des plats en inox en remplacement du plastique en quatre ans.

Le collectif Zéro-Déchet a repris l’idée, en ciblant cette fois la Laiterie et ses gobelets en plastique, comme l’explique Simon Baumert :

« Avec la Laiterie, on a voulu utiliser change.org pour son aspect viral qui nous permet de dépasser le cadre des militants et sympathisants… On veut vraiment que la Laiterie comprenne qu’une bonne part de leur public apprécierait que la salle propose des gobelets réutilisables. Et ça fonctionne : grâce aux partages des uns et des autres, la pétition a dépassé les mille signatures. Le système nous permet aussi de suivre la popularité de cette campagne. »

Pour l’instant, la Laiterie n’a pas encore répondu favorablement au collectif. Mais Simon Baumert ne désarme pas :

« Régulièrement, on va relancer la campagne. Ils n’ont jamais répondu à nos e-mails et dès qu’on a lancé la pétition, on a obtenu un rendez-vous ! Donc ça progresse… Et on comprend bien pourquoi… Ils ne sont pas tellement intéressés par l’écologie mais ils craignent une baisse de leur image, parce que sur les réseaux sociaux, quand on parle de la Laiterie, c’est à propos de cette pétition… »

Le principe d’agir sur l’image n’est pas nouveau mais les effets combinés de la publicité et de la viralité des réseaux sociaux ont rendu ces mobilisations électroniques plus efficaces. Mais les victoires ne s’obtiennent pas sans effort : sur les 167 pétitions mentionnant « Strasbourg » de change.org, moins d’une dizaine se sont conclues par des « victoires » selon leurs auteurs (l’institut culturel italien ne sera pas fermé, une bibliothèque pour étudiants a été ouverte le dimanche…).

Élu d’opposition, le conseiller municipal Thierry Roos (LR) n’a pas jugé utile d’interpeller la municipalité sur la nouvelle tarification du stationnement. Il a préféré lancer directement une pétition contre « le racket du stationnement« . À l’heure d’écrire ces lignes, elle approchait des 4 000 signataires. Fera-t-elle évoluer la situation plus qu’une intervention en conseil municipal ?


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