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À Kingersheim, Jo Spiegel fait participer les habitants aux décisions locales (mais vraiment)

Maire de Kingersheim dans le Haut-Rhin depuis 1989, démissionnaire du PS en 2015, Jo Spiegel raconte dans son nouveau livre Et si on prenait – enfin ! – les électeurs au sérieux ses méthodes pour impliquer les habitants dans les décisions qui concernent leur ville.

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À Kingersheim, Jo Spiegel fait participer les habitants aux décisions locales (mais vraiment)

C’est une réunion publique houleuse au sujet du projet d’ouverture d’une nouvelle école, lors de son premier mandat de maire de Kingersheim, dans la banlieue de Mulhouse, au début des années 1990, qui a été le déclic des réflexions de Jo Spiegel sur la démocratie locale :

« Je ne comprenais pas comment des habitants pouvaient pétitionner contre l’ouverture d’une école ! J’ai très vite trouvé la réponse… et c’est à partir de là que je me suis dit que je co-construirai tous les projets importants avec les habitants. D’une part, l’instituteur qui était le directeur de la grande école de dix huit classes, grâce à une décharge spéciale, perdait cette dernière. On pouvait donc comprendre qu’il n’ait pas fait de publicité pour le projet. »

Mais surtout, c’est une chose qu’il n’avait pas vu, qui lui « a fait comprendre que quand on place l’intérêt général trop haut, on ne voit parfois plus le terrain » :

« Quand on ouvre une nouvelle école, on redistribue la carte scolaire. Or, avec cette redistribution, il y avait un certain nombre de chérubins “biens-nés” qui se retrouvaient à côté d’enfants de familles issues de l’immigration. Il y a eu un non-dit incroyable sur ce sujet. »

Dans son livre Et si on prenait – enfin ! – les électeurs au sérieux paru le 24 janvier aux éditions Temps présent, Jo Spiegel explique, sous la forme d’entretiens, ses aspirations et ce qu’il a mis en place pour améliorer la démocratie locale dans sa ville.

Finies les inaugurations par les élus

Dans sa commune de 13 000 habitants, le maire a arrêté les inaugurations avec des rubans par les élus, pour les remplacer par « un temps d’appropriation » pour tout le monde. Pour les jobs d’été, un système de tirage au sort est instauré. Ça, c’est pour réduire la distance entre l’entre-soi des élus ou les « y a qu’à, faut qu’on », mais l’autre enjeu est d’impliquer ses habitants dans les décisions.

Le maire, toujours réélu depuis 1989, porte un regard critique sur les grandes réunions publiques ou même les budgets participatifs, c’est-à-dire soumettre une partie de l’argent de la ville à des projets de ses citoyens, avant de faire voter les habitants. Seuls 1,5% des habitants votent à Porto Alegre (Brésil), la ville qui a pourtant lancé cette initiative. Depuis 2014, elle a été imitée par Rennes ou Paris en France.

Jo Spiegel a aussi été champion d’Alsace du 800 mètres en cours à pied (photo Le Temps présent)

Un blocage avec ses habitants

Pour enrayer le phénomène TLM « (toujours les mêmes » en référence aux personnes qui se pointent aux réunions publiques, à savoir beaucoup de retraités), Jo Spiegel s’est lancé dans un porte-à-porte en 1998, pour cerner les besoins des Kingersheimois à l’aide de questionnaires. Certes, 42% ont répondu et la restitution a permis « l’élévation du débat », mais il découvre un nouvel obstacle.

Sur deux points, il va contre la volonté de ses administrés. Sur les logements sociaux, rejetés à 82%, et la diminution des prix de l’eau. Sa commune comptait moins de 10% de loyers aidés, alors que la loi exigeait 20% et Jo Spiegel est convaincu des atouts de la mixité sociale. Quant à l’eau du robinet, baisser les tarifs revenait à diminuer la qualité de l’eau et des réseaux d’acheminement.  « La démocratie construction ne peut être la démocratie d’opinion », conclue-t-il de cet épisode.

Trois cultures qui ne s’entendent jamais

Pour Jo Spiegel, les blocages français viennent du fait que trois cultures politiques aiment s’ignorer : celle de l’indignation, de l’utopie et de la régulation. Convaincu que le suffrage universel donne la légalité, mais pas toujours la légitimité, il cherche à les réunir.

Parmi ses dernières innovations, les conseils participatifs, qui servent à élaborer toutes les grandes décisions de la commune. Ils sont composés à 40% de volontaires, 20% de personnes directement concernées par le projet et 40% de citoyens tirés au sort. Cela débute par une formation, ne serait-ce que pour le jargon utilisé. L’élu a selon lui un rôle d’animateur, avant d’être un décideur, et fixe quelques bornes, pour que les travaux ne partent pas dans tous les sens.

Pour autant, le maire regrette que ces mesures n’aient pas fait baisser le vote en faveur du Front national dans sa commune, aussi élevé qu’ailleurs en Alsace (40,25% au premier tour des dernières élections régionales).

Des états généraux et une nouvelle constitution

Le livre se termine par une compilation de réflexions postées sur les réseaux sociaux, dont les raisons de son départ avec fracas du PS en 2015 qu’il qualifie « d’officine de conquête du pouvoir ». Dans un autre témoignage, il raconte cet échange où une dame dans son bureau lui dit : « c’est la première fois que je rencontre un maire, je suis un peu stressée ». Sa réponse : « je le suis plus que vous, car mon souci est de trouver une solution à votre préoccupation. » Un moment où il a senti la confiance s’opérer.

À quelques mois de l’élection présidentielle, il expose dans l’un de ses textes quelle serait son unique mesure s’il était candidat :

« Élu, je le serai le temps d’une année pour organiser des états généraux de refondation de la République décentralisée et d’une démocratie réelle. Ceux-ci seraient financés, entres autres, par le budget consacré aux voyages d’études des députés et des sénateurs. […] Bassin de vie par bassin de vie, ils réuniraient par tirage au sort toutes les composantes, tous les âges, toutes les sensibilités et tous les regards de notre société. »

Cela déboucherait sur une assemblée constituante. Mais Jo Spiegel n’est pas candidat. À 66 ans, il exerce son dernier mandat à la tête de Kingersheim.

 


#démocratie locale

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