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Déchets nucléaires : tout ce qu’il faut savoir sur le projet à Bure

Du 1er au 10 août, des militants antinucléaires se réuniront à Bure, en Meuse, où le gouvernement projette d’enfouir des déchets hautement radioactifs. Objectif du rassemblement : faire le bilan des événements récents et anticiper ceux à venir, comme la conférence sur le changement climatique (COP 21). Retour sur ce dossier, controversé depuis 20 ans.

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Déchets nucléaires : tout ce qu’il faut savoir sur le projet à Bure

Souterrains du laboratoire de Bure (Photo Aurélien Glabas/Flickr/cc)
Souterrains du laboratoire de Bure (Photo Aurélien Glabas / Flickr / cc)

Bure. Si cette petite commune meusienne (Lorraine) de moins de 90 habitants n’avait pas été choisie pour y enfouir les déchets radioactifs les plus dangereux de France, personne n’en aurait jamais entendu parler. Depuis 20 ans, elle est devenue un lieu de lutte pour les militants antinucléaires et les opposants à un projet d’enfouissement qu’ils jugent aberrant.

Cigéo, c’est quoi ?

Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) est le nom donné à ce projet de stockage en couche géologique profonde. Le centre d’enfouissement est destiné à recevoir les déchets radioactifs « de moyenne et haute activité à vie longue », c’est à dire des combustibles utilisés dans les centrales nucléaires, dont la durée de vie est estimée entre quelques milliers d’années et plusieurs centaines de milliers d’années.

S’ils ne forment que 10% des résidus nucléaires, ils représentent aussi 99% de la radioactivité totale produite en France dans les centrales nucléaires.

Prototypes de colis dans lesquels vont être emballés les déchets radioactifs, dans le laboratoire de Bure. (Photo Aurélien Glabas/Flickr/cc)
Prototypes de colis dans lesquels vont être emballés les déchets radioactifs, dans le laboratoire de Bure (Photo Aurélien Glabas / Flickr / cc)

Cette méthode d’enfouissement n’a jamais été utilisée auparavant. Le laboratoire de Bure en constitue la première étape, avec pour objectif de tester la faisabilité de ce stockage. Aucun déchet n’y est pour l’instant entreposé. L’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), en charge du projet, doit attendre le feu vert du gouvernement pour cela.

En 2009, l’Andra a déterminé une ZIRA (zone d’intérêt de reconnaissance approfondie) de 30 km² dans le cadre de ses études souterraines. Elle se trouve au sein d’une zone de 250 km², définie en 2005, dans laquelle le laboratoire peut transposer ses résultats.

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Pourquoi à Bure ?

D’autres sites ont été envisagés dans un premier temps, pour y installer un centre d’enfouissement, notamment dans le Gard et la Vienne. Pour Frédéric Plas, directeur R&D à l’Andra, le site de Bure a été retenu pour des considérations scientifiques et politiques :

« Nous avons mené des études sur quatre sites, mais l’autorisation du gouvernement de poursuivre les travaux n’a été donnée que sur le site de Bure. Suite à des études de faisabilité sur ce terrain, nous avons entamé la construction du laboratoire. »

D’après l’Andra, le site a aussi été choisi pour les propriétés de sa roche souterraine. Épaisse de 120 mètres et vieille de 155 millions d’années, l’argile, réputée imperméable, permettrait l’enfouissement de ces déchets. A terme, le but est de stocker 10 000 m³ de déchets nucléaires à haute activité et 70 000 m³ de déchets nucléaires à moyenne activité.

A la fin de l’année 2010, le volume total de déchets radioactifs déjà stockés en France était de 1 320 000 m³. Cigéo est destiné à accueillir les déchets qui reposent actuellement dans des usines de retraitement en surface à la Hague (Basse-Normandie) et à Marcoule (Côtes-du-Rhône), ou à côté des centrales nucléaires. Pour Frédéric Plas, l’enfouissement des déchets radioactifs est actuellement la meilleure solution de stockage :

« Il est nécessaire de s’occuper des déchets radioactifs existants. L’entreposage en surface demande une surveillance trop importante à long terme. Le stockage fermé et souterrain permet d’éviter aux générations futures de devoir trouver une solution pour gérer les déchets que nous produisons actuellement. »

Ce projet a un coût et pourrait être, d’après l’Andra et les élus locaux, un tremplin économique aux départements de la Meuse et de la Haute-Marne.

Les arguments des opposants

Pour l’Andra, l’enfouissement des déchets radioactifs est la « solution la plus sûre ». Pour les opposants, c’est avant tout un « pis-aller ». Actions, débats, protestations, la résistance s’est organisée alors même que l’Andra décidait d’implanter son laboratoire à Bure au début des années 1990.

Au cours de l’avancement du projet, plusieurs associations ont fait leur apparition, dont Vosges Alternative Nucléaire, Bure Stop 55, le plus ancien, ou BZL (Bure Zone Libre), un collectif créé en 2004. Un an plus tard, BZL s’est associé au réseau Sortir du nucléaire et dispose de son propre QG, après avoir rénové une vieille ferme devenue aujourd’hui « la maison de résistance à la poubelle nucléaire de Bure ».

La "maison de la résistance à la poubelle nucléaire", dans le village de Bure (Photo Aurélien Glabas/Flickr/cc)
La « maison de la résistance à la poubelle nucléaire », dans le village de Bure (Photo Aurélien Glabas/Flickr/cc)
  • L’argile

L’un de ces points débattus, c’est le concept de « multi-barrières » défendu par l’Andra. Pour Frédéric Plas, la combinaison de plusieurs couches d’argile permettrait d’empêcher la radioactivité de s’échapper. Mais Antoine Godinot, géologue et militant anti-nucléaire, pense qu’utiliser de l’argile n’est pas forcément gage de sûreté :

« L’argile peut être de bonne qualité si elle reste à son état naturel. Mais lorsque l’on perce la roche en faisant des forages, elle devient un vrai gruyère. Les tests effectués ne sont pas fiables. »

Frédéric Plas réfute cet argument, en assurant que les expertises prennent en compte les modifications apportées à l’argile :

« Nous nous appuyons sur la couche géologique, vieille de plus de 150 millions d’années, pour
assurer la sûreté du stockage. Mais nous étudions toutes les situations possibles : même en cas de forage, la qualité de l’argile ne sera pas altérée. »

  • La géothermie

Un autre débat entre les associations et l’Andra porte sur la question de la géothermie : il existe en effet une source géothermique dans la zone souterraine du laboratoire de l’Andra. Après des tests effectués en 2008, l’agence de gestion des déchets radioactifs assure que la source de chaleur ne présente pas un « intérêt exceptionnel ». En clair, celle-ci peut-être exploitée par l’homme, mais ne présente pas d’attrait particulier par rapport à une autre source géothermique.

Pour Antoine Godinot, les tests ont été falsifiés. En mars 2015, il soutient les associations anti-nucléaires dans leur procès contre l’Andra, attaquée en justice pour désinformation. Leur demande est déclarée irrecevable, les associations perdent le procès. Antoine Godinot s’insurge :

« Nous n’avons pas eu notre mot à dire. Il existe une source géothermique, personne ne le nie, mais l’Andra a falsifié ses rapports et a eu gain de cause au procès. S’ils sont capables de tricher sur la géothermie, ils sont capables de tricher sur le reste. »

Le géologue pense que le procès est révélateur du manque de transparence autour du projet et du fait que « les gens ne sont pas du tout écoutés ».

  • La réversibilité

Frédéric Plas assure que l’enfouissement n’est pas forcément définitif, puisqu’il inclut une
notion de réversibilité : cela signifie qu’il sera possible de récupérer les colis de déchets radioactifs, au moins pendant 100 ans, avant qu’une autre solution de stockage ne soit trouvée.

Mais les militants anti-nucléaires ne croient pas à la possibilité de retour en arrière. C’est un argument qu’ils n’hésitent pas à qualifier « d’escroquerie » puisque le but initial est de confiner ces déchets et non pas de retourner y « farfouiller » par la suite. Du point de vue des opposants, l’enfouissement des déchets radioactifs serait avant tout un prétexte pour que la filière nucléaire puisse continuer.

Des « fausses vérités », des « mensonges », des « non-dits » : c’est ce que sont les discours de l’Andra pour les opposants. Des interviews réalisés par neuf étudiants en Master de journalisme et médias numériques à Metz reviennent sur les raisons de cette opposition. On y retrouve Jean-Luc Tonnerieux (militant à Vosges Alternatives au Nucléaire), Markus Pflûger (militant allemand de l’association « AntiAtomNetzTrier ») et Marion (militante anti-nucléaire de la maison de Bure).

La loi Macron, « un passage en force » pour les écologistes

Le débat sur la réversibilité n’avait, jusqu’ici, pas été tranché. C’est pourtant une condition indispensable au lancement du projet, d’après la loi de 2006 qui définit les conditions de mise en route du stockage. Cette même loi prévoyait qu’entre 2015 et 2018 les conditions de cette réversibilité fassent l’objet d’un débat parlementaire et d’une nouvelle loi.

Pourtant, un amendement défendu par le député et sénateur de la Meuse Gérard Longuet (Les Républicains) a été introduit dans la loi Macron. Cette loi a été adoptée le 10 juillet dernier à l’aide de l’article 49-3, donc sans débat préalable.

Le vote de cet amendement a été perçu comme un « passage en force » par Europe Écologie Les Verts, qui dénonce l’utilisation du 49-3 pour faire passer une loi controversée. Les écologistes ne sont pas les seuls à se sentir lésés. Dans un communiqué, Jean-Pierre Masseret, président socialiste du conseil régional de Lorraine, s’insurge :

« Quelle que soit la position de chacun par rapport au projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, cette méthode me paraît contraire aux principes d’expression et de liberté. »

Outre la question du stockage en lui-même, c’est la manière dont il est ici imposé qui pose problème : le processus est jugé anti-démocratique par les opposants.

Et après ?

La loi Macron, en définissant les conditions de réversibilité du stockage, franchit une étape supplémentaire vers la mise en service du projet Cigéo. Le calendrier prévisionnel édité par l’Andra se définit de la manière suivante :

  • 2017 : dépôt par l’Andra de la demande d’autorisation de création de Cigéo.
  • 2018 : enquête publique.
  • 2020 : début des travaux de construction des installations de Cigéo, sous réserve d’acceptation du dossier.
  • 2025 : mise en service de Cigéo par l’Andra, sous réserve de l’autorisation de l’Autorité de sûreté nucléaire.
  • 2025-2030 : phase de démarrage de l’installation.
  • 2030 et au-delà : développement progressif de Cigéo avec des réexamens périodiques de sûreté tous les 10 ans.

Soit, à partir de 2025, un stockage prévu pour des milliers d’années… et réversible seulement pendant une centaine d’années : après cette période où les colis de déchets radioactifs peuvent encore être retirés, l’Andra souhaite s’orienter vers une fermeture définitive du stockage.

Nadège El Ghomari & Clémence Simon

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