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La Tom’s fair house : hébergement solidaire, entraide et spätzles

Auberge alternative, organisme humanitaire ou communauté internationale ? L’association Tom’s fair house est un peu tout cela à la fois. L’objectif principal est d’accueillir ceux qui en ont besoin dans plusieurs appartements à Strasbourg. Mais chacun est mis à contribution pour faire vivre la « communauté ». Côté cuisines, des réfugiés s’organisent pour aider les personnes sans-abri.

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La Tom’s fair house : hébergement solidaire, entraide et spätzles

Le ton est donné quand Thomas Fritz, fondateur de Tom’s fair house, ouvre la porte d’un appartement rue Gustave Doré, au centre-ville de Strasbourg :

« Il suffit d’appuyer sur la poignée, vous savez, c’est toujours ouvert. »

Dans la grande pièce de ce logement d’une centaine de mètres carrés offre une décoration éclectique, une carte du monde, un chapeau chinois et des ukulélés côtoient un petit canapé en osier et d’autres meubles parés de tissus colorés. L’ensemble chaleureux : trois chambres plus ou moins grandes avec des lits superposés, une cuisine équipée, neuve, aux couleurs chaudes.

On rencontre plusieurs locataires, surtout des hommes : Fahran, trentenaire venu d’Irak il y a trois semaines, vient de faire à manger pour tout le monde, et chacun déguste son repas, à table ou sur les canapés.

Il y a là Alain, la cinquantaine, qui boit son café en toute discrétion. Il est à Tom’s Fair House depuis quelques jours et se débat avec quelques problèmes de santé et d’alcool. Mathieu, jeune canadien dynamique, nous accueille chaleureusement. A côté, Adam, le seul adolescent, est beaucoup plus timide. Thomas nous explique qu’il est venu de Tchétchénie en France il y a un an et demi avec sa famille.

C'est au salon que les résidents de l'appartement rue Gustave Doré peuvent se retrouver et déjeuner (Photo DL / Rue 89 Strasbourg / cc)
C’est au salon que les résidents de l’appartement rue Gustave Doré peuvent se retrouver et déjeuner (Photo DL / Rue 89 Strasbourg / cc)

Un concept de cohabitation à besoins multiples

Comme les autres résidents, il donne un coup de main selon ce qu’il peut faire. Car s’il est difficile de réduire le projet de Thomas Fritz à un seul concept, il le résume tout de même sous le vocable d’ »auberge alternative. »

Plusieurs profils y cohabitent : les touristes payent pour de courts séjours via des plate-formes comme AirBnb, les « woofers » logent gratuitement en échange d’un travail pour la communauté et il reste des lits à disposition pour les personnes dans le besoin.

L’idée remonte à 2013. Thomas Fritz est ingénieur en informatique, passé par Alcatel, EDF, mais aussi par le Conseil de l’Europe. Les Strasbourgeois l’ont aussi connu en tant que très éphémère propriétaire du Racing Club de Strasbourg. Thomas est un peu rêveur, et, décidé à rendre le monde meilleur, il lance un projet à destination du Burkina Faso, où il veut former des communautés à l’informatique « sobre au niveau énergétique », et aussi monter des projets d’éducation par le sport, notamment une école de football féminin.

Huit à dix personnes dans un appartement

Pour financer tout cela, il commence par louer un appartement situé quai Finkwiller sur Airbnb, pouvant loger jusqu’à neuf personnes avec des chambres partagées. Suivra un appartement rue Sainte-Madeleine exclusivement pour les femmes, avec cinq couchages.

L’association, dont les membres sont en fait Thomas Fritz et ses parents, est locataire de ces appartements, mais le propriétaire est d’accord avec son activité. Il est d’ailleurs en train de faire la démarche de changement d’usage auprès de la Ville.

Rue Gustave Doré, c’est Thomas Fritz le locataire, qui a passé un accord de sous-location avec le propriétaire. Huit à dix personnes peuvent cohabiter dans l’appartement. Il concède que parfois, cela fait un peu beaucoup :

« On tiendrait économiquement à huit, mais parfois j’ai du mal à dire non ».

Selon Thomas, les recettes d’hébergement touristiques suffisent à payer les loyers et les charges des appartements, ce qui permet de maintenir le modèle hybride propre à Tom’s Fair House :

« Par exemple, pour l’appartement Gustave Doré, nous devons rentrer entre 2 000 et 2 500€ par mois, donc environ 80€ par nuit. Si on loge quatre personnes à 20€ la nuit, c’est bon ! »

Le côté communautaire et solidaire de Tom’s Fair House est rappelé à tous les instants, par exemple sur les annonces des chambres sur Airbnb :

« Pourquoi nous choisir ? Parce que vos voyages changent le monde : l’argent de vos locations finance des projets solidaires en Alsace, en Équateur et au Burkina Faso ! »

Leur site avance qu’en deux mois en 2013, 4 000€ ont pu être récoltés pour participer au financement d’une école de sport et musique au Burkina Faso.

Les publics accueillis à Tom’s Fair House sont issus de parcours très différents (Photo TFH)

Une opportunité pour se relancer

Thomas raconte l’évolution du projet, qui peut paraître confus car toujours en évolution :

« A l’origine c’était ça : des jeunes un peu paumés viennent, et on leur dit « Take your passion and make it happen ». Ici, c’est une possibilité de laisser les gens libres pour trouver ce qu’ils vont naturellement faire, et qui soit utile pour le bien public. »

Il donne l’exemple de Davide, étudiant passé par la Tom’s Fair House il y a quelques années, qui s’est finalement tourné vers la musique et participe aujourd’hui au groupe Papyros’n. Rue Sainte-Madeleine, c’est une dame hollandaise qui occupe le « lit social », comme le décrit Thomas :

« Elle avait besoin d’un endroit où se poser, pour l’instant on ne lui a rien demandé, il faut qu’elle prenne le temps de se retourner. Mais elle a une formation de juriste. Peut-être qu’elle pourra nous aider là-dessus à l’avenir ! »

Beaucoup d’idées, quelques unes finissent pas se réaliser

Thomas bouillonne toujours d’idées, et s’enthousiasme vite pour des projets futurs, même sans savoir si ce sera faisable ou adapté :

« Peut-être qu’on fera un mini restaurant, ici dans l’appartement! On vit en colocation, on accueille des gens pour manger, ça paye le loyer… Pourquoi pas? »

Car les projets de l’association, des locataires et woofers, ne sont jamais fixes, mais tout le monde est encouragé à se rendre utile tout en rapportant un peu d’argent. Il y a quelques années, des woofers avaient organisé un concert, dont les bénéfices revenaient à l’association.

Publicité artisanale créée par les enfants résidant à Tom's fair house, pour leur vente de Spätzle (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)
Publicité artisanale créée par les enfants résidant à Tom’s fair house, pour leur vente de Spätzle (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Quand les réfugiés veulent aider les sans-abris

Selon Thomas, ce sont les locataires qui ont eu l’idée des Refugee Spaetzle, opération dont l’objectif est de cuisiner des pâtes alsaciennes par dizaines de kilos, et de les vendre, par Facebook, pour financer l’association. A côté de cela, plusieurs réfugiés ont décidé de participer à des maraudes la nuit, pour apporter de quoi manger et boire aux personnes sans-abris.

Thomas raconte que l’idée était d’apporter de la chaleur, mais aussi quelques denrées originales, pour casser la routine :

« On avait de la soupe chaude bien sûr, mais on a aussi fait de la compote, et on a apporté un peu d’alcool fort en faible quantité. Il y en a qui étaient vraiment contents de pouvoir boire un bon schnaps ! »

Dans l’appartement, une carte de Strasbourg recense où se trouvent les sans-abris, pour faciliter les futures maraudes.

« Apprendre à se connaître »

Mais Thomas affirme que la solidarité est au fondement de sa démarche, qui est non seulement une manière de s’entraider, mais aussi une vraie vie en communauté et un enrichissement de tous les instants. Depuis quelques temps, ce sont surtout des personnes étrangères qui toquent à la porte de « Tom », orientées par des associations. Thomas préfère ça :

« Pourquoi mettre les réfugiés dans des campements ? On a un bon équilibre ici. Ça se mélange, et tout le monde se tire vers le haut. On a des « réfugiés » français ou étrangers, c’est pareil. Quand il y a des sessions au Parlement, on a des attachés parlementaires qui cohabitent avec eux. L’idée, c’est surtout d’apprendre à se connaître. »

Cette joyeuse cohabitation est mise en avant sur leur page Facebook : Kan est érythréen, Tarek est un jeune marocain arrivé il y a à peine deux semaines. Avec Mathieu, Fahran et les autres, ils s’organisent des sorties, immortalisées par Elvin (le prénom a été changé), azerbaïdjanais qui s’occupe de faire des petits reportages et du montage vidéo. Thomas raconte :

« Hier soir, on est tous allés dans un restaurant alsacien, pour que ceux qui viennent d’ailleurs découvrent les spécialités d’ici ».

 

On trouve dans les appartements des rappels sur l'origine et la mentalité du projet de Tom's fair house. (Photo DL/Rue 89 Strasburg/cc)
On trouve dans les appartements des rappels sur l’origine et la mentalité du projet de Tom’s fair house. (Photo DL/Rue 89 Strasburg/cc)

Débrouille, bricolage et mutualisation pour plus de lits

Depuis janvier, Thomas Fritz a même mis deux pièces de son propre appartement à disposition, de l’autre côté du palier, pour pouvoir loger des réfugiés en urgence. Il répète à l’envi qu’il n’y a pas de raison d’avoir des pièces vides quand des gens dorment dehors. Comme les parents d’Adam, qui sont sourds-muets, et qui sont ballottés d’hébergement en hébergements depuis presque deux ans.

Il raconte que le 115 avait rappelé la famille pour leur proposer un logement social, mais que c’était trop indécent et que, pour l’instant, elle resterait chez lui :

« Il n’y avait rien, c’était du camping : des lits de camp, pas de couverture. Un immeuble dégueulasse. Comment on peut proposer des trucs pareil aux gens ? On devrait d’abord leur laisser une chance. »

Thomas a aussi reconverti sa cuisine :

« On s’est dit qu’une seule cuisine pour tous, dans l’autre appartement ça suffisait ! Comme ça, Fahran a sa propre chambre. On a dû construire un lit d’ailleurs, à partir de morceaux d’étagères et d’un vieux sommier. Mais c’est comme ça que ça marche, à partir d’un besoin, on crée quelque chose ».

La cuisine est rapidement devenu le lieu de sociabilisation le plus utilisé (Photo TFH)

Développer le modèle du « social privé » ?

L’activité de Thomas et ses compères laisse un peu sceptiques les acteurs traditionnels de l’aide aux personnes sans-abri ou demandeurs d’asile. Pour certains, l’initiative de Thomas Fritz se rapproche d’une solidarité à la carte :

« Ces gens qui soudain veulent sauver les SDF sans concertation avec l’existant font parfois plus de mal que de bien. Par exemple, pour la vidéo sur les policiers qui réveillent les SDF, ils ont filmé en douce sans les prévenir, c’est un manque de respect. Il faut être clair, il s’agit d’un projet commercial d’auberge. Ils se présentent comme un logement pour les SDF mais ils n’acceptent les personnes doivent être non-toxicos, sans alcool, sans animaux, et “gentils”. »

Un positionnement assumé de la part de Thomas Fritz, qui précise que sa politique est d’accueillir les personnes avec « de bonnes intentions ». Il raconte avoir « pris entre quatre yeux » un résident qui était rentré ivre deux soirs de suite, pour lui dire qu’il était impossible de continuer ainsi à Tom’s Fair House…

Thomas n’a pas l’intention de rendre des comptes sur ses activités. Après des années de tutelle publique sur l’aide sociale, le modèle économique de Tom’s Fair House réinvente la charité privée :

« On veut se développer, trouver de nouveaux locaux. Parfois la Ville nous indique des endroits vacants, mais c’est vraiment beaucoup de démarches administratives, et on n’a pas forcément les compétences ni le temps pour le faire. On ne veut pas prendre de l’argent public, on préfère rendre de l’argent à l’Etat. Notre objectif est de devenir une société coopérative, où les gens investiraient, dans des appartements par exemple. Je pense que pour chaque problème public, il existe un modèle économique. »

Pour les SDF alcooliques en revanche, il faudra néanmoins toujours compter sur l’aide sociale publique.


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