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De passage dans le Bas-Rhin, le Service national universel réveille les traumas du service militaire

Adolescents au garde à vous, drapeau tricolore, uniformes… Depuis sa mise en place en 2019, l’imagerie du Service national universel (SNU) se déploie dans les médias et sur les réseaux sociaux. Malgré l’activisme gouvernemental pour promouvoir le dispositif, les effectifs plafonnent et son caractère politique empêche un déploiement consensuel.

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De passage dans le Bas-Rhin, le Service national universel réveille les traumas du service militaire

Un tract décoré avec les logos de syndicats, d’organisations politiques, de collectifs écologistes, citoyens ou féministes… appelle à s’opposer au village du Service national universel (SNU), qui doit s’installer près du centre commercial Rivétoile à Strasbourg ce samedi (Il a finalement été déplacé à Haguenau, voir notre article).

Lancé en 2019, le Service national universel est un dispositif proposé à des jeunes volontaires de 15 à 17 ans pour « renforcer l’unité nationale ». Au cœur de ce dernier : un séjour de cohésion de deux semaines où les adolescents sont encadrés par des animateurs et des militaires. L’accent y est mis sur des réalisation en équipe, dans un cadre de vie strict et sous les rites républicains : la Marseillaise et levée des couleurs nationales chaque matin, uniformes pendant les temps collectifs, etc. Pour ses opposants, c’est le retour d’un service militaire qui ne dirait pas son nom. Une crainte étayée par la révélation par l’hebdomadaire Politis de documents faisant état de la volonté gouvernementale de rendre ce service obligatoire pour tous les jeunes de 16 ans d’ici 2026.

Une cristallisation des colères

Si la mise en place d’un SNU obligatoire a été repoussée par le président de la République, Emmanuel Macron, l’opposition politique n’est pas retombée. Syndicalistes et militants de gauche comptent bien perturber la caravane du SNU prévue ce samedi à Strasbourg.

Simon Levan, président de l’Alternative étudiante Strasbourg (AES), est direct :

« Le SNU est une volonté de dressage de la jeunesse. C’est un projet nationaliste. Marcher au pas, se mettre en rang, être en uniforme, c’est rentrer dans une socialisation militaire. Même si c’est fait de façon ludique, c’est une première étape vers une militarisation de la pensée. »

Le 4 mai 2023, les Jeunes écologistes d’Alsace et La Voix lycéenne organisaient une table ronde sur le Service national universel. Photo : RG / Rue89 Strasbourg / cc

Destinée à assurer la promotion du dispositif auprès des jeunes et du grand public, la caravane itinérante du SNU a dû être annulée dans plusieurs villes sous la pression des manifestants. En Alsace, un appel à rassemblement à proximité a été lancé par plus d’une vingtaine d’organisations. « On est à l’initiative de la réunion par rapport à la venue de la caravane du SNU et on a eu beaucoup de réponses d’organisations très variées, déclare Maxime Salvi », co-secrétaire de Sud éducation Alsace. Pour ce professeur de Sciences-économiques et sociales, l’objectif est de faire annuler l’événement ou a minima perturber son déroulement.

Opposer les jeunesses

« Pour le gouvernement, il y a deux jeunesses : la mauvaise qui était dans la rue contre la réforme des retraites et la bonne qui va dans le SNU », déclare Simon Levan. Enja Boutin, des Jeunes écologistes d’Alsace, reproche au gouvernement de nier les formes d’engagements déjà présentes dans la jeunesse :

« Je suis engagée, on a plein de jeunes qui sont engagés aujourd’hui et ce n’est pas du tout reconnu. L’engagement, ça doit être quelque chose de personnel. »

À l’évocation des missions du SNU, le ton monte chez Sud éducation Alsace. Pour le syndicat d’enseignants, renforcer les valeurs républicaines et le vivre-ensemble est déjà une des missions de l’Éducation nationale comme le détaille son co-secrétaire Pierre Flanet :

« Il y a des fonds de l’Éducation nationale affectés au SNU qui pourraient être affectés à d’autres choses, notamment des recrutements d’enseignants. Ce serait bien plus utile pour les jeunes. »

Des ratés en série et des polémiques

En 2019, Gabriel Attal déclarait aux Échos qu’il espérait trouver 150 000 volontaires pour participer au SNU en 2021. Même si la crise sanitaire est passée par là, le SNU compte à peine 32 000 inscrits en 2022. Pire, les sessions ont été émaillées d’incidents, comme à Strasbourg le 5 juillet 2022, où des adolescents ont été contraints de faire de pompes en pleine nuit lors une punition collective.

Si la nature très politique du dispositif focalise l’attention de la presse sur les ratés, il n’en reste pas moins que le fonctionnement du SNU pose question. Plusieurs animateurs contactés par Rue89 Strasbourg témoignent de rapports conflictuels avec les militaires en retraite encadrant les séjours :

« Des militaires avec qui j’ai dû travailler ne savaient pas encadrer des jeunes. On se faisait remettre en place et engueuler devant les enfants, alors qu’une règle de base est de ne pas avoir de conflit ouvert devant eux. Il y a eu beaucoup de blessures dans les séjours. Lors de mon premier SNU, j’ai dû appeler une quinzaine de fois le Samu en trois jours. »

Image extraite d’une vidéo montrant la punition collective des jeunes volontaires du SNU à Strasbourg le 5 juillet 2022.

Suite à ces mauvaises expériences, cette animatrice a arrêté les séjours SNU en 2022. Un autre animateur a une vision plus optimiste :

« J’ai le sentiment que le système ne recrute plus uniquement des vieux militaires pour les postes d’encadrement. Les séjours se rapprochent plus d’une colonie que du service militaire. Certes, il y a les rites républicains, mais ce n’est pas l’essentiel. »

Pour la majorité des animateurs rencontrés par Rue89 Strasbourg, les jeunes accueillis trouvent leur compte dans le SNU, à condition qu’il reste accessible sur volontariat.


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