« C’est un exercice rare pour nous. Notre vocation est d’animer une tribune, pas de faire des points presse », commence Alexandre, porte parole de la Fédération des supporters jeudi 25 septembre. Mais l’heure est grave pour ces fans engagés « pour un Racing indépendant, populaire et différent ». C’est leur première expression publique depuis l’annonce de mesures de censure et de surveillance par le président du club Marc Keller. Elles faisaient suite à des banderoles déployées lors du match contre Le Havre le 14 septembre. Alexandre rappelle :
« Ces banderoles posent des questions légitimes. On peut juger qu’elles sont provocatrices. Nous ne le trouvons pas. Elles relèvent de l’exercice normal de notre droit à la libre expression. […] Nous avons le sentiment que ce qu’on nous reproche, c’est un délit d’opinion, contre la multipropriété dans le football. »

« Marc Keller n’est plus qu’un communicant de BlueCo »
Communiqué de quatre associations de supporters du RCSA
Tout a commencé avec la publication d’un communiqué signé par quatre associations, dont les ultras qui mènent les chants lors des matchs au stade de la Meinau. Les UB90, le Kop Ciel et Blanc, la Pariser Section et la Fédération des supporters du Racing comptent déjà 1 539 membres pour la saison 2025-2026, dont 800 chez les UB90. Mi-septembre, ils dénonçaient à nouveau le rachat du club par BlueCo, un consortium d’investisseurs américains aussi propriétaire du Chelsea FC. Dans leur déclaration, les supporters suggéraient le départ du président : « Marc Keller n’est plus maître des décisions de ce club qu’il avait su rebâtir avec des bases solides. Aujourd’hui il n’est plus qu’un communicant chargé de défendre la politique de BlueCo. »
Lors du match contre Le Havre le même jour, les UB90 brandissaient une banderole qui allait déclencher une intense polémique : « Marc Keller, merci pour cette décennie dorée, il est temps de s’en aller ! » Une autre bannière de la même association demandait à un joueur, Emmanuel Emegha, de « rendre son brassard » de capitaine parce qu’il a déjà annoncé son départ et posé avec le maillot de Chelsea, le club phare de BlueCo.
« On n’a enfreint aucune ligne rouge »
« Est-ce qu’on a le droit de se questionner sur de telles pratiques ? », fait mine de questionner Alexandre. Puis il continue : « C’est très soft. On n’a enfreint aucune ligne rouge, aucune loi. » Mais visiblement, pour certains, c’était déjà trop. Sur les réseaux sociaux, la banderole suscite des centaines de commentaires d’autres supporters du Racing. Certains profèrent des insultes contre les ultras. D’autres vont jusqu’à demander des interdictions de stade contre ces associations qui organisent pourtant bénévolement, depuis de longues années, diverses animations à Strasbourg ainsi que des déplacements dans toute la France.
Suite au match, la banderole continue de susciter des réactions jusqu’aux notables locaux. Des personnalités des milieux économiques et politiques signent une tribune de soutien à Marc Keller. Jeanne Barseghian, la maire écologiste de Strasbourg, en fait partie. Elle n’a pas répondu à Rue89 Strasbourg sur ce qui l’a poussée à prendre cette décision.
Des bénévoles passionnés, attaqués de toutes parts
« Les banderoles ont été déployées uniquement par les UB90, et c’est les quatre associations qui sont ciblées », remarque Alexandre :
« Même si nous sommes tous solidaires des messages, cela interroge. C’est pour avoir signé le communiqué que nous sommes pénalisés ? Nous ne le savons même pas. Ils nous ont juste envoyé un mail avec la liste des mesures, en disant que c’était pour “notre comportement inacceptable”. C’est très flou. Nous avons proposé un échange au club mais il a refusé. »
Parmi les sept mesures, le club impose le contrôle de toutes les banderoles déployées, une escorte par la sécurité pour l’accès à leurs locaux dans le stade ou encore l’installation d’agents de sécurité à leur niveau dans la tribune. Alexandre se dit particulièrement choqué par ce tournant. « Nous sommes des supporters très engagés. Ils nous frappent dans notre vie », confie-t-il :
« Nous avions un partenariat étroit depuis le dépôt de bilan du club en 2011. Nous avons continué à encourager le Racing en toutes circonstances. Nous nous rendions service mutuellement. Si on en est là aujourd’hui, c’est aussi grâce aux supporters. Pour révoquer tout ça, ils nous ont envoyés un simple courriel. »
« La liberté d’expression est un droit, pas un privilège »
Après ce courriel de la direction du RCSA, le premier contact entre le club et les supporters ultras a eu lieu lors du déplacement pour le match contre le Paris FC le 21 septembre. « Nous, les UB90, avions affrété deux bus », relate Maxime, vice-président des UB90. Il y avait aussi un bus du Kop Ciel et Blanc, et un autre du CCS (une autre association, NDLR). « Nous avons eu droit à une fouille de la police à notre arrivée, une deuxième fouille de la sécurité du stade, et à des contrôles d’identité par des agents de sécurité du Racing. On pense que ce n’est même pas légal. » Sollicité pour discuter de ces mesures, le club n’a pas répondu au moment de publier cet article.

Dans le même temps, des banderoles de soutien aux supporters strasbourgeois ont été déployées dans plusieurs tribunes en France le week-end du 20 septembre. « Multipropriété : gangrène du football. Soutien aux UB90 », à Lyon. « La réussite éphémère aveugle le grand public. Des clubs courent à leur perte. Non à la multipropriété », à Saint-Etienne. « La multipropriété est l’ennemie du football français », à Marseille.
Lundi 22 septembre, une centaine de supporters représentant les quatre associations se sont réunies pour discuter de l’attitude à adopter, notamment pour le match contre l’Olympique de Marseille (OM) le 26 septembre. « On veut que tout se passe bien. Donc on va jouer l’apaisement et respecter les dispositions prises par le club. Même si on ne les cautionne pas et qu’on demande leur suspension », explique Maxime :
« On ne sait pas encore vraiment ce qui peut être accepté par le comité de censure, mais voilà les banderoles qu’on va présenter : “Pour un Racing indépendant, populaire et différent” et “La liberté d’expression est un droit, pas un privilège”. Mais ce n’est pas en procédant brutalement, en nous intimidant, qu’ils vont obtenir qu’on chante pendant tout le match. Cela entérinerait que leur répression fonctionne. »
Silence contre l’OM
Les associations ne chantent plus pendant le premier quart d’heure des matchs depuis l’été 2024, pour manifester contre BlueCo. Face à l’OM, elles prévoient de rester silencieuses tout le match. « Nous lançons un ultime appel à la présidence, pour qu’ils fassent un pas vers nous. Alors nous pourrions peut-être changer d’avis, estime Maxime. Mais pour l’instant, nous n’avons pas le cœur à nous défoncer les cordes vocales. Aux autres supporters qui demandent notre dissolution et qui veulent en même temps qu’on chante pendant 90 minutes, on ne leur interdit pas d’encourager l’équipe eux-mêmes. »
Pour sortir de cette crise, les associations de supporters demandent que la présidence « se rapproche d’eux ». « Nous avons toujours été dans le dialogue, nous souhaitons l’apaisement, assure Alexandre. On pourrait imaginer que ça se calme après un retrait des mesures, et des engagements concrets pour ne pas être dans une forme de multipropriété aussi agressive. On aimerait aussi un dialogue avec les propriétaires. »
« Marc Keller nous avait promis en 2023 qu’ils souhaitaient nous rencontrer », abonde Maxime :
« On a re-sollicité cet échange à de nombreuses reprises mais il n’a jamais eu lieu. En avril dernier, un rendez-vous était enfin prévu avec Behdad Eghbali (l’un des actionnaires majeurs de BlueCo, NDLR). Il est arrivé avec 1h15 de retard et nous n’avons pu parler que 10 minutes. Nous n’avons pas réellement discuté. »
Proposition de loi contre la multipropriété
Quoiqu’il arrive, ces associations de supporters continueront leur engagement contre « la financiarisation du football ». Ce ne sont pas les rares prises de parole de Behdad Eghbali qui vont les rassurer. Ce dernier considère par exemple que le sport européen à 20 ans de retard sur le sport américain. « Dans le sport américain, souvent il n’y a pas de système de relégation et de montée, ce sont des ligues fermées », déplore Alexandre. Les clubs doivent acheter leur place pour participer au championnat. « Nous sommes pour l’équité et l’éthique sportive. On a toujours combattu le foot business et on continuera à le faire », prévient-il.

Les supporters rappellent que des dispositifs existent pour lutter contre les prises de pouvoir d’investisseurs comme c’est le cas au Racing. En Allemagne, les clubs sont des associations dont les supporters peuvent être membres. Et ces associations doivent détenir 50% des parts plus une voix minimum. Cela empêche que des propriétaires prennent le contrôle. Des associations de supporters participent ainsi aux décisions puisqu’elles sont membres du club. Par ailleurs, le député La France insoumise Éric Coquerel a déposé une proposition de loi visant à interdire la multipropriété des clubs de football. Elle est soutenue par des députés de plusieurs partis, y compris de droite, et pourrait être présentée à l’Assemblée nationale fin 2025 ou début 2026.


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