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À Strasbourg, la culture prend un tournant participatif

Si le Covid a beaucoup affecté les institutions culturelles et modifié les habitudes du public, il a aussi permis aux structures de repenser leur rapport aux spectateurs et de prendre un tournant participatif.

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À Strasbourg, la culture prend un tournant participatif

« La programmation sera collective et pensée par un conseil de programmation dont les membres seront notamment issu·es des collèges de la coopérative », annonce fièrement le nouveau cinéma Cosmos (anciennement Odyssée), sur son siteRepris par l’association du Troisième Souffle, le cinéma municipal (qui devrait rouvrir ses portes avant l’été, après quelques travaux), se veut « l’affaire de toutes et tous ».

Pour ce faire, l’association s’est transformée en janvier 2023 en SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) à capital variable. Tous les usagers qui le souhaitent peuvent désormais l’intégrer en s’acquittant d’au moins une part sociale pour les personnes physiques, et de deux pour les personnes morales, au prix de 20€ l’unité. Cette mutation entraîne un renversement intéressant, puisque la programmation des films ou des événements ne reposera donc pas sur une seule personne, comme il en est fréquemment l’usage, mais sera « collective » et pensée par un conseil de programmation. 

Les Strasbourgeois pourront participer à la programmation du cinéma Cosmos

En attendant la réouverture prochaine de ce cinéma municipal, Étienne Hunsinger, nouveau directeur du Cosmos, se réjouit de cette forme beaucoup plus participative :

« En plus de permettre de nouer des liens forts avec les différents futurs usagers, leur permettre de s’exprimer et de prendre des décisions sur la programmation, cela va permettre également un enrichissement certain. Le but est d’ouvrir les horizons, confronter les visions, trouver des consensus, surprendre… Qu’on soit un expert en cinéma ou non, les spectateurs pourront faire des propositions et les porter jusqu’à la projection. »

Le cinéma municipal poursuit sa mue au fil des travaux. Fini l’Odyssée, bienvenue au Cosmos. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg

Le conseil de programmation réunira dix personnes provenant des six collèges décisionnaires. Celui des salariés, des membres initiateurs du projet, du bar, des partenaires culturels, des partenaires publics et – bien sûr – des spectateurs. Deux représentants de ce dernier collège seront chargés de faire remonter les propositions de films ou de cycles thématiques.

S’il était important pour les nouveaux membres de proposer un cinéma participatif dans sa forme – la coopérative – des formats plus informels seront testés pour inclure toujours davantage les spectateurs, décrit Étienne Hunsinger : 

« Le fonctionnement du cinéma s’affinera après l’ouverture, mais nous avons déjà l’idée d’une ”séance des spectateurs”. Les usagers pourront proposer des films qui seront validés ensuite par un sondage. Le but serait que la personne qui l’a proposé puisse ensuite animer la séance et expliquer son choix. On assisterait alors à un véritable partage de la culture. »

Les spectateurs pourront également se porter bénévoles – sans nécessairement appartenir à la coopérative – lors d’événements de différentes tailles pour participer à la vie du cinéma, que ce soit en accueil, en médiation, etc.

Le cinéma a mis en place un jeu de loto pour permettre aux spectateurs impatients de parier sur la date d’ouverture. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg

Si l’exemple du Cosmos est le plus marquant dans la façon dont il laissera une place particulièrement importante à ses spectateurs, d’autres lieux de culture s’ouvrent actuellement à la possibilité d’impliquer davantage leur public.

Les Cinémas Star donnent la parole aux jeunes

Les cinémas Star ont créé, il y a près d’un an, un Club Jeunes Cinéphiles, ouvert aux 15-25 ans. Si l’adhésion au club (5€ la carte) donne accès à des tarifs préférentiels, des goodies et des rencontres avec des artistes, elle permet également aux jeunes spectateurs d’échanger sur les films dans une conversation Whatsapp ou lors d’apéros. Ses membres les plus motivés peuvent également devenir ambassadeur et s’investir encore davantage dans la vie du cinéma. 

Les ambassadeurs et ambassadrices du Club des jeunes cinéphiles se sont réunis cette semaine pour élaborer le questionnaire de leur prochaine séance de Quiz, ouverte à tous les spectateurs.
Les ambassadeurs et ambassadrices du Club des jeunes cinéphiles se sont réunis cette semaine pour élaborer le questionnaire de leur prochaine séance de Quizz, ouverte à tous les spectateurs. Photo : Baptiste Weick / doc remis

C’est le cas d’Élise, 20 ans, qui a rejoint le Club dès les débuts, en janvier 2022. Passionnée, elle va voir des films toutes les semaines et est connue dans sa promo comme « la fille qui va au cinéma ». Pour elle, ce club est une vraie opportunité. 

« On est vraiment poussé à voir beaucoup de films et à donner notre avis, mais en même temps, on est très libre. Il y a une réelle volonté du directeur pour qu’on soit autonome. Par exemple, on peut proposer des événements. On a lancé des quizz autour du cinéma et nous présentons aussi certaines séances ! »

Élise est également en charge du compte Instagram du club, sur lequel, avec d’autres membres, ils réalisent des critiques de film en vidéo ou à l’écrit. Elles sont parfois publiées dans le programme du cinéma. 

Un nouveau club pour les habitués du TNS

Des clubs, on en retrouve aussi au théâtre. Le plus récent est celui du TNS (Théâtre National de Strasbourg), couplé à sa nouvelle carte de fidélité. Nathalie Trotta, en charge du nouveau « club des adhérent·es » explique son origine : 

« Après le Covid, les spectateurs sont nombreux à avoir changé leurs habitudes. Aujourd’hui, ils sont à la recherche de plus de souplesse et ne réservent plus forcément les spectacles longtemps à l’avance. »

Le théâtre national de Strasbourg (TNS) vu depuis la place de la République (Photo Aloïs Peiffer / Wikimedia Commons / cc)
Le Théâtre National de Strasbourg (TNS) vu depuis la place de la République Photo : Aloïs Peiffer / Wikimedia Commons / cc

Les abonnements qui se prenaient en début de saison et qui imposaient aux spectateurs de choisir d’un seul coup plusieurs pièces et dates ont été abandonnés au profit d’une carte de fidélité (20€ en plein tarif et 5€ pour les moins de 28 ans). En plus de tarifs préférentiels, elle donne accès au club des adhérent.es pour les spectateurs qui le souhaitent.

« Nous cherchions une manière d’impliquer plus les spectateurs que lorsqu’ils viennent pour une représentation puis s’en vont. L’idée est de se rencontrer autrement, d’attirer toujours un nouveau public tout en répondant aux attentes des fidèles, qui ont parfois envie d’aller plus loin dans une œuvre, de découvrir les coulisses, la création… »

Nathalie Trotta, en charge du nouveau « club des adhérent·es »

Une première rencontre des adhérents a eu lieu en février. Près de 90 personnes ont pu visiter le bâtiment de la place de la République, puis échanger sur leur vision du club. « C’est à nous de donner l’impulsion, mais nous souhaitons idéalement que les spectateurs s’emparent ensuite majoritairement du club, échangent entre eux, proposent des événements que nous pourrions programmer par la suite, si c’est possible », décrit Nathalie Trotta. Des rencontres avec des artistes, des ateliers d’écriture, des études de textes et des visites seront régulièrement organisés. Un compte WhatsApp a également été créé pour que les adhérents puissent directement échanger entre eux. 

Maillon +, les pionniers dans la relation avec les spectateurs

Si ces nouveaux liens avec les spectateurs remontent à l’année 2022, et montrent un réel changement récent dans la manière dont les institutions culturelles sont en lien avec leur public, un théâtre strasbourgeois était pionnier dans ce rapport : le Maillon. En septembre 2006, des spectateurs particulièrement passionnés créent l’association Maillon +

Elle regroupe aujourd’hui 800 adhérents, soit un peu moins d’un tiers du public total du lieu. « Un chiffre en augmentation puisqu’il y a encore quelques années, nous étions 400. Nous sommes fiers aussi de la diversité des personnes qui nous rejoignent. On a des adhérents de 15 à 80 ans ! », souligne en souriant Yvan Jeanneret, l’actuel président. 

Maillon + est « née d’une idée simple : créer une association de spectateurs·trices qui pourraient inventer, proposer, organiser, au fil de la saison et en dialogue avec l’équipe du Maillon, des activités en lien avec la vie du théâtre, sa programmation, ses résidences, ses artistes accueillis », peut-on lire sur le site du théâtre.

Les équipes du Maillon et les représentants de Maillon+ sont souvent en contact. Ici, Céline Coriat, responsable des relations et Yvan Jeanneret, l’actuel président de l’association. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg

Visite des coulisses, ouverture des répétitions, rencontre avec des professionnels du théâtre, visite d’expositions à La Chambre, Stammtisch… Depuis 16 ans, être membre de Maillon + donne la possibilité de participer gratuitement à une petite quinzaine d’événements par an. Ils ont tous un même objectif, comme le précise le président de l’association : 

« Le principal but de l’association est de créer un lien privilégié entre les spectateurs et le théâtre. En découvrant les coulisses, en partant à la rencontre des différents métiers et en échangeant sur les spectacles entre nous, on se sent intégrés à la vie du Maillon, qui est par ailleurs toujours très à l’écoute de ce qu’on peut leur faire remonter sur l’expérience des spectateurs. »

Yvan Jeanneret, 48 ans, est lui-même passionné par le théâtre depuis près de 30 ans. Aujourd’hui il est fier de présider une structure qui peut aussi accueillir et accompagner les nouveaux spectateurs :

« Je viens d’une famille qui n’allait jamais au théâtre et c’est grâce à l’école que je suis tombé amoureux de cet art. Je vois environ 40 spectacles par an, et je me suis calmé. À une période, j’en voyais près de 90 ! »

Tout spectateur du Maillon peut devenir membre de l’association à tout moment de l’année, en payant une adhésion de 5 €. Au programme des prochaines semaines : deux visites d’exposition, une rencontre avec la secrétaire générale du théâtre le 13 avril et la traditionnelle Assemblée Générale qui aura lieu cette année le 1er juillet. Toujours festif, ce temps est marqué par un spectacle programmé par l’association, avec cette année, la compagnie de danse Mira.


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