

Des bureaux de vote lors de l’élection présidentielle de mai 2012 (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)
Près d’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé lors des élections municipales de 2001 et 2008 à Strasbourg ! En cartographiant les quelque 140 bureaux de vote de la ville, on constate de nettes poches d’abstention dans les quartiers populaires, mais aussi quelques surprises.
Les chiffres fournis par la CUS ne servent pas qu’à créer de nouvelles applications sur les horaires de bus ou les parkings. Les données concernent les suffrages exprimés lors des différentes élections. Nous avons choisi de regarder de plus près l’abstention, qui progresse à chaque scrutin même lors des élections municipales, pourtant censées être les plus concernantes pour les électeurs.
Lors du premier tour de 2008, l’abstention est restée fixée à 45%, alors que le corps électoral de la ville grossissait de 12% par rapport à 2001. En clair, les plus de 14 000 nouvelles recrues citoyennes ne sont pas parvenues à endiguer le désintérêt exprimé par bon nombre de Strasbourgeois lors de ces scrutins.
Mais qu’en est-il précisément, bureau de vote par bureau de vote ?
Une trentaine de bureaux abrite près d’un abstentionniste sur trois
Voici la carte de l’abstention, évaluée à 45,3% lors du premier tour de 2001. Vous pouvez cliquer sur chaque bureau de vote pour afficher le nombre d’inscrits et le pourcentage d’abstention, et utiliser la molette de votre souris pour zoomer sur un coin précis :
On observe déjà :
- des foyers d’abstention très marqués à l’ouest, notamment du côté de Hautepierre, de Cronenbourg, et dans une moindre mesure de la Montagne Verte,
- le sud-est de Strasbourg n’est pas en reste, avec le Neuhof, le Port du Rhin et la Canardière,
- au nord, des bureaux de la Cité de l’Ill très proches d’un électeur sur deux qui s’abstient.
En 2008, 35 bureaux fréquentés par moins de la moitié des électeurs
Constants dans leur participation, les Strasbourgeois vont changer de maire mais s’abstenir tout autant en 2008, avec un taux calculé à 45,32% au premier tour, et qui se décline ainsi :
Les bureaux qui s’abstiennent au moins à 50% sont passés de 28 à 35 entre les deux élections municipales. Cela se traduit par :
- une zone plus large à l’ouest, qui inclut maintenant Koenigshoffen
- une zone également plus grande au sud, avec notamment le bureau de l’école du Rhin
Un électeur sur trois a laissé passer son tour
En tous, ces 35 bureaux ont attendu plus de 33 700 d’électeurs abstentionnistes, soit près d’un électeur indifférent sur trois. Le reste se répartit de façon assez homogène sur la grosse centaine de bureaux restants.
Trois autres foyers d’abstention sont à souligner :
- en plein centre touristique, le bureau de vote Hôtel de ville est l’un des plus peuplés de la ville de Strasbourg. C’est également celui dont les électeurs se sont le plus abstenus en 2001 (73,1%) comme en 2008 (68%),
- plus au sud, le bureau de la médiathèque du Neudorf ressemble beaucoup au précédent, avec tout même une abstention un peu plus faible,
- du côté de l’Esplanade, l’un des bureaux du lycée René Cassin, un peu moins peuplé que les précédents, a connu une forte abstention, mais elle a bien diminué entre 2001 et 2008.
Hormis ces trois enclaves, les foyers d’abstention aux municipales correspondent précisément aux quartiers populaires de Strasbourg : Hautepierre à l’ouest, le Neuhof au sud et la Cité de l’Ill au nord. Du côté des quartiers plus favorisés, comme la Robertsau, on observe au contraire une abstention parmi les plus faibles de la ville (autour de 40%).
Comme lors de l’élection présidentielle de 2012, nul doute que les électeurs des bureaux de vote les plus abstentionnistes seront particulièrement choyés par les militants des partis politiques. Moins de 13 000 voix ont départagé Roland Ries et Fabienne Keller en 2008.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur les élections municipales
Sur Wikipedia : les résultats des élections municipales passées
Sur Rue89 Strasbourg : La méthode Obama appliquée aux militants socialistes
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/09/04/la-cause-et-l-usage-un-documentaire-a-desesperer-de-la-politique_1755426_3246.html
Avaient été invités pour le débat les responsables de campagne de Roland Ries et de Fabienne Keller. J'avais attiré l'attention de ces deux personnes sur un fait singulier: dans le système électif actuel, c'est dans les faits bien souvent une minorité qui décide de l'issue du vote, celle qui fait pencher la balance dans un sens ou dans l'autre pour bien souvent quelques pourcents. Dans le cas de Corbeil Essonne, on voit clairement que la corruption de cette minorité est le fond de commerce de Dassult père, avec un cynisme qui n'a d'égal que le réalisme de ce paradoxe: il faut techniquement flatter (ou corrompre parfois) les "petites gouttes" d'électeurs qui feront pencher la balance du bon côté.
J'avais de fait fait remarquer à ces deux responsables de campagne que cela comporte un vice intrinsèque sérieux puisque la tendance était forte pour les candidats ou les partis de ne pas s'inquiéter de la légitimité réelle du vote en cas de forte abstention, tant que l'abstention est à peu près répartie ou "normale" et habituelle. En clair si on est à peu près assuré d'avoir une base électorale donnant autour de 45 à 48% indépendamment du taux d'abstention réel (qui peut dépasser 50%), ce taux d'abstention n'a pas de grosse importance électorale en réalité, malgré les beaux discours des politiques et des "analystes" qui soutiennent l'inverse, puisque l'important est de se focaliser et de séduire les quelques pourcents qui feront dépasser les 50% au second tour, et c'est cela l'unique objectif des responsables de campagne.
Le responsable de campagne de Roland RIES avait confirmé, avec des propos que jamais un politique n'aurait tenus tant ils expriment un certain cynisme froid -mais réaliste-, que pour lui, le résultat d'un vote ne souffrait d'aucun manque de légitimité même si l'abstention était forte (comme c'est le cas au Etats Unis d'ailleurs où l'abstention est traditionnellement énorme dans ce modèle de démocratie autoproclamé). En clair, même si vous êtes élu avec 70% (ou à la limite 99.99%) d'abstention, vous êtes légitime tant que vous obtenez la majorité absolue et que vous êtes élu! Il reconnaissait sans fard que de fait, sa fonction était de faire passer cette barre à son candidat, et donc de séduire et décider la tout petite fraction qui fera pencher la balance, c'est pour eux seuls que la campagne sera faite en réalité, les abstentionnistes pourront attendre quelques vies pour être entendus. Il avait même ajouté qu'il vérifiait seulement qu'il n'y avait pas "d'anormalité" dans les abstentions de l'un ou de l'autre des bureaux de vote après le premier tour, qui serait révélateur d'un problème particulier à analyser. En clair, l'abstention normale, habituelle, n'est pas un problème, ils s'en foutent et c'est froidement logique avec les règles actuelles!
Il ne fait aucun doute que cette analyse, choquante -mais non surprenante- pour le citoyen moyen que je suis, est cependant le lot commun des partis quels qu'ils soient (la responsable de la campagne de Fabienne KELLER n'avait d'ailleur pas manisfesté de désaccord sur cette analyse de son confrère...). Dit comme cela c'est choquant mais dans le fond, c'est factuellement fondé puisque la légitimité d'un résultat est indépendante du taux de participation. Et à la limite, moins de gens votent, plus c'est facile pour un responsable de campagne de "cibler" (pour employer un terme markting qui correspond à la réalité de ce qui reste de notre démocratie sondagière) la toute petite population qui constituera celle des "faiseurs du vote"... L'indemnité du candidat élu ne sera pas diminuée par un taux d'abstention élevé, il sera un élu plein et normal, même si la qualité du processus électif est faible. On voit à terme où cela nous mène cependant...
Soit dit en passant, c'est pour cela qu'en dépit des beaux discours depuis 25 ans, la reconnaissance du vote blanc (qui ne compte pas dans le système actuel) n'est toujours pas effective. Il permettrait bien sûr de donner une vraie voix de constestation à ceux qui s'abstiennent ou "votent avec leurs pieds" (à contre coeur) comme on dit, mais évidemment il viendrait aussi mettre un terme à ce petit jeu confortable et habituel dans lequel l'abstention est un mal dont on s'accomode bien dans les QG de campagne, en réalité.
Comme la gauche socialiste à depuis bien longtemps oublié les quartiers populaires qui ne sont pas contents, les bougres, le petit jeu de séduction de la "petite minorité décideuse" se joue sur les autres quartiers...
Cette démocratie est à revoir dans ses formes actuelles, en résumé. Vite, si possible...