Une des preuves de la qualité d’un texte littéraire est sa capacité à traverser le temps et à atteindre une certaine forme d’universalité. Le journal d’Anne Frank en est un parfait exemple. Quatre-vingts ans après avoir été écrit, son témoignage fait encore écho et prend une nouvelle dimension aujourd’hui. Alors que le monde subit des confinements successifs, que l’Europe connaît à nouveau la guerre sur son territoire avec des populations obligées de fuir, de nombreux adolescents et adultes ne peuvent que se reconnaître dans l’histoire de la jeune Anne.
Ce témoignage est celui d’une jeune fille née à la mauvaise époque, le 12 juin 1929, à Francfort. Pour fuir les discriminations et les arrestations, sa famille émigre aux Pays-Bas en 1933. Elle y vit une enfance assez heureuse – bien que chahutée par les tracas du quotidien. Mais à treize ans, comme nombre d’adolescents, Anne se sent seule, à part et regrette de ne pas posséder l’Amie. Celle à qui elle pourrait tout dire. Pour contrer ce manque, elle commence à écrire un journal en s’adressant à Kitty, une confidente imaginaire.
Les réflexions d’une adolescente confinée avec sa famille
Écrit au jour le jour, son histoire est un témoignage majeur de la Seconde guerre mondiale et de ce qu’on pu vivre les familles juives à cette époque. Le 6 juillet 1942, les Frank décident de disparaître en apprenant que la sœur aînée d’Anne, Margot, est convoquée par les SS. Cette décision marque le début d’un confinement forcé, dans « l’Annexe » de l’immeuble du 263, Prinsengracht, au-dessus du magasin dans lequel travaillait son père.
Les Frank et une autre famille, les Van Daan, y resteront cachés 24 mois, avec une interdiction stricte de sortir. L’occasion pour Anne de raconter la vie de personnes forcées à la proximité et de faire part de ses propres états d’âme de jeune fille devenant adulte. Ses réflexions d’adolescente – de la frustration au sentiment d’injustice, en passant par l’amour – et son observation lucide et attentive des mécanismes humains ont gardé leur pertinence et sonnent de manière étrangement familière des décennies plus tard.
C’est avec ce regard actuel que les spectateurs du Théâtre actuel et public de Strasbourg pourront découvrir le travail proposé par les deux co-directeurs artistiques du Théâtre des Osses et metteurs en scène, Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier. En se plongeant dans les textes réunis dans le livre Anne Frank, l’intégrale, publié en 2017 avec l’ajout de certains passages traduits pour la première fois en français, ils souhaitent restituer l’essence universelle et intemporelle de cette œuvre qui dépasse le récit de guerre.
Parti-pris étonnant de cette pièce, le texte écrit par Anne Frank est réparti entre trois personnages : Anne, jouée par Judith Goudal, mais également sa sœur Margot et Peter, le fils des Van Daan, respectivement interprétés par Laurie Comtesse et Yann Philipona. Leur point commun ? Ils sont les trois adolescents de la maison.
Un devoir de mémoire pour conjuguer le drame au passé
Reprendre le texte d’Anne Frank est également un devoir de mémoire et de reconnaissance des drames qu’a perpétué l’Allemagne nazie. Toute la puissance de cette histoire se situe justement du passage du quotidien et de la candeur d’une vie d’adolescence à la violence de la guerre qui s’y immisce lentement, par à-coups.
Une violence accentuée par les discriminations antisémites, qui sont encore loin d’avoir disparues en Europe et auxquelles s’ajoutent le racisme, l’homophobie et la xénophobie. Les mots d’Anne Frank résonnent aujourd’hui comme une mise en garde, contre des atrocités qui pourraient se répéter si les citoyens ne restent pas vigilants.
En 2022, l’œuvre littéraire et historique qu’est le Journal d’Anne Frank est plus que jamais un important outil pédagogique enseignant le vivre-ensemble, le respect mutuel et la tolérance. Les adaptations, fidèles à cet esprit, permettent de maintenir au goût du jour des leçons tirées du passée.
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