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Les Affaires sordides envahissent le festival Démostratif

Au début de l’été, le festival Démostratif accompagne la reprise culturelle. Cette quatrième édition se penche sur les Affaires sordides, et explore un vaste champ de faits divers et de légendes urbaines. Toujours propulsé par l’Université de Strasbourg et son Service universitaire de l’action culturelle (SUAC), Démostratif fait cette année son entrée dans la cour des grands. Son engagement envers les artistes se précise. Du 29 juin au 3 juillet, l’Esplanade sera le repère des histoires les plus singulières.

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Les Affaires sordides envahissent le festival Démostratif

Après une édition 2020 réduite à sa portion congrue pour cause de coronavirus, le festival Démostratif revient clore la saison culturelle strasbourgeoise. Né en 2018 sous forme d’un projet étudiant, le festival a rapidement dépassé les frontières universitaires. Cette année, l’édition avec pour thème les « Affaires sordides«  marque un nouveau tournant. Celui d’une professionnalisation assumée et d’un engagement envers les jeunes artistes. Le lieu de rendez-vous sera, une fois encore, le Campus de l’Esplanade, où les spectacles pourront se dérouler tant à l’ombre qu’en plein soleil.

Une thématique morbide qui motive les créations

La programmation explorera le paradoxe des fait divers et la fascination horrifiée exercée par ces événements, qui contraste avec leur affligeante quotidienneté. S’emparer des multiples crimes et accidents qui défilent dans les manchettes de journaux et sur les chaines d’information, c’est ce que propose aux artistes cette quatrième édition de Démostratif.

Parmi les trente-trois événements, vingt-trois sont des créations, et donc autant de chances d’être surpris. Certains artistes mettent en jeu leurs propres traumatismes et blessures. Dans Sola Gratia, Yacine Sif El Islam et Benjamin Yousfi puisent dans l’agression au couteau qu’ils ont subie en 2020. Le rappel du réel est fort, pas de distance fictionnelle pour se protéger de l’impact. De même, Minable Umain / Blurnout compile des témoignages de souffrance au travail, condensés dans le corps d’une comédienne, seule en scène.

Un dispositif minimaliste qui ne laisse pas le regard se détourner, c’est la scénographe de Sola Gratia Photo : de Pierre Planchenault

Cette séquence est aussi l’occasion de tenter des propositions atypiques. Un atelier de sieste sonores occupera le village de festival pour des séances d’écoute et de relaxation. D’une manière générale, la programmation est brodée de musique. L’interprète pop Claire Faravarjoo joue à domicile dans le village du festival dès la premier jour, à 20h. À sa suite, chaque soirée accueillera une proposition musicale, plongeant dans des univers contrastés et exclusivement strasbourgeois. Pop, pop-punk, hip-hop, trip-hop, rock et dance power metal, il y en aura pour tous les sons.

Chaque année, le village du festival accueille le cœur des festivités. Photo : de Teona Goreci

Sordide, la thématique est aussi celle des films noirs, et des échappées du réel qui se font au coin des ruelles obscures. C’est la place de l’absurde et de la surprise, depuis les organes sexuels en fugue de Vits Vont jusqu’à l’escouade adolescente montée dans Opération Britney. Ces affaires sont aussi celles du monde, de la menace écologique grandissante qui mobilise la jeunesse de Skolstrejk (La Grève Scolaire), les nouvelles approches du réel et la remise en cause de La Vérité qui questionne jusqu’à nos certitudes les plus fondamentales. Il y a un engagement politique clair dans un certain nombre des propositions, où se dessine une responsabilité des êtres humains.

Un lieu pour donner une chance à la jeunesse artistique

Ce n’est pas un fait nouveau : la voie de la professionnalisation artistique est rude. Elle l’était déjà avant la crise sanitaire, mais cette dernière a accentué les tensions. Ce raidissement du milieu professionnel artistique malmène plus que jamais ses nouveaux acteurs. L’entrée dans les réseaux de diffusion et de programmation réclame de faire ses preuves, un prérequis souvent difficile à réaliser tant le manque de moyens jette un froid sur tout projet artistique d’envergure. Nombre de jeunes créateurs et créatrices vivent une précarité suffocante, loin de leurs rares camarades profitant d’une place dans l’une des grandes écoles de théâtre. Là, les moyens mis à disposition et la cooptation naturelle entre les étudiants et leurs professeurs, artistes établis, permettent une insertion professionnelle facilitée.

La deuxième édition avait accueilli une battle de danse Photo : de Teona Goreci

Cette chance qui manque à beaucoup, cette opportunité de faire ses preuves, le festival Démostratif veut la donner, autant que possible. Alors que les précédentes éditions se destinaient exclusivement à des spectacles étudiants, Démostratif s’ouvre, en 2021, à tous les profils. Les organisateurs font converger à Strasbourg des troupes de toute la France, et même de Belgique. Aux côtés du SUAC, la municipalité de Strasbourg s’est engagée de façon plus nette. Le festival grandit, mais n’est pas encore en mesure de rémunérer les artistes, toutes et tous sont pris en charge pour leurs transports, leur hébergement et leur restauration.

Plusieurs constantes tissent le festival, dont la présence récurrente d’une plume complice. Cette année, c’est Romain Nicolas qui occupe ce poste. Jeune auteur et dramaturge sorti de l’École Nationale des Arts et Techniques du Théâtre de Lyon, il apparait ajusté pour la thématique sombre et mortifère de cette édition. Romain Nicolas écrit avec une violence qui, loin d’être gratuite, est le strict prolongement de la violence quotidienne. Il ne s’emploie pas à mettre un vernis de mots sur les douleurs du monde. Il les jette au visage, comme des pierres. La fascination morbide du fait divers répond à cette fièvre violente. Cinq jours de résidence et d’immersion dans tout le sordide burlesque du festival nourriront sa carte blanche, présentée en clôture, le samedi 3 juillet.

Depuis la première édition, le festival offre des espaces de pause, où apprécier le campus d’une façon inédite et confortable. Photo : de Teona Goreci

Outre son auteur complice, Démostratif prolonge ses festivités par la revue Dare-Dare. Des étudiants, artistes, enseignants-chercheurs, collaborent pour composer cet album hétéroclite d’articles, de dessins et de photographies. Entre journal scientifique et cahier de souvenirs, la revue cristallise année après année tout ce qui a pu émerger du festival.

La démarche est hybride, à l’image de l’ensemble du projet. C’est cette singularité qui offre à Démostratif une saveur singulière. Il ne s’agit pas d’un colloque universitaire, ni d’un festival d’artistes pur jus. C’est une rencontre de deux mondes, et plus encore. À l’intersection des savoirs, des méthodes et des profils, Démostratif constitue une singularité culturelle strasbourgeoise qui a le mérite de proposer une voie originale pour débuter l’été.


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