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Réfugié et étudiant à Strasbourg, après le Soudan et Calais, voici mon histoire

Le collectif « Food not bombs » propose une soirée autour du documentaire Regarde ailleurs qui retrace l’évacuation du camp de migrants à Calais et la suite. Ali Adam Mohamed, réfugié politique et Strasbourgeois depuis 2017, a vécu dans la « Jungle » peu avant son démantèlement en 2016. Avant de témoigner à l’issue de la projection ce jeudi 17 janvier, il raconte une partie de son parcours dans un récit co-écrit avec l’un de nos journalistes.

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Ali Adam Mohamed, ici à la Misha à l'Université, partagera son expérience au camp de Calais en 2016 après la projection d'un documentaire qui parle de la fermeture du camp. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

« En fuyant le Soudan, je n’avais pas prévu de venir en Europe. Après mes études jusqu’à Bac+5 en Géographie dans une université prestigieuse à Khartoum, la capitale du Soudan, je devais rentrer à Nyala, la capitale du Darfour du sud, où vit ma famille. Avant, en 2003 et 2004 notre village avait été attaqué, quand j’étais adolescent.

Lors de mes études à Khartoum, j’ai plusieurs fois été tabassé par le service de renseignement du parti au pouvoir, car je suis d’une ethnie noire, et non Janjawid, une ethnie arabe que le gouvernement soutient. J’étais aussi une cible parce que membre d’une association pour les libertés, contre les mauvais traitements et les discriminations. Je ne peux plus compter le nombre d’arrestations, mais à chaque fois c’était pire. Deux fois, j’ai été jeté au milieu de la nuit dans un parc public, comme si j’étais mort. Tous ces moments, dont une année où je n’ai pas pu étudier car j’ai perdu connaissance suite à la torture, m’ont fait perdre le sens de la peur pour le reste de ma vie.

La fuite vers la Libye

Comme j’étais fiché par les services de renseignement, j’ai été arrêté dès que je suis descendu du bus en rentrant à Nyala après six ans sans jamais rentrer. Les agents disaient que j’allais rejoindre les rebelles, alors que je n’avais aucun rapport avec eux. Après trois mois en détention, c’est grâce à un officier soudoyé par ma famille que j’ai pu m’évader… à condition de fuir le pays.

En Libye, j’ai d’abord travaillé 6 mois dans une ferme où je n’ai jamais été payé. Un jour, le gérant m’a dit « tu as une minute pour partir ou prendre une balle dans la tête ». Ensuite, j’étais à la capitale Tripoli. Là-bas, j’étais payé correctement pendant 9 mois. Quand je suis allé chercher un autre travail, j’ai perdu la protection de l’employeur libyen. J’étais chez des amis soudanais, mais sortir devient risqué quand on n’a plus de protecteur. Je ne pouvais plus sortir dans la rue, contrôlée par des milices. Donc le seul moyen pour nous de trouver un protecteur, c’était de fuir avec un passeur vers l’Europe. Mais la mer, c’est 90% de chances de mourir.

Ali Adam Mohamed, ici à la Misha à l'Université, partagera son expérience au camp de Calais en 2016 après la projection d'un documentaire qui parle de la fermeture du camp. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Ali Adam Mohamed, ici à la Misha à l’Université, partagera son expérience au camp de Calais en 2016 après la projection d’un documentaire qui parle de la fermeture du camp. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Une traversée à 108 passagers

Je me suis retrouvé dans la maison très sécurisée du passeur. On avait l’interdiction d’aller aux fenêtres ou de parler à haute voix. Après 25 jours, nous sommes passés de 7 prisonniers à 108. Puis, un matin à 5h, nous avons commencé la traversée à 108, pendant 13 heures. Avec 400 autres personnes, nous avons été secourus par un grand bateau espagnol qui nous a amené en Sardaigne, en Italie.

Ensuite, je suis allé à Gênes, puis Vintimille pour passer la frontière française, ce qui a marché seulement à la troisième tentative, puis Paris à la porte de la Chapelle où j’ai dormi une semaine sous un pont. Je suis allé à Calais, non pas pour aller au Royaume-Uni comme c’est le cas de certains, mais car on m’a dit que les procédures allaient plus vite là-bas et qu’il y avait des associations sur place, notamment pour traduire. Compte tenu de ma situation personnelle, j’avais un peu confiance pour être accepté comme réfugié politique, notamment car j’avais un document de l’ONU qui attestait que j’étais une personne déplacée. Mais en arrivant en France, je ne pensais pas qu’il y existerait des endroits comme la « Jungle » de Calais, où il n’y a ni toilettes, ni dignité humaine.

L’importance des documentaires

Les documentaires comme Regarde Ailleurs sont très importants. Ils permettent de mettre des images sur ce que les gens ne peuvent pas voir. Je me reconnais dans beaucoup d’images, les relations avec la police, comment les associations étaient traitées, etc. Là-bas, les migrants ne connaissent pas leurs droits et gardent le silence. Dans la Jungle, il n’y a pas de loi et la vie est beaucoup organisée en communauté par pays, ce qui génère parfois des tensions. Et pourtant, la vie était plus dangereuse si l’on sortait dans la ville. Il fallait sortir à plusieurs personnes, même si je préfère ne pas trop en parler publiquement pour ne pas m’exposer. Sortir était indispensable par exemple pour avoir accès à internet avec le wi-fi dans la ville de Calais.

La bande annonce

Après plusieurs agressions, je ne voulais plus sortir de la Jungle. Alors que j’étais à Calais depuis le 25 juillet 2016, une association de Mulhouse, Aleos, est venue sur place vers le 13 août pour déplacer les personnes qui souhaitaient rester en France. Je n’oublierai jamais le rôle de toutes les associations. C’est l’âme de la Jungle et ce qui donne espoir.

Il y avait une dame, Mélanie, en qui j’ai tout de suite eu confiance. Elle m’a montré sur une carte où on allait et garantit que ça ne changeait rien à ma procédure de demande d’asile, pour laquelle j’avais un rendez-vous dans le Nord-Pas-de-Calais. Elle a ensuite été mon assistante sociale lorsque j’ai été logé à Ottmarsheim en banlieue de Mulhouse. Ça a été une évolution très importante, j’avais une chambre, de la nourriture, un peu d’argent…

Dès le troisième jour, j’ai commencé à apprendre le français tout seul sur un ordinateur, 6 à 7 heures par jour. Ma première recherche a été « alphabet français ». Il y avait des cours bénévoles à l’association, mais ce n’était que 2 heures par semaine. C’est insuffisant pour construire des liens. Après 4 mois, j’ai obtenu mon statut de réfugié par l’Ofpra à Paris. C’était une joie indescriptible, j’en ai pleuré sans m’en rendre compte. Je souhaitais poursuivre mes études et c’est comme cela que Mélanie m’a expliqué comment m’inscrire à l’Université de Strasbourg, avoir une bourse, une place en Cité universitaire. J’ai commencé mes études à la fac de sciences économique et de gestion.

Changer d’image

Ici, je ne manque pas de liberté ou de droits. J’ai des amis strasbourgeois, d’autres régions, du Soudan ou des étudiants étrangers. Certains, je les considère comme ma famille. Mais cela reste difficile de s’intégrer dans une société si individuelle, parce que je viens d’une société collective. Chez une minorité de personnes, on ressent beaucoup de méfiance envers les réfugiés et cela met des barrières. Je ne sais pas comment on pourra changer cette image négative. J’espère que cela évoluera avec le temps.

Mes deux rêves désormais sont de réussir mes études et d’obtenir la nationalité française, ce qui me permettra de retourner dans mon pays sans être en danger, pour pouvoir revoir ma famille que je n’ai plus vue depuis 11 ans. Je communique avec elle seulement par téléphone, une à deux fois par mois. Économiquement, j’avais une bonne situation là-bas, j’ai toujours deux magasins. Je ne suis pas parti pour l’argent, mais à cause de la menace pour ma vie. Je rêve que l’équivalent de la Révolution française se déroule au Soudan. C’était un sacrifice pour vivre mieux.

Je n’hésiterai jamais à m’engager pour la France s’il le fallait. »


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