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Moins de votants pour sortir l’Alsace du Grand Est que pour empêcher une région unique en 2013

Les 140 000 participants à la consultation sur la sortie du Grand Est ont-ils donné assez de poids au président de la Collectivité d’Alsace ? En 2013, davantage d’Alsaciens avaient voté « contre » la fusion du Haut-Rhin et Bas-Rhin pour fonder une collectivité unique que veut relancer Frédéric Bierry.

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Moins de votants pour sortir l’Alsace du Grand Est que pour empêcher une région unique en 2013

Frédéric Bierry a décalé d’une heure la réunion de son assemblée pour l’occasion. Lundi 21 février, à Colmar, le président de la Collectivité d’Alsace doit annoncer en majesté le résultat de la consultation sur la sortie de l’Alsace du Grand Est. Le résultat fait peu de doute : un plébiscite pour la sortie de la Région Grand Est est attendu. Mais la participation est déjà connue. La Collectivité d’Alsace (CeA) annonce plus de 140 000 votants. Est-ce beaucoup ou peu pour l’Alsace qui compte 1,8 millions d’habitants ?

C’est deux fois et demi plus que la consultation sur un sujet plus anodin, le choix du logo à apposer sur les plaques d’immatriculation, organisée par la même CeA fin 2020 (58 000 votants). C’est aussi au-delà que l’objectif que Frédéric Bierry s’était lui-même attribué fin décembre, à savoir 100 000 votants.

Mais c’est bien-deçà du référendum de 2013 qui proposait (déjà) la fusion du Haut-Rhin et du Bas-Rhin afin de fonder une « collectivité unique d’Alsace » avec les compétences d’une Région et d’un Département fusionnées. La collectivité que souhaite créer aujourd’hui Frédéric Bierry. Le dimanche 7 avril 2013, 457 685 Alsaciens et Alsaciennes s’étaient déplacés (35,96% de participation) et 187 623 avaient glissé un bulletin « non » dans l’urne. Soit davantage que toutes les personnes qui ont répondu au formulaire de la CeA contre le Grand Est…

À cet égard, la participation à la consultation peut être jugée décevante et guère représentative. Car c’est justement l’abstention qui avait plombé le référendum de 2013… Malgré une majorité de « oui », il fallait atteindre 25% des inscrits, ce qui n’a été le cas ni dans le Haut-Rhin ni dans le Bas-Rhin. La majorité des votants haut-rhinois avaient même rejeté la proposition.

Un vote sur deux mois pour contrer l’abstention

Plutôt qu’un vote physique et solennel dans des bureaux de vote un dimanche, Frédéric Bierry a choisi de faire durer la consultation pendant près de deux mois, en l’accompagnant d’une campagne promotionnelle sans précédent pour la collectivité. Le montant du coût de cette consultation n’a pas été dévoilé, mais une question à ce sujet est prévue lors de l’assemblée départementale. La campagne avant la création de la CeA avait coûté 120 000 euros. Avec des opérations de communication jusque sur les baguettes de pain, des tracts laissés au vaccinodrome et l’inondation des réseaux sociaux, on peut s’attendre à une opération plus chère. Frédéric Bierry avait en outre réuni à l’Hôtel de la CeA ce qu’il appelle des « influenceurs alsaciens » pour qu’ils s’engagent pour appeler à voter.

« La respiration démocratique ne se fait plus dans les urnes », disait-il lors du lancement de l’opération. Il voyait avec sa démarche un « outil moderne, » comme une réponse à l’abstention historique lors des élections régionales et départementales de juin 2021.

Frédéric Bierry, au centre, a déployé tous les moyens de la collectivité alsacienne pour cette campagne Photo : JFG / Rue89 Strasbourg / cc

Ainsi pouvoir voter à tout moment, en ligne, par QR code, par courrier ou dans des urnes disposées dans les locaux de la CeA devait être plus simple que de se déplacer à une date fixe. Une manifestation du « laboratoire démocratique » qu’il veut insuffler en Alsace. Avec les consultations, l’élu de Schirmeck dit s’inspirer des « votations suisses », sauf que son procédé n’a pas du tout la même rigueur.

En l’absence de fichier électoral et de contrôle de l’identité des votants, les spécialistes de la démocratie locale ont d’ailleurs critiqué la non-représentativité du procédé. En remplissant des noms ou adresses fantaisistes, il était possible de voter plusieurs fois. Idem en ligne, en changeant d’adresse. En outre, le corps électoral était plus large qu’en 2013 puisque même les non-Alsaciens pouvaient voter, il suffisait de déclarer « avoir une attache » avec l’Alsace, un autre critère invérifiable. Cette case ciblait des communautés d’Alsaciens qui ne vivent plus dans la région, mais qui sont mécontents du Grand Est quand même…

2013/2022 : un même objectif mais deux différences

En 2022, l’objectif de Frédéric Bierry est similaire à celui de 2013, mais l’opération présente deux différences de contexte majeures. D’abord, un résultat positif au référendum de 2013 aurait vraiment résulté dans la création d’une collectivité unique. Ce qui est bien moins sûr pour la « consultation » de la CeA, qui n’a aucune valeur juridique. Son but est de mettre la pression sur les candidats et les futurs députés pendant cinq ans pour qu’ils votent une loi en ce sens. De ce point du vue, il est compréhensible que la consultation soit moins motivante pour l’électeur qu’un vote en 2013.

Les personnes en désaccord, sur le fond ou la forme, avec l’objectif de la consultation ont choisi de ne pas participer, afin de ne pas donner plus de poids à cette opération de communication politique. Même la droite alsacienne, aux commandes de la Région Grand Est, n’est pas prête à rouvrir ce chantier. C’était pourtant le souhait du maire de Colmar, Éric Straumann, qui souhaitait que les fédérations du 67 et du 68 de « Les Républicains » se positionnent sur la question. En vain. Ses représentants ont ignoré le sujet, comme la plupart des partis politiques.

Pourtant, et c’est une autre différence majeure avec 2013, la CeA aurait pu profiter d’un rejet de la Région Grand Est, après une réforme que beaucoup estiment bâclée. Depuis 2015 après une fusion de l’Alsace avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne, nombre d’élus se sont exprimées contre cette « super-région », tour à tour qualifiée de trop grande, trop chère, etc. Beaucoup d’organisations (associations, syndicats, entreprises, ligues sportives) ont dû se réorganiser sur le périmètre du Grand Est, loin d’être naturel. Force est de constater que malgré les tribunes, les livres très critiques et les campagnes, cette grande région n’est pas si détestée que ça en Alsace.

Frédéric Bierry prévoit deux autres consultations. Une sur la taxe poids-lourds en Alsace, un sujet qui cette fois-ci relève uniquement de sa CeA. Il a aussi évoqué le déstockage des déchets toxiques de Stocamine où, là encore, la CeA n’est pas décisionnaire. En se précipitant sur le rejet du Grand Est avant la présidentielle, pour un résultat qui n’est pas complètement probant, Frédéric Bierry a peut-être affaibli un moyen démocratique qu’il voulait promouvoir. Et donc de démobiliser encore plus les Alsaciens pour les prochaines consultations.


#collectivité européenne d'Alsace

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