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Alsace-Syrie doit expédier 15 tonnes de vêtements, mission impossible

L’association Alsace-Syrie doit envoyer plusieurs tonnes de vêtements, donnés par des Alsaciens, en Syrie pour qu’ils servent dans les camps de réfugiés. Mais cet élan de générosité se heurte aux dures réalités de la logistique humanitaire, remplie d’obstacles.

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Alsace-Syrie doit expédier 15 tonnes de vêtements, mission impossible

Nazih Kussaibi essaie par tous les moyens d'envoyer 15 tonnes de vêtements en Syrie (Photo Aline Fontaine / Rue89 Strasbourg).

Nazih Kussaibi a un gros problème. Depuis plusieurs semaines, il porte sur son dos comme une croix 15 tonnes de dons de vêtements, qu’il doit faire parvenir aux réfugiés en Syrie. Quand il a fondé l’association Alsace-Syrie en juillet, ce strasbourgeois d’origine syrienne était loin de s’imaginer dans quelle galère il s’embarquait. Il explique :

« Je me suis adressée à la communauté turque de France, comme on devra traverser la Turquie pour atteindre la Syrie, mais les responsables m’ont répondu qu’ils ne pouvaient rien pour nous. J’ai demandé à des entreprises turques et françaises pour qu’ils emportent nos cartons dans un semi-remorque, mais ils ont peur de se retrouver bloqués à la frontière turque. »

Nazih Kussaibi a trouvé une association allemande, qui propose de partager un camion pour 4 000 euros. Mais la moitié d’un camion ne suffira jamais pour contenir tous les vêtements. Il faudrait les presser. Alors le président de l’association, tenace, a arpenté l’Alsace pour solliciter les pressings. Verdict : infaisable. Personne ne veut prendre le risque de surcharger ses presses pour autant de vêtements.

L'objectif est d'envoyer tous ces vêtements avant la fin de l'hiver. (Photo Aline Fontaine / Rue89 Strasbourg)

Nazih Kussaibi s’est alors lancé sur une autre piste : faire voyager la marchandise par la mer, dans un conteneur, via le port de Strasbourg pour arriver au port turc de Mersin. Mais cette option coûte 2 700 €. Il a sollicité Nawel Rafik-Elmrini, adjointe au maire de Strasbourg et chargée des relations internationales, pour demander l’aide de la Ville. L’audace a payé, un avis favorable a été donné à la procédure de financement du transport par la Ville.

Sauf que le problème reste entier : car si les vêtements peuvent arriver jusqu’à Mersin, il faut ensuite trouver un moyen de transvaser les vêtements sur des camions, pourqu’ils parviennent à Reyhanli, une ville-frontière avec la Syrie. Pour débloquer la situation, Nazih Kussaibi a sollicité l’ambassadeur de Turquie en France mais la réponse n’a pas encore été reçue. Il ajoute :

« Je suis également en contact par email avec des associations turques. Le souci c’est qu’on ne veut pas faire ça comme des amateurs, il ne faudrait surtout pas que les paquets restent coincés au port et que plus personne ne s’en occupe. »

En arabe et en français, il faut indiquer ce que contiennent les sacs, exigence de la douane turque. (Photo Aline Fontaine / Rue89 Strasbourg)

Depuis dimanche, les membres d’Alsace-Syrie ont un nouvel espoir. Nazih Kussaibi confie :

« Une coalition d’associations syriennes en France s’est créée, nous étions en direct avec eux via Skype. Il a été annoncé qu’un convoi de matériel médical partirait bientôt et les responsables nous ont dit qu’ils pourraient prendre nos cartons. Mais bon, on attend une confirmation et je ne serai tranquille que quand les vêtements seront dans un camion en partance pour la Syrie. »

Les donateurs inquiets

Une réponse définitive, c’est ce que tout le monde attend au sein de l’association. Nazih Kussaibi, le premier, s’avoue épuisé par tant de recherches, d’autant que son esprit est ailleurs, aux côtés des réfugiés et de son frère dont il n’a plus de nouvelles depuis que la maison familiale, située près de Homs, a été bombardée. Mais ici, Nazih Kussaibi se doit aussi de répondre aux appels incessants des donateurs qui veulent savoir ce que les vêtements sont devenus.

« Certains ne comprennent pas qu’on puisse rencontrer des difficultés. Ils pensent que nous sommes des surhommes, moi j’ai surtout besoin d’aide, que chacun apporte des idées. »

De son côté, Nazih Kussaibi ne s’attendait pas non plus à 15 tonnes de dons quand, en novembre, avec les 36 membres de l’association, ils ont posé des tentes devant le Palais universitaire de Strasbourg pour recueillir des dons.

« Près de 500 personnes sont venues déposer des sacs, parmi eux, beaucoup de Maghrébins et de Français. Des commerçants ont même apporté des vêtements neufs. »

Jeune, Linda a passé la plupart des étés en Syrie, aujourd'hui elle pense à ses amis coincés là-bas. (Photo Aline Fontaine / Rue89 Strasbourg)

Depuis, les habits n’ont cessé de s’empiler dans un entrepôt Meinau, à Strasbourg. L’association pourrait revendre les vêtements et simplement envoyer de l’argent, comme certains l’ont suggéré. Mais refus catégorique du président :

« Peut-être suis-je de la vieille école, mais éthiquement je me sens mal à l’aise de tout vendre. Je trahirais les donateurs, surtout que dans certains sacs j’ai aperçu des petits mots de réconfort que les gens ont écrits en arabe pour les réfugiés. »

Le conditionnement, un travail de titan

Alors, en attendant le grand départ, Nazih Kussaibi convoque régulièrement les bonnes volontés pour conditionner les vêtements. Jeudi 17 janvier par exemple, une quarantaine de volontaires, syriens, maghrébins, français, a répondu à l’appel. Les uns ont trié, les autres ont rempli sacs et cartons. Tous se sont vite retrouvés entourés des manteaux, pulls, pantalons, chaussures et couvertures desquels émergent de timides lapins en peluche.

Linda Makbol est venue avec quelques boîtes de crayons de couleurs à l’intention des enfants. Cette franco-syrienne, qui pour la dernière fois est retournée dans son pays d’origine juste avant le début du conflit, déclare :

« D’ici c’est le minimum qu’on puisse apporter et j’espère que la collecte va atteindre sa destination. Moi j’ai beaucoup d’amis et de famille en Syrie et ils ne peuvent plus quitter le pays. »

Un camion de la coalition des associations syriennes en France pourrait bientôt venir chercher tous ces sacs. (Photo Aline Fontaine / Rue89 Strasbourg)

Une fois les vêtements empaquetés, un troisième groupe s’est formé, chargé d’écrire sur les sacs ce qu’ils contiennent, en français et en arabe. « 7 vestes, 5 pulls, 4 pantalons, 1 jupe ». Il faut être extrêmement précis, quelque soit le mode de transport que l’association aura trouvé, la douane turque, elle, ne transigera pas. Djamel Tiskiyeh, membre de l’association et qui reçoit très peu de nouvelles de sa famille, se lamente :

« S’ils sont humains, ils verront que c’est humanitaire. On ne fait pas de trafic d’armes ou de drogue, on veut juste que cela arrive le plus vite possible aux réfugiés car le froid rend les conditions de vie dans les camps très difficiles. »

L’association se donne encore quelques jours pour trouver la solution. De toute façon, il va encore falloir quelque temps aux membres pour finir d’emballer les vêtements. Jeudi dernier, ils ont pu se joindre à un convoi national pour envoyer un peu de matériel médical récolté auprès des hôpitaux alsaciens. Alors, tous sont optimistes et déterminés à continuer leur action, avec leurs moyens, jusqu’à ce que le régime cède et que comme le souhaite Nazih Kussaibi, « un État de droit apparaisse en Syrie ».

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