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École du Rhin, d’Ampère, At Home à Bischheim…Les oubliés de l’éducation prioritaire

Plusieurs écoles pourtant situées dans des zones défavorisées ne bénéficient pas d’un classement REP / REP+ qui leur permettraient de répondre aux besoins accrus. Même lorsque les données de l’Éducation nationale indiquent le contraire.

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École du Rhin, d’Ampère, At Home à Bischheim…Les oubliés de l’éducation prioritaire

Et soudain, sonne la cloche. Enfin libérés, des bataillons d’élèves sortent de l’école du Rhin vers les bras de leurs parents. Face à l’établissement, les bâtiments plus ou moins rénovés de la Cité Loucher s’étendent. Malgré les coups de peintures, la pauvreté de ce quartier historique du Port du Rhin perce encore.

Les enfants du quartier sont-ils susceptibles d’être pénalisés à l’école, en grandissant dans un secteur plus précaire ? À l’unisson, la sociologie et les sciences de l’éducation l’affirment depuis longtemps. Même l’Éducation nationale reconnaît cette évidence et cherche à limiter les effets de la reproduction sociale. Méritocratie oblige. Pour orienter son action, le ministère de l’Éducation a créé un outil statistique, permettant d’établir le profil socio-économique des secteurs scolaires : l’Indice de position sociale (IPS).

Entre autres, « l’IPS » prend en compte des indicateurs matériels (niveau de revenu des parents, le nombre de pièces, l’accès à un ordinateur…) et des indicateurs culturels (temps devant la télévision, nombre de livres, pratiques culturelles), qui livrent une image plus précise de la situation des familles.

« Je ne comprends rien aux cartes scolaires »

Selon les statistiques de l’Éducation nationale, l’indice de position sociale de l’école du Rhin est très faible. En d’autres termes, les enfants inscrits dans cet établissement viennent de familles plus pauvres et moins diplômées. Leurs conditions d’apprentissage sont moins favorables que pour les élèves des quartiers riches. En principe, l’État tente de compenser cette inégalité en allouant des moyens supplémentaires aux écoles de ces secteurs là. En principe seulement. Car l’école du Rhin ne bénéficie pas du précieux label « Réseau d’éducation prioritaire » (REP) qui permet un dédoublement des classes, 12 élèves maximum, une prime pour les instituteurs (1 482€ nets par an en REP, 4 371€ en REP+) et l’accès à du personnel socio-éducatif en renfort.

« Attendez, quoi ? » Venue récupérer son fils du périscolaire, Edna n’avait jamais imaginé que l’école ne puisse ne pas être en REP. « J’avoue que je n’y comprends rien aux cartes scolaires. Moi, ça me paraissait évident vu la pauvreté du quartier. » Même refrain pour la dizaine de parents d’élèves interrogés sur le parvis. 

Edna s’est installée dans les nouveaux quartiers du Port du Rhin. Photo : RG/ Rue89 Strasbourg/ cc

D’autres écoles, appelées « orphelines » dans le jargon de l’éducation prioritaire, se trouvent dans la même situation. Au sein de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), on retrouve des exemples similaires à l’école Ampère du Neuhof ou à l’école At Home à Bischheim. Ces établissements accueillent les enfants de familles défavorisées, sans être labellisées REP ni REP+, car elles sont rattachées à un collège qui n’est pas assez « prioritaire ».

« On comprend l’argument technique, pas la logique »

Comment expliquer une telle distorsion entre la réalité sociale et le classement administratif ? La logique de l’Éducation nationale repose sur une articulation en réseau, entre un collège et les écoles primaires qui l’alimentent. Si le collège est considéré REP / REP+, alors toutes les écoles liées bénéficient du dispositif. Mais à l’inverse, aucune école primaire ne sera considérée REP ni REP+ si son collège de secteur n’est pas prioritaire. Ainsi l’école primaire du Rhin n’est pas considérée comme REP parce que son établissement de secteur, le collège Vauban, n’est pas prioritaire.

L’école du Rhin risque d’être rattachée au futur collège des Deux Rives, dont la construction n’a pas commencé. Photo : RG /Rue89 Strasbourg/ cc

« Nous aussi, on est confronté au même cas de figure », commence Matthieu (prénom modifié), enseignant d’une école de l’Eurométropole, qui souhaite rester anonyme : 

« On comprend l’argument technique, mais pas la logique humaine. Nous sommes dans une zone enclavée et pauvre, avec beaucoup d’élèves en difficultés. Une bonne partie d’entre eux parle mal français, quelques-uns pas du tout. Ça nécessite une attention particulière de l’instituteur. C’est pour ça qu’il nous faut moins d’élèves par classe. »

Comme presque tous les personnels interrogés, il attend beaucoup de la mise à jour de la carte de l’éducation prioritaire (datant de 2015), promise par le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye. « La refonte, on en parle depuis longtemps, souffle Mathieu, je ne sais plus exactement ce qu’on peut en attendre. »

Forêt d’indicateurs sociaux

L’Éducation nationale elle-même se contredit. Selon ses propres chiffres, l’Indice de position sociale (IPS) moyen des écoles primaires est de 102,77 en France pour l’année 2022. L’IPS le plus bas pour une école en France est de 49,6 contre 155,6 pour l’IPS l’école la plus favorisée.

Si l’on regarde le chiffre des écoles orphelines de l’Eurométropole, l’école du Rhin se situe à 70,3, celle d’Ampère à 70,9, l’école At Home à Bischheim est à 71,5 et l’école primaire du Neuhof à 87,5. Donc largement en dessous de la moyenne des écoles qui bénéficient du statut REP ou REP+.

Les indices des écoles et des collèges publics ont été publiés sur une carte par Jérémy Garniaux – cliquez pour y accéder.

« Pour cette dernière école, nous ne la considérons pas comme une école orpheline, il y a plus de mixité sociale, on n’a pas les mêmes problématiques sociales », précise Jean-Baptiste Ladaique, adjoint au directeur de l’Académie de Strasbourg, chargé du premier degré. Selon lui, le cas des écoles orphelines est une anomalie bien connu de ses services : 

« Ces écoles souffrent de leurs positions géographiques. Elles sont particulièrement enclavées. On essaye d’y palier ; nous avons un poste d’enseignant supplémentaire sur l’école du Rhin par exemple. Et nous tenons régulièrement des conseils d’écoles, où les enseignants du primaire et du collège se rencontrent trois fois par an pour préparer l’arrivée des élèves ayant des difficultés au collège. »

Comme le ministre, il réitère la promesse d’une mise à jour prochaine de la carte de l’éducation prioritaire. « Pour l’instant, on n’a pas de visibilité là-dessus. Mais ça ne devrait pas tarder. »

L’enjeu du nombre d’élèves par classe

Reste que l’absence de classement REP ou REP+ reste un handicap lourd pour les écoles orphelines. Concernant la moyenne d’enfant par classe notamment. À l’école du Rhin, le nombre d’élèves par classe est de 21,8 en moyenne, contre 12 enfants maximum par classe dans les établissements considérés comme prioritaires.

Parfois, l’absence du sigle REP est encore plus cruelle, pour les écoles orphelines. À l’école At Home de Bischheim, une fermeture de classe était prévue, alors que l’établissement affiche un IPS très faible de 71,5. « J’ai directement appelé le député de la circonscription et le rectorat, pour tenter de faire bouger les lignes », raconte le maire de la commune, Jean-Louis Hoerlé (LR). « Malheureusement, ce sont des sujets sur lesquels les élus locaux ont peu de poids, » avoue-t-il. Après une mobilisation des parents d’élèves, le rectorat a fini par maintenir la classe.

Pour Bernadette Gillot, adjointe au maire de Bischheim en charge des affaires scolaires, la situation de l’école était contradictoire :

« C’est une population encore plus en difficulté que dans d’autres écoles REP de la commune. Mais elle ne bénéficiait pas du dédoublement des classes. Pour la prochaine rentrée, on bénéficiera cependant d’un contrat local d’accompagnement, qui nous donne plus de moyens financiers. Ce n’est pas encore le classement REP, mais c’est déjà une avancée. »

« On n’a pas trouvé mieux pour l’instant »

Loin du béton strasbourgeois, dans les milieux scolaires ruraux, on scrute aussi avec beaucoup de méfiance les évolutions des chiffres et des indicateurs de l’Éducation nationale. Le journal Le Monde relevait l’existence d’un biais de classement des collèges en faveur des villes : 48,3% des collèges en zone rurale auraient un IPS en dessous de la moyenne, sans pour autant bénéficier du dispositif REP / REP+. 

Même actualisés, ces indicateurs restent une façon imparfaite de saisir la réalité d’un territoire, plaide Hélène, enseignante à l’école de Barembach (IPS de 97,2), dans la vallée de la Bruche :

« On est rattaché au collège de la Haute-Bruche qui n’est pas REP. Mais on a beaucoup de difficultés dans nos classes, on est beaucoup plus loin des théâtres et des lieux de cultures et on a des résultats faibles lors des évaluations nationales ». 

Hélène est enseignante à l’école primaire Barembach, l’une des trois écoles regroupées sur Schirmeck. Photo : RG/ Rue89 Strasbourg/ cc

Réalisées deux fois par an, en début et fin d’année, ces évaluations permettent de détecter les problèmes et l’évolution des élèves. En français, Hélène constate que plus de 30% des CP et 37% des CE1 ont un niveau fragile. En mathématiques, ce nombre s’élève à 46% des CE1. Hélène ne comprend pas que l’école ne bénéficie pas de moyens supplémentaires : 

« On se sent démunis. Il y a une grande partie de ces élèves qui n’arrive pas à lire et comprendre un texte court, avec une capacité à lire un nombre de mots par minute très faible. En mathématiques, c’est pareil, ils ont besoin de manipuler et compter avec des objets pour que ce soit concret. L’enjeu du nombre d’élèves par classe est là, on ne peut pas faire des manipulations suffisamment souvent avec une classe trop nombreuse. »

Même s’il est imparfait, Jean-Baptiste Ladaique assure que les réseaux d’éducation prioritaire permet une « continuité » dans le suivi des parcours, de la maternelle au lycée. « On n’a pas trouvé mieux pour l’instant ». L’actuelle carte de l’éducation prioritaire date de 2015, s’appuyant sur des données de 2011.


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