
18 élèves au collège Kléber, 19 au collège Hans Arp… Au 20 septembre, de nombreux élèves, souvent issus de quartiers populaires, n’avaient pas encore d’affectation à la sortie du collège. Des personnels de l’Éducation nationale craignent que certains ne trouvent aucune solution et se perdent.
« Ma fille est à la maison. Ils ne lui ont pas encore trouvé de solution », constate Déborah. Fiorina, sa fille, était en troisième au collège Kléber à Strasbourg pendant l’année scolaire 2021-2022. Victime de harcèlement dans un autre établissement, elle a eu du mal à raccrocher et n’a pas réussi à avoir son brevet. Déborah raconte :
« Fiorina avait demandé une seconde professionnelle commerce mais elle a été refusée sans brevet. Elle était d’accord pour redoubler sa troisième, mais le collège ne l’a pas acceptée. »
En tout, selon plusieurs parents d’élèves et professeurs du collège Kléber, 51 élèves, soit environ un quart des élèves qui étaient en troisième l’année dernière dans cet établissement, étaient sans affectation pendant les vacances d’été. Fabrice Deparis, professeur d’allemand et membre de Sud Éducation Alsace, remarque que le phénomène a pris « des proportions énormes cette année », alors qu’il était « résiduel auparavant, il s’agissait seulement d’une poignée d’élèves ».

Entretemps, des élèves se sont inscrits dans des lycées privés. D’autres ont été admis dans l’établissement qu’ils avaient choisi car des places se sont libérées. Certains adolescents ont trouvé des contrats d’apprentissage. Mais selon le pointage du rectorat de l’académie de Strasbourg, il reste au collège Kléber 18 élèves sans affectation au mardi 20 septembre :
« Les élèves en attente d’affectation bénéficient cette semaine d’entretiens d’orientation organisés dans l’établissement. Ils candidateront sur les places vacantes dans la voie professionnelle. Ceux qui n’auront pu obtenir satisfaction seront accueillis en classe de troisième. Aucun élève ne sera lâché dans la nature. »
Méconnaissance du système et manque de mobilité
Au collège Hans Arp de l’Elsau, au 1er juillet, 40 élèves sur 140 en troisième l’année dernière étaient sans affectation pour la rentrée 2022. Mi-septembre, il reste encore 19 élèves sans affectation. Bertrand Pabst, le principal, explique que cette situation anormale n’est pas nouvelle :
« Je suis chef d’établissement de quartier populaire depuis 14 ans. La proportion d’élèves sans affectation à la sortie de troisième a toujours été la même. Beaucoup de jeunes sont dans cette situation car ils ont formulé des vœux pour des filières, comme bac pro gestion et administration par exemple, dans lesquelles ils n’ont pas été admis parce qu’il y avait de la concurrence. Dans les formations pour les métiers du bâtiment, il y a de la place. Mais ces professions ne sont plus valorisées, et les élèves veulent moins faire ça. »
Les milieux défavorisés bien plus impactés
Le principal du collège Hans Arp ajoute que tout au long du mois de septembre, les élèves non affectés sont accueillis dans l’établissement pour des « journées ateliers » au cours desquelles ils peuvent trouver d’autres filières ou des contrats d’apprentissage :
« C’est propre à notre établissement. On veut qu’ils viennent quotidiennement et gardent le rythme parce que le risque, si on les perd de vue, c’est qu’ils se fassent attraper par le quartier. Mais malheureusement, cela arrive presque tous les ans pour une partie d’entre eux. »
Manque de structure pour encadrer les publics de quartiers populaires
Fabrice Deparis, du collège Kléber, constate que son établissement n’est pas adapté à ces problématiques :
« Depuis 2017, le collège accueille des jeunes de l’école des Romains à Koenigshoffen, qui est en réseau d’éducation prioritaire, à l’inverse du collège Kléber. La mixité sociale c’est bien mais nous n’avons pas la structure pour accompagner les jeunes plus défavorisés. Il étaient 46 l’année dernière en troisième, et ce sont eux qui sont majoritairement sans débouché aujourd’hui. En résumé, ce sont surtout des élèves de familles pauvres qui se retrouvent déclassés, sans affectation. On ne sort pas de ce schéma. »

Dévalorisation des métiers du bâtiment
D’autres établissements sont concernés mais le rectorat n’a pas voulu détailler à Rue89 Strasbourg l’ampleur et les raisons du phénomène dans l’académie. Secrétaire académique du Snetaa – Force ouvrière (FO), syndicat majoritaire dans l’enseignement professionnel, Nicolas Robert siège au comité technique académique mais il n’est pas plus précis :
« Nous n’avons pas encore les chiffres globaux, qui doivent être communiqués par le rectorat. Selon les retours que nous avons, de nombreux établissements sont concernés. Au niveau des lycées professionnels dans le Bas-Rhin, une centaine de places pour des élèves sont vacantes. Cela montre bien qu’il y a un problème dans les affectations. »
Déborah, la mère de Fiorina, dénonce la difficulté pour trouver un débouché pour sa fille qui est avant tout « victime de la situation » :
« Nous bataillons pour qu’elle ne redouble pas dans son collège de secteur, ou ses harceleuses sont encore scolarisées. La principale adjointe du collège Kléber nous a dit que Fiorina n’avait pas fait les efforts escomptés lors d’un rendez-vous. C’est violent d’entendre ça. »
Dans le reste de la France, d’autres régions sont touchées par les élèves sans affectation, surtout dans les quartiers populaires. Par exemple, Le Parisien a publié une vidéo le 13 septembre révélant que 900 élèves étaient sans affectation dans l’Essonne. Selon des syndicats, une réforme entrée en vigueur en 2019 a dévalorisé la voie professionnelle, dégradé la formation et diminué le nombre d’heures de cours.
Une réforme de 2019 aux effets pervers
Nicolas Robert enseigne les métiers du bâtiment dans un lycée professionnel à Haguenau et accuse aussi la réforme de 2019. Elle aurait une grande part de responsabilité dans le nombre d’élèves sans affectation :
« Dans ma section, nous n’accueillons que huit élèves alors qu’ils pourraient être quinze. En général, dans nos filières, les classes ne sont plus remplies depuis la réforme. Elle a imposé un tronc commun en première année et une spécialisation progressive les années suivantes. Pour le bâtiment, ce tronc commun s’appelle « métiers de la construction durable », à destination de ceux qui veulent faire de la maçonnerie, de la métallerie et du travail du PVC. Ce changement de nom a créé une grande confusion. D’après les retours qu’on a, les familles, les profs et les conseillers d’orientation n’ont pas bien intégré cette réorganisation. Nous constatons aussi une baisse du niveau des élèves, parce qu’ils reçoivent moins d’heures de cours dédiés à l’apprentissage du métier qu’ils veulent exercer. »
Appeler tous les jours pour trouver une solution..
Fiorina est passée en commission pour être admise dans une classe de troisième « Ambition pro », qui vise à lui faire découvrir d’autres métiers, mais elle n’a toujours pas de réponse. « J’appelle des établissements tous les jours. C’est comme ça qu’on trouvera une affectation pour ma fille, sinon on n’aurait rien du tout », conclut Déborah.
Les solutions trouvées dans l’urgence au mois de septembre seront-elles vraiment adaptées aux élèves ? Et combien sortiront définitivement des filières de l’Éducation nationale ? Bertrand Pabst, du collège Hans Arp, indique que les élèves dans cette situation peuvent encore être aidés par des « structures sociales comme l’Arsea, qui parviennent parfois à les orienter vers des contrats d’apprentissage ».
En plus de ce que l'excellente alerte de Rue 89 met en lumière, on sait que les dévastations touchent tous les services publics comme dans le sanitaire et social où on regrette chaque jour que les indications " handicaps" de la MDPH vers les classes Ulis, les IME ou l'attribution d'une AVS restent de plus en plus sans effet.
Et on retrouve alors nombre d'enfants handicapés dans les classes "normales" imposant aux enseignants des objectifs inatteignables.
Pareil à l'hôpital en pédopsychiatrie ou dans les CMPP où les délais d' attente deviennent dissuasifs alors que les soignants donnent "tout", déjà.
Les enseignants et les soignant souvent dévoués, créatifs, sinon brillants et les équipes pédagogiques s'épuisent à la tâche et ont plusieurs métiers à la fois à salaire constant
J'ai retrouvé sous la plume d'éminents prof strasbourgeois
dans le No 90
de la revue Pratiques
sortie en juillet 2020
( C. Muccioli 1, E. Noll 2, J. Pottecher 2, P. Diemunsch 2, P.A. Liverneaux 1,3) * un témoignage édifiant:
"Au sortir de la crise, la reprise des activités à court terme se fera progressivement, d’une part parce que les personnels épuisés auront besoin de repos, d’autre part parce que l’hypothèse d’une deuxième vague nécessite la plus grande prudence avant de redéployer les personnels soignants vers leurs activités d’avant la pandémie. Enfin, à moyen et à long terme se pose la question de l’avenir de l’hôpital public universitaire, constamment tiraillé par des injonctions paradoxales, toujours faire plus et mieux avec moins de moyens. Ce modèle productiviste et managérial devra être complètement revu au risque de voir exploser le système de santé, pilier important de notre démocratie."
Il y a urgence et ce n'est pas faute d'avoir alerté.
Jusqu'où le Titanic va-t-il se précipiter et pendant combien de temps restera-t-il à flot?
Ou bien qui a intérêt à voir la destruction de nos services publics?
En effet, dans le même article , Philippe Liverneaux ajoutait:
"On pourrait dire que la crise sanitaire déclenchée par le coronavirus a révélé certaines
défaillances structurelles de notre service public hospitalier, dont les objectifs comptables de maîtrise des
dépenses ont montré leurs limites pendant la crise de
la Covid-19 et doivent être remis en question afin
d’instaurer une nouvelle gouvernance centrée sur des
objectifs stratégiques, telle l’autonomie de l’Union
européenne en matière de production de biens médicaux, sans oublier la nécessaire revalorisation des
salaires du personnel soignant, un des moyens de retenir les anciens et d’attirer les plus jeunes dans la
profession.
La tarification à l’activité (T2A) est devenue contreproductive. Elle a entraîné une inflation d’actes moins
utiles et urgents.
Nous devons encourager une gouvernance collégiale
des hôpitaux qui donne une meilleure part aux soignants et aux usagers.
Nous devons redéfinir une stratégie globale de notre
politique de santé au niveau national et européen et
disposer d’une véritable autonomie et indépendance
face aux menaces constituées par les futures crises
sanitaires : en épidémiologie, en santé publique, en
matériel médical et en recherches thérapeutiques et
vaccinales."
Notre société sera jugée à la manière dont elle aura pris soin des "ses" plus fragiles.
C'est mon sentiment.
*1 Pôle de chirurgie orthopédique et plastique, Hôpital universitaire de Strasbourg, FMTS, 1 avenue Molière, 67200 Strasbourg Cedex, France
2 Pôle anesthésie, réanimation et médecine péri-opératoire, Hôpital universitaire de Strasbourg, FMTS, Université de Strasbourg, Hôpital de Hautepierre, 1 avenue Molière, 67200 Strasbourg Cedex, France
3 ICube CNRS UMR7357, Université de Strasbourg, 2-4 rue Boussingault, 67000 Strasbourg, France
Nous n'accusons pas le collège Kléber mais nous décrivons un problème qui existe dans ce collège : les élèves sans affectation. D'ailleurs, nous évoquons le dispositif de l'établissement mis en place actuellement pour les élèves concernés.
Bien cordialement,
Thibault Vetter, pour Rue89 Strasbourg