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Arrivés à Nîmes en train, ces supporters du Racing pointent désormais au commissariat plutôt qu’au stade

Le Racing club de Strasbourg défie le Paris Saint Germain et ses stars ce samedi 14 septembre à 17h30. Mais pour 49 de ses plus grands fans, leur samedi se passera au commissariat et non au Parc des Princes. La préfecture les prive de déplacement pour 3 mois pour s’être rendus en gare de Nîmes un soir de match, un lieu qu’ils devaient éviter. Retour sur une sanction polémique, sans qu’un juge puisse se prononcer.

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Arrivés à Nîmes en train, ces supporters du Racing pointent désormais au commissariat plutôt qu’au stade

L’histoire débute un samedi de mars. Le 16, le Racing club de Strasbourg (10è) se rend à Nîmes (11è) pour un match de championnat. Une rencontre de milieu de tableau qui mobilise peu les fans si loin de l’Alsace. En outre, plus de 30 000 Strasbourgeois ont déjà prévu d’aller à Lille deux semaines plus tard pour la finale de la Coupe de la Ligue. Ainsi, seuls 88 supporters prévoient le déplacement, un contingent plutôt modeste.

Depuis le retour du club dans l’élite en 2017, les associations de supporters se sont habituées à la publications d’arrêtés limitant leurs déplacements. Ces textes pour les matches classés « à risque » limitent en nombre de participants, restreignent l’accès à des zones de la ville voire les interdisent complètement.

En mars, anticipant un tel texte, l’association des Ultras Boys 90 (UB90) prévoit un départ de nuit, un arrêt à Avignon en fin de matinée pour y passer l’après-midi, avant de gagner le stade des Costières à Nîmes en train pour le match à 20h. Autre avantage, cela permet aux chauffeurs des deux bus de continuer leur route, prendre leur pause réglementaire (11h consécutives), puis effectuer le trajet retour de nuit avec les fans après le coup de sifflet final.

Respecter l’arrêté… par l’absurde

Sans surprise, un arrêté de la préfecture du Gard est publié deux jours avant le match. Il invoque notamment un « antagonisme politique entre les ultras des clubs nîmois et strasbourgeois et d’alliances passées entre les « ultras nîmois et ultras mulhousiens » et décrit deux moments tendus depuis 2016. « Ces antécédents, on ne les conteste pas », justifie d’emblée « Roulian » (pseudo) l’un des supporters, membre de la « Vieille Garde » au sein des « Ultras Boys 90 » qui a participé au déplacement. Mais ce qui n’a pas été anticipé, c’est que le périmètre interdit retenait la zone de la gare. Un rendez-vous avec les forces de l’ordre est fixé aux autocars en amont de la ville. Chez les supporters, on hésite sur la marche à suivre :

« Quand on a vu ça on s’est demandé ce qu’on fait ? Cela nécessitait de revoir toute l’organisation. On a décidé collectivement de garder ce qui était prévu et qu’on pouvait respecter l’arrêté à la lettre. »

Les encadrants connaissent par cœur la formulation de ces arrêtés. Ils interdisent à « à toute personne se prévalant de la qualité de supporter » d’un club « ou se comportant comme tel » de paraître dans certaines zones de la ville où se tient le match. Le risque est connu, mais la consigne est claire : pas de chant, pas de signe distinctif.

Au début, tout se passe bien. « On s’est baladés, moi je suis allé voir le Palais des Papes. On a croisé quelques Gilets jaunes, mais ils ont compris que cela ne les concernait pas trop. Les policiers, très présents, nous ont aussi remarqués », poursuit Roulian, informaticien et père de famille.

En déplacement, comme ici à Dijon en 2019, ou à domicile, les supporters interpellent les autorités via des tribunes. Sans grand succès jusqu’à présent. (Photo Racingstub)

Le plan continue comme prévu. En fin d’après-midi, direction la gare d’Avignon pour acheter 88 billets de TER vers Nîmes. Dans le hall, vers 17h30, des agents de la sécurité ferroviaire viennent se renseigner : « Nous nous rendons à Nîmes », répond simplement celui qui dirige le groupe, sans mentionner le match.

Sur le quai de la gare de Nîmes une demi-heure plus tard, une centaine de policiers de la Bac, plus que de supporters, attend le groupe. Les autorités et les supporters sont plutôt raccords sur la description des faits : les interpellations se déroulent dans le calme. « On sait que vous attendez le train Mulhouse qui arrive pour vous affronter », lance un policier, à la surprise des supporters.

« On croyait qu’ils allaient nous emmener au stade »

Ces arrêtés visent entres autres à ne pas trop mobiliser les forces de l’ordre, mais… ils demandent des moyens conséquents pour les appliquer. Les 88 montent dans deux bus de l’agglomération de Nîmes. « On croyait qu’ils allaient nous emmener au stade. En regardant le GPS sur les téléphones, on a compris qu’on allait dans la direction inverse. », se souvient Roulian, venu entre amis mais sans sa famille. La troupe arrive à l’école de police de Nîmes, où les identités sont relevées.

Environ 2500 supporters du RCS ont pu se rendre au match de barrage de Coupe d’Europe (Europa League) à Francfort. Leur nombre n’était pas encadré. (Photo Rachaminov / Racingstub)

Sur place, les représentants des supporters négocient avec la commissaire présente. « J’attends un feu vert, je ne vois pas de raison de vous retenir » dit la policière. Pourtant, le « Supporter Liaison Officer », un interlocuteur entre le club et les supporters, par ailleurs ancien ultra, doit transmettre la mauvaise nouvelle : « Retour à Strasbourg ». Les deux cars sont escortés jusqu’à Orange à une cinquantaine de kilomètres de là, pour s’assurer que la tribu ne fasse pas demi-tour. Et tant pis pour les 11 heures de pause des chauffeurs.

Convocation deux mois plus tard

L’histoire aurait pu s’arrêter là. « On n’a pas pu aller au match, on s’est déjà dit que c’était une grosse sanction », pense alors Roulian.

Deux mois plus tard, en mai, il reçoit un convocation au commissariat de police, comme un peu plus de la moitié des protagonistes du 16 mars. Très précisément 49 sur les 88 présents. Pourquoi 49 sur 88 ? Tout le monde a son hypothèse, mais personne n’a la réponse. « Les policiers ont autre chose à faire », estime un suiveur du club, membre du Racingstub. « Certains ont changé d’adresse et sont plus durs à retrouver », pense un autre. Difficile de dresser des critères objectifs : certes, aucun des mineurs présent n’est appelé, mais certaines filles le sont ou un habitant du Haut-Rhin.

Le directeur de cabinet du préfet du Bas-Rhin, Dominique Schuffenecker, qui gère le dossier, n’a pas d’explication non plus : « Je ne sais pas, cela doit être ceux qui ont été identifiés. Il n’y a pas de passe-droit ou de traitement de faveur ». Pourtant, la quasi-totalité des identités ont été relevées à Nîmes.

Les 49 ont beau avoir une audition pour se défendre, leur présence ne peut être contestée. Ils apprennent qu’ils sont frappés d’une « interdiction administrative de stade » (IAS), décidée par le préfecture. Il s’agit d’un pouvoir des préfets subtilement intégré lors d’une loi anti-terroristes de 2006, puis étendu lors de nouvelles lois en 2010 puis 2016.

La préfecture propose de réduire la sanction

Lors d’une réunion en juillet à la préfecture à l’initiative du club, le sujet est abordé. Pour la préfecture, Dominique Schuffenecker propose de réduire l’interdiction de 3 mois par rapport aux 6 envisagés. Un compromis accepté par les Ultras boys 90. « Parmi les arguments, il y avait celui de ne pas sanctionner les leaders trop longtemps, qui assurent que les déplacements se passent bien », se souvient le haut-fonctionnaire.

En partie soulagés, les supporters prennent l’engagement de respecter la sanction. Les UB90 savent aussi que le Racing a demandé à jouer un maximum de matchs à domicile pour la nouvelle saison (3 des 4 premiers), qui débute en août. L’interdiction ne fait rater « que » 5 déplacements sur 19, même si certains peu éloignés, à Reims, Dijon ou Paris, permettent de faire « un peu de marge pour financer les déplacements plus éloignés, ou moins de personnes se rendent » (comme à Nîmes).

Mais autre surprise, cette interdiction est assortie d’une obligation de pointer au commissariat quand le Racing se déplace. Elle ne s’est appliquée qu’à une rencontre pour le moment, lors du match à Reims le dimanche 18 août.

Roulian, mandaté pour s’exprimer par les UB90, s’agace :

« Si à Strasbourg c’était nickel, on peut venir l’après-midi et regarder le match ensuite, mais à la campagne ça a été un festival : des gendarmeries fermées, des gendarmes qui ne comprennent pas, d’autres qui font un contrôle d’alcoolémie dans la foulée, ceux qui prennent à 17h45 (l’heure de la mi-temps), mais pas à 17h43… »

D’autres sont convoqués le samedi, jour d’ouverture de la gendarmerie de secteur, alors que le match est le dimanche. La préfecture se dit consciente de ces dysfonctionnements et « en discussion pour régler le problème », sans avoir trouvé de solution à ce stade.

Ce samedi 14 septembre, à l’occasion du match à Paris, les UB90 appellent à un rassemblement de protestation devant le commissariat de Strasbourg à 16h30, avant d’aller voir le match à 17h30. Les autres membres de l’association non-sanctionnés boycottent les déplacements le temps des 3 mois.

L’interdiction est valable uniquement en France. Elle n’empêche pas les 49 de se rendre au stade de la Meinau, ni de se rendre au déplacement à Francfort le 29 août, où le contexte était tendu.

Et le club dans tout ça ? « Marc Keller met toujours en avant l’ambiance de la Meinau ce qui n’est pas le cas de tous les présidents. Mais il a aussi ce côté gendre idéal, un poste à la fédération. On aurait apprécié qu’au moins le soir du match il dise aux caméras que ce n’est pas normal que ses supporters n’aient pas pu venir », regrette Roulian. Malgré de multiples sollicitations, le club a refusé de s’exprimer auprès de Rue89 Strasbourg sur le sujet.

Philippe Wolff, président de la fédération des supporters (qui englobe les UB90 et d’autres groupes) comprend la position :

« Par rapport a d’autres villes, nous ne sommes pas à plaindre. Le club agit en sous-main et les relations sont bonnes. On aimerait toujours qu’il en fasse plus et prenne position publiquement dans le débat. Le club nous répond que s’il le fait, cela se passe moins bien en préfecture. »

Les 49 envisageraient d’attaquer les interdictions administratives, ce que nous n’avons pas pu confirmer. En France, une majorité de ces IAS contestées, de l’ordre de 75%, sont déclarées illégales. Mais le problème est que la justice se prononce souvent quand elles sont déjà terminées « Le juge rejette très souvent les référés pour défaut d’urgence », explique Me Pierre Barthelemy, avocat de l’association nationale des supporters (ASN), habitué à porter ce type de recours.

Selon la préfecture du Bas-Rhin, la dernière interdiction de stade contestée dans le département datait de juillet 2017 pour une durée de six mois. En avril 2019, le tribunal administratif a validé cette IAS.

À l’instar de l’association des supporters, les UB90 déplorent que ces interdictions ne passent jamais par la case justice. Roulian reprend :

« On est les premiers à dire que les supporters violents doivent répondre de leurs actes devant un juge, comme n’importe quel citoyen. Mais on est contre la sanction collective. L’IAS est aujourd’hui dévoyée. Cela devait être une mesure préventive après un acte manifestement répréhensible, le temps d’un jugement. »

La préfecture du Bas-Rhin nous a confirmé qu’il n’y aurait pas de poursuites pénales contre les 49. « Ce serait au parquet de s’auto-saisir », complète-t-elle.

Réplique dans la société

Le gouvernement a tenté de répliquer ces interdictions « préventives » décidées par les préfets pour des manifestants début 2019. Le Conseil constitutionnel avait finalement retoqué cet article de loi, jugée comme une atteinte aux libertés. « C’est comme si certaines libertés étaient plus fondamentales que d’autres. On a l’impression que les stades, qui sont un reflet de la société et ses imperfections, sont un laboratoire pour le reste du pays », s’agace Roulian.

Du côté de la préfecture du Bas-Rhin, Dominique Schuffenecker espère une désescalade :

« D’habitude, on a moins d’une dizaine d’interdictions en cours. On en a actuellement 7 autres pour des faits plus graves et qui ne font pas parler d’elles. Il est vrai qu’il y a une tension, on le voit par les banderoles qui nous interpellent lors des matches, sûrement liée à l’ampleur du nombre de personnes. Fin octobre, les suspensions vont expirer et cela devrait s’apaiser. »

Pour autant, la « sanction administrative » n’est pas regrettée :

« Il était important que l’on sanctionne pour montrer que ces arrêtés doivent être respectés. Les personnes concernées vont réfléchir avant d’enfreindre à nouveau un arrêté. »

Le directeur de cabinet aurait promis de venir voir un match dans le kop pour mieux comprendre la culture des ultras. « Vous me l’apprenez, mais c’est quelque chose que je pourrais faire. On est dans le dialogue », répond l’intéressé.

Une mission parlementaire en cours

Les supporters ont peut-être trouvé un allié avec le député de la majorité Sacha Houlié (LREM). Avec l’ancienne ministre des Sports Marie-Georges Buffet (aujourd’hui députée PCF), il débute une mission d’information parlementaire sur le supporterisme. Le député de la Vienne, 31 ans, qui a suivi plusieurs matches dans les tribunes d’Ultra à Marseille avant d’être élu, espère pouvoir revoir ces règles :

« Lors du débat sur la loi anti-casseurs, le Premier ministre a dit qu’il voulait s’inspirer des interdictions de stade qui avaient fait leurs preuves. Or, ce dispositif, qui est un régime d’exception, n’a jamais été évalué. Je ne veux pas faire de fausses promesses, mais il est temps d’entendre tout le monde sur le sujet et de faire des propositions. »

L’association nationale des supporters (dont est membre la fédération des supporters strasbourgeois) a voté lors de son assemblée générale sa participation et a déjà versé une contribution documentée. À l’automne, les auditions prévoient plusieurs déplacements, à Lyon, Saint-Étienne, et peut-être à Strasbourg. « Ce serait intéressant », selon le marcheur.


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