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À Strasbourg, l’artiste Jamila Wallentin tisse un fil à soi(e)

Révélation personnelle du 25e anniversaire de la foire d’art contemporain ST-ART à Strasbourg, les incisions de l’artiste strasbourgeoise Jamila Wallentin, série de sculptures textiles, invitent à l’introspection.

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À Strasbourg, l’artiste Jamila Wallentin tisse un fil à soi(e)

Nous avons rencontré l’artiste Jamila Wallentin dans son atelier au Bastion XIV. Autrefois un bâtiment militaire, il abrite aujourd’hui une ruche d’ateliers d’artistes appartenant à la Ville de Strasbourg. Son antre est comme un cocon décoré de photographies, avec une bibliothèque remplie de ses livres fétiches et un établi en bois où les bijoux sont imaginés et crées. Jamila le partage avec son amie, également bijoutière et collègue de promotion, Cannelle Preira.

Diplômée en 2018, d’un master art-objet-atelier bijou de la Haute école des arts du Rhin (Hear) de Strasbourg, Jamila Wallentin aborde la question du lien entre les individus et entre l’artiste et la matière : l’argent, la laine, le coton, qu’elle transforme pour révéler ce qui l’entoure, mettre l’accent sur l’importance des sens, des gestes, dans un respect de techniques ancestrales et de l’artisanat. Telle une Pénélope des temps modernes, elle enroule du fil jour après jour pour former l’œuvre qui s’offre à notre regard. Le temps est distendu : il est lui aussi travaillé comme une matière organique.

Polyvalente, Jamila Wallentin est aussi autrice d’un texte pour l’artiste Elise Grenois, ainsi que d’un blog intitulé Les liens suspendus où elle partage son point de vue et son regard sur des productions contemporaines qui l’interpellent. Médiatrice le week-end pour le Centre européen d’actions artistiques contemporaines (CEAAC), elle travaillera bientôt aux côtés de Maryline Brustolin, directrice de la galerie Salle Principale à Paris.

Jamila Wallentin Photo : Maxime Weiler / doc remis

Un travail incisif

La pièce qui fut montrée au salon ST-ART est extraite d’une série commencée en 2017 : six petites bobines présentées en duo, appelées Les Incisions. Les pièces de textiles sont découpées pour laisser apparaitre ce qu’elles ont dans le ventre. Jamila Wallentin s’est inspirée du processus de morphogenèse, ensemble de lois qui régissent la forme et la structure d’un organisme en évolution.

Elle a construit une machine rudimentaire à l’aide d’un moteur de ventilateur et d’une pointe de serrage fixés sur un support : une structure similaire à celle d’un tour à bois où est inséré un axe en cire sculptée ou un morceau de bois qui entre en rotation. Des fils de couleurs et de textures différentes s’embobinent autour de la pièce et entrent en tension comme sur une machine à coudre puis passent dans une structure métallique placée sur un pot de colle blanche pour reliure.

Incisions, 2017-2018, bobinage mécanique, fil de coton, soie, polyester, colle.

Lorsqu’on le touche, que la connexion sensuelle s’établit, la main de l’artiste va influencer la forme de la pièce en train de se faire. Une fois celle-ci séchée, Jamila procède à l’incision pour découvrir les strates de fils enfermées à l’intérieur de la bobine. Leurs formes ouvrent le champ des interprétations possibles : tantôt géodes ou concombres, les regardeurs, interrogatifs, sont songeurs.

« Une oeuvre exposée est morte »

« J’aime faire et j’aime beaucoup utiliser le mot bricoler. Je poursuis une approche de la matière empirique et expérimentale », explique Jamila, inspirée par les ouvrages d’André Leroi-Gourhan ou de l’anthropologue Tim Ingold. Elle ajoute : « Le processus est tout aussi important que la pièce finale, une œuvre finie exposée est morte, celle qui est collectionnée l’est encore plus. » Le processus créatif est plus exaltant au moment de l’évolution d’une pièce à l’atelier que dans sa forme achevée et exposée.

La question du lien est essentielle pour comprendre sa pratique de la sculpture et du bijou. Elle apparait par sa sémantique, par ce qu’elle symbolise et matériellement. Le lien est aussi le titre de son mémoire de fin d’étude, par l’usage du terme allemand « zusammenhänge », littéralement « suspendre ensemble » pour renouer le lien avec les autres et notre environnement.


#Art contemporain

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