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Au TAPS, la crise économique et la famille par Tennesse Williams

Si les époques faisaient place à un anachronisme ironique, nous aurions droit à une version féminine de l’émission « Qui veut épouser mon fils ? » revisité de façon élégamment féminine. Sur la forme seulement. Car « La Ménagerie de verre » pose la question plus profonde de l’utilisation de la mémoire, du souvenir, sous couvert de crise économique gérée en famille par une mère protectrice jusqu’à la dictature. À voir jusqu’à vendredi au TAPS Scala. 

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La pièce, mise en scène au TAPS par Martin Adamiec, est un conte mélancolique suspendu au désir d'une mère de combler sa fille.

La pièce, mise en scène au TAPS par Martin Adamiec, est un conte mélancolique suspendu au désir d'une mère de combler sa fille.
La pièce, mise en scène au TAPS par Martin Adamiec, est un conte mélancolique suspendu au désir d’une mère de combler sa fille. (doc remis)

Nous sommes dans les années 30 aux États-Unis. La Grande Dépression américaine se fait petit à petit piétiner par le « New Deal » cher à Roosevelt. Mais le renouveau n’est pas encore là et les États-Unis végètent dans une sorte de latence intermédiaire, installés dans une morne salle d’attente pour une opération de renaissance financière. Loin de ces affaires économiques, une petite famille se débat avec les tourments d’une société qui ne lui fait pas de cadeau. Une mère, abandonnée par son mari, mélancolique jusqu’à la dépression ; un fils aux allures de renégat, rebelle jusqu’à l’os et qui n’entend pas en démordre face à la grandeur de ses songes ; une jeune femme infirme, claudicant tristement sa jambe sur un sol aussi fuyant que son assurance perdue ; et un bellâtre, qui va apparaître à la toute fin de la pièce, au donjuanisme proprement destructeur.

On sent déjà les thèmes chers à l’auteur dramatique Tennessee Williams (1911 – 1983) : la solitude, une certaine mélancolie, un désir refoulé jusqu’à la sauvagerie, un culte du secret et du rêve. Et celui qui incarne le mieux ces thèmes est sans conteste le fils d’Amanda Wingfield, Tom, pour qui Tennessee Williams a écrit, en qui l’auteur s’est immédiatement reconnu. Il fallait à Tennessee Williams un personnage qui lui ressemble, qui est perdu mais qui garde un certain prestige, une certaine allure : ce sera chose faite avec Tom.

Tom Wingfield / Tennessee Williams : une même âme

Tom Wingfield nous conte avec un certain brio ses déboires familiaux, le tout accompagné du son mélodieux d’une contrebasse censée rythmer les paroles d’un jeune homme dansant avec quelque espoir. Révoltée, sa mère, Amanda, lui répète à l’envi qu’il est le digne fils de son père : un lâche, qui a préféré fuir ses responsabilités pour parcourir le vaste monde aux bras d’une jeune femme. Contremaître dans un entrepôt, Tom souffre déjà très mal la comparaison avec quelqu’un dont il finira au final par être fier. Tom Wingfield se débat avec ses contradictions et, pour s’en extirper, il dira de façon récurrente qu’il va au « cinéma », sorte de parade oratoire pour courir les bordels et les bars.

Le personnage prend véritablement aux tripes car nous nous reconnaissons tous, quelque part, en ce Tom supportant mal le regard accusateur d’une mère qui ne place pas une once de confiance en sa progéniture. Dès lors, on préfère mieux s’enfoncer dans les brumes ténébreuses de la nuit que de participer au cirque social. Tom part, aidé moralement par sa soeur qui ne peut rien faire pour lui. Les deux s’entraident, se réchauffent dans le manteau chaleureux d’une triste solitude.

Laura Wingfield, une tristesse nommée désir

Une soeur au catastrophique manque de confiance en soi, qui donne au mauvais fonctionnement de sa jambe une démesure désespérée. Elle entretient, de façon très poétique et rêveuse d’ailleurs, une petite ménagerie de verre qui occupe tout son temps, sous l’oeil las et résigné d’une mère revêche qui cherche à tout prix à « caser » sa fille. Timide jusqu’au mutisme, Laura Wingfield cultive pourtant en son sein un jardin secret, aux pommes remplies d’amour : elle nourrit une tendresse unique et historique à l’égard de Jim O’Connor, un camarade de lycée à la voix de crooner.

Laura aime, s’occupant de ses créatures de verre à la vie imaginaire, convoquer à sa guise le souvenir enfoui du seul amour de sa vie. Un amour si lointain.. mais si proche pourtant. Tennessee Williams, inscrivant superbement une péripétie lumineuse dans une histoire qui sombrait dans le banal, sait discrètement bouleverser les faits établis : Jim O’Connor, dans un hasard romanesque, travaille dans le même entrepôt que le frère de Laura. Et c’est Jim qu’il va convoquer à dîner sous ordre de sa mère qui ne savait rien du roman d’amour qui s’écrivait dans l’esprit de Laura. La suite sera fameuse et… riche en rebondissements passionnés.

Difficile d’avoir en nous quelque chose de Tennessee

Il n’est bien évidemment pas donné à tout le monde de jouer du Tennessee Williams, qui signe là sa deuxième pièce, écrite à 33 ans, en 1944. L’un des plus grands auteurs de théâtre a écrit son texte de telle sorte que la famille joue son unité sur des malheurs successifs, sur des obligations, des culpabilités rappelées tout au long de la pièce (Amanda qui dit à son fils qu’il pourra partir quand sa soeur sera heureuse, qu’il pourra librement abandonner sa mère quand il le désirera). Ambiance.

Il est difficile de mobiliser toute son énergie pour jouer des scènes tragiques, des déclamations oniriques, traçant, ici et là, des espoirs pour un pays, espoirs édictés par un jeune homme ambitieux mais dont les mains et les capacités d’action sont forcément enchaînés à sa misérable condition. On aurait aimé voir une implication supplémentaire des comédiens qui respiraient, parfois, un peu trop l’académisme. On pardonnera car c’est la première d’une pièce majestueuse. Mais il convient de rappeler que le théâtre est une vie dans la vie, et que tout se joue comme si on allait lâcher son dernier souffle à tout moment. On se doit de garder une assurance, une constance dans le jeu, et ne pas faiblir sous le poids d’une oeuvre magique, au parfum révolutionnaire.

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