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« Avant que les flammes ne s’éteignent » : Strasbourg au cœur d’un film sur les violences policières

Le long-métrage de Mehdi Fikri, Avant que les flammes ne s’éteignent, raconte les violences policières du point de vue des proches de victimes, entre drame intime et prise de conscience politique. Le film prend Strasbourg et sa périphérie pour décor.

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« Avant que les flammes ne s’éteignent » : Strasbourg au cœur d’un film sur les violences policières

Cité des écrivains, hôpital de Hautepierre, conseil municipal de Schiltigheim, cour d’appel de Colmar… La capitale alsacienne et le reste de la région ont servi de décor au long-métrage Avant que les flammes ne s’éteignent du réalisateur et scénariste Mehdi Fikri. Le film raconte la vie bouleversée d’une famille endeuillée par des violences policières ayant entrainé la mort de Karim, un jeune homme de 25 ans vivant à Hautepierre.

Mehdi Fikri, ex-journaliste du service police-justice du journal L’Humanité, réalisateur et scénariste du film Avant les flammes ne s’éteignent. Photo : Vincent Tchymedian

Rue89 Strasbourg : Pourquoi avoir choisi Strasbourg pour tourner un film sur une histoire de violences policières ? 

Mehdi Fikri : Pour le tournage à Strasbourg, il y a d’abord eu une nécessité. On a tourné avec le soutien de la Région Grand Est et de l’Eurométropole de Strasbourg. Mais c’est une contrainte que j’ai embrassée à 200%. J’ai voulu ancrer le film à Strasbourg.

L’esthétique froide de Strasbourg

J’aime beaucoup le cinéma politique britannique, celui de Ken Loach, ou celui de Paul Greengrass avec Bloody Sunday. Cette esthétique froide, qu’on retrouve dans Hunger de Steeve McQueen, a marqué mon imaginaire du cinéma. On a tourné le film en novembre-décembre 2022 et j’ai eu l’impression de retrouver cette esthétique à Strasbourg. Il y avait cette atmosphère hivernale du ciel alsacien et la configuration spécifique des cités qu’on retrouve dans les plans séquence sur des grandes barres d’immeubles. Ça m’a permis de me détacher du socle documentaire pour aller vers la fiction.

Quels sont les lieux strasbourgeois qui vous ont marqué pendant le tournage ? 

À Strasbourg, il y a le deuxième plus grand cimetière musulman de France (dans le quartier de la Meinau, NDLR). Avec le cimetière de Bobigny, c’est le seul réservé aux musulmans en France. Ce qui me rappelle aussi la participation de Mariame Rachedi qui apparaît à la veillée funéraire. Elle chante le Coran au cimetière. Mariame, qui accompagne les croyants, nous a fait le cadeau de chanter dans le film. Ce n’était pas facile. On a tourné dans le cimetière de Strasbourg par moins 4 degrés. Malgré son âge, elle a chanté et rechanté pour toutes les prises qui ont été nécessaires. Peu de personnes le verront, mais qu’une femme chante le Coran, c’est quelque chose qui existe et que l’on voit rarement au cinéma.

Évidemment, la cité des Écrivains, qui est un quartier populaire très sensible, m’a aussi marqué. C’est une cité particulière, elle est très étendue, entre bâtiments modernes et immeubles très anciens, dont certains sont en train d’être détruits. Et puis c’est étonnant aussi comme cette cité est à cheval entre deux communes. 

Douleur intime et apprentissage politique

Il faut aussi souligner que la mairie de Schiltigheim nous a prêté la grande salle du conseil municipal, où on a tourné la conférence de presse du procureur. À Colmar, on a tourné à la cour d’appel, parce que le tribunal de Strasbourg nous avait dit non, et aussi dans une prison désaffectée. 

Au début du film, on entend effectivement parler de la cité des Écrivains à Schiltigheim. À moins d’un kilomètre, le jeune Enzo est mort en avril 2023 alors qu’il fuyait la police…

Ce sont des violences systémiques, elles n’ont rien d’exceptionnel. On n’a pas de chiffres qui existent officiellement à ma connaissance. Alors je me réfère à BastaMag qui évoque 861 personnes décédées suite à une intervention de police entre 1977 et 2022

J’espère que mon film permettra de sensibiliser à ces questions-là. Lors des avant-premières du film, je vois des gens qui ne sont pas du tout concernés, ni par les violences policières ni par la vie en quartier populaire. Ces gens sont très touchés. C’est pour ça que j’ai voulu mêler l’intime et le politique dans une fiction. J’ai voulu montrer l’expérience des personnages qui vivent cette douleur intime et cet apprentissage politique lorsqu’un proche meurt sous les coups de la police. 

Le moment pour agir, malgré le deuil

Le cinéma a ça de puissant : il permet de donner aux gens l’expérience d’une vie qu’ils ne vivront jamais. Cette expérience cinématographique est entière. Elle permet d’accéder à un rapport total au monde, au niveau mental et sensible. 

“Dès que le feu s’éteindra, tout sera fini” : que veut dire cette phrase prononcée au début du film, qui ressemble aussi au titre du long-métrage ?

Après la mort d’un jeune, la famille doit bouger très vite. Quand la révolte monte, les familles sont encore dans le temps du traumatisme et du deuil. Pourtant, c’est le moment où elles doivent agir : parler aux médias, se saisir d’un avocat, se porter partie civile, refuser d’enterrer le corps pour demander des contre-expertises, alors que dans la religion musulmane, il faut enterrer les corps vite… Ce moment, avant que le feu s’éteigne, c’est l’élément déclencheur de ce film. 

Y a-t-il d’autres violences policières qui ont eu lieu à Strasbourg ou en Alsace et qui vous ont inspirées ?

En amont du tournage non. Mais la famille de Hocine Bouras a vu le film à Colmar, la veille de sa sortie officielle. Hocine Bouras a été tué par un gendarme sur l’A35 pendant son transfert entre Strasbourg et Colmar. La mère d’Hocine Bouras a animé le débat après la projection, c’était hyper émouvant de l’entendre dire : « Ce film, c’est mon histoire. » Je suis très content que des familles se sentent représentées dans ce film et qu’elles s’en saisissent pour aborder le sujet des violences policières.


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