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Avec plus de 300 logements de standing en construction, brusque embourgeoisement des quartiers Gare et Koenigshoffen

Dans les quartiers Gare et Koenigshoffen, quatre projets de logements neufs seront livrés en 2024 et en 2025 sur l’axe qui sépare l’ouest du quartier Gare à Koenigshoffen. La majorité des logements sont vendus à des prix au-dessus du marché.

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Avec plus de 300 logements de standing en construction, brusque embourgeoisement des quartiers Gare et Koenigshoffen

Lorsque l’on remonte la rue de Wasselonne, des permis de construire fleurissent un peu partout sur les façades. Quatre projets de logements neufs, sur les 53 en cours à Strasbourg selon le site SeLoger, sont situés sur l’axe qui relie le quartier Gare à Koenigshoffen, passant par la rue de Wasselonne, la rue de Koenigshoffen et la route des Romains. La dynamique de construction n’est pas nouvelle : en 2016, le plan local d’urbanisme fixait un objectif de 45 000 logements supplémentaires en 15 ans pour les 33 communes de l’Eurométropole de Strasbourg, avec un rythme de 3 000 constructions annuelles.

Suzanne, une habitante du quartier Gare depuis 30 ans, s'inquiète pour le cadre de vie du quartier :

"La rue de Wasselonne bouchonne déjà aux heures de pointe car elle est connectée à l'autoroute. Les voitures sont immobilisées pendant des heures, ce qui apporte son lot d’effluves de pollution et de coups de klaxons. Ces nouveaux logements vont rendre la circulation quasi-impossible dans une rue déjà considérée par les riverains comme “sacrifiée”. J'ai posé des questions aux élus, mais je n'ai obtenu que des réponses vagues..."

Marie-Dominique Dreyssé, adjointe (EE-LV) à la maire et référente du quartier Gare, se veut rassurante :

"Ce sont des désagréments qui offrent des améliorations du cadre de vie. On utilise des espaces bâtis pour faire du neuf, cela va redynamiser et permettre d'amener d'autres populations dans ces quartiers".

Des appartements très chers

Sur la façade de l'ancien centre de formation des Compagnons du devoir, au 23 rue de Wasselonne, un gros panneau aux allures de galerie d'exposition présente le "Nouvel Art", des "appartements neufs de standing". En effet, sur 125 logements prévus, 81 seront proposés à la vente par le groupe Kaufman & Broad pour des prix allant de 5 620 euros le mètre carré (m²) pour un trois pièces avec parking, jusqu'à 8 598 euros le mètre carré pour un cinq pièces de 111,6 m² avec parking et terrasse. Ces prix sont largement supérieurs aux prix du quartier, qui se situent autour de 4 547 euros le mètre carré en moyenne dans le neuf et l'ancien, selon le site SeLoger. Le promoteur n'a pas souhaité répondre à nos questions sur le détail des tarifs et des ventes déjà effectuées.

Au 23 rue de Wasselonne et 12 rue d'Obernai, deux bâtiments de logements de "standing" portés par Kaufman & Broad se construisent dans le quartier Gare. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Plusieurs agents immobiliers trouvent ces tarifs très élevés pour le quartier, à l'image de Solveen Dromson, de l'agence immobilière du même nom située dans le quartier Gare :

"Les prix des logements neufs sont toujours un peu plus élevés que le logement ancien, de l'ordre de 20 à 30%. Cela s'est accentué avec le Covid et la guerre en Ukraine, le prix des matériaux ayant augmenté, les normes énergétiques sont aussi plus exigeantes. Néanmoins, avec de tels tarifs, et même si les prestations sont de bonne qualité, il est possible que dans 10 ans, les acheteurs ne puissent plus revendre leur bien à ces prix-là. On ne sait pas si le quartier Gare aura toujours le même attrait dans quelques années."

Du logement social et étudiant

Dans ce bâtiment au 23 rue de Wasselonne, 44 appartements ont été réservés par CDC Habitat pour du logement social. Depuis 2014, la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) impose aux communes de plus de 3 500 habitants de disposer de 25% de logements sociaux. Strasbourg comprend actuellement 30,93% de logements sociaux mais l'Eurométropole dans son ensemble n'en compte que 16%, alors qu'elle comptabilise 23 000 demandes pour ces logements en 2022.

L'extension de l'internat des Compagnons du Devoir se construit rue de Wasselonne et devrait être livré pour 2024. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Un peu plus loin, au 2 rue de Wasselonne, l'extension de l'internat des Compagnons du devoir est en cours de réalisation. L'internat sera réservé aux apprentis comme l'explique Cécile Simonin, responsable du pôle Développement et maîtrise d'ouvrage pour CDC Habitat, co-porteur du projet d'internat :

"Cette opération a pour vocation d'aider les jeunes compagnons à se loger en proposant 55 logements adaptés à leurs revenus. Faire du logement social dans ces quartiers, c'est aussi permettre la mixité sociale. On attend une mise en location pour août 2023. Une fois l'internat fini, les Compagnons vont libérer leur bâtiment au 23 rue de Wasselonne pour déménager dans leurs nouveaux locaux."

À la sortie du quartier Gare, un commerce bientôt transformé

En liquidation judiciaire en août 2020, le bâtiment de l'ancien supermarché oriental El-Hardi, à la sortie du quartier Gare, est à l'abandon depuis plusieurs années. Jean-Sébastien Scharf, de la société immobilière du même nom, a acquis le terrain en 2017. Depuis, les travaux n'ont pas commencé, faute d'accord avec la Ville sur la forme du projet, selon le propriétaire, qui prévoit la livraison du bâtiment pour la fin de l'année 2024.

Un local commercial de 275 mètres carrés devrait être construit au rez-de-chaussée. Les deux étages suivants seront investis par deux bureaux d'entreprises de 250 mètres carrés chacun. Pour Jean-Sébastien Scharf, c'est une recomposition positive de ce quartier :

"Il y a eu une intéressante interrogation sur le dynamisme du secteur. On est sur l’entrée de la ville, donc la Ville est exigeante sur l’architecture et sur l’animation de ce quartier qui évolue. On a développé un projet qui se marie bien avec ce quartier passant, auquel s'est ajouté le tram récemment."

En plus de ces locaux, 48 logements seront construits, dont 14 logements sociaux répartis dans le bâtiment. Les logements en accession directe se situeront entre 6 436 et 7 012 euros le mètre carré pour un studio, et autour de 5 700 euros le mètre carré pour les deux, trois et quatre pièces, tous avec terrasse, et deux logements cinq pièces à 3 632 euros le mètre carré sans terrasse. "Un tarif abordable" compte tenu de la rareté du logement neuf à Strasbourg, selon Jean-Sébastien Scharf qui considère les nouvelles constructions "extrêmement rares" dans ce quartier. Ces tarifs, bien que moins cher que ceux pratiqués par Kaufman & Broad au "Nouvel Art" restent plus élevés que ceux du quartier Gare et de Koenigshoffen, en moyenne de 4 547 euros et 2 508 euros au mètre carré selon le site SeLoger.

Deux résidences à Koenigshoffen

Un peu plus loin sur la route des Romains, derrière le chantier du nouveau centre de formation des Compagnons du Devoir, onze bâtiments de logements sont construits par les promoteurs Pierres et Territoires et Bouygues Immobilier. Le premier projet "Le Forum" accueillera 104 logements, dont 27 logements sociaux gérés par Habitation Moderne. Le deuxième, "L'Inattendu" au 117a route des Romains, proposera environ 116 logements en accession à la propriété privée, 65 en logement social géré par Habitation Moderne et 78 logements locatif libre auprès de Habitation Moderne et CDC Habitat.

Pierre Ozenne, adjoint (EE-LV) à la maire en charge des espaces publics et référent du quartier de Koenigshoffen, explique un besoin d'adaptation :

"L'offre en logements sociaux est historiquement importante à Koenigshoffen. Aujourd'hui ce sont des logements du parc privé qui permettent que les habitants soient suffisamment nombreux pour faire vivre les commerces présents. Puis il y aura les étudiants des Compagnons du devoir qui vont venir déjeuner, se reposer entre les cours. Il faut qu'il y ait une vie dans ces faubourgs, afin qu'ils ne deviennent pas des dortoirs. "

En plus des logements sociaux, 16 logements du projet Pierres et Territoires commercialisés par Opidia, un projet d'Habitation Moderne, seront accessibles par le dispositif de prêt social location accession (PSLA), qui permet pour des personnes dont les revenus sont inférieurs à un certain plafond de ressources d'acheter l'appartement neuf après une période de location, profitant de certains frais réduits lors de l'achat (TVA à 5,5%, exonération de taxe foncière pour 15 ans).

Des prix supérieurs au marché actuel

Les prix des logements se situeront entre 3 940 euros et 4 118 euros le mètre carré et il ne reste plus que neuf lots à vendre selon Pierres et Territoires. Pour le projet de Bouygues, les prix de vente se situent entre 3 925 euros à 5 330 le mètre carré pour des deux, trois et quatre pièces. Seuls 22 logements sont encore disponibles en août 2022, preuve que ces prix sont "tout à fait conformes à ceux du marché, sinon ils ne se vendraient pas", selon Florence Hauvette-Schaetzle, directrice générale Région Est chez Bouygues Immobilier.

Selon les promoteurs, les ventes dans ces quartiers sont en majorité pour des résidences principales, des familles et des jeunes actifs qui souhaitent devenir propriétaires. Mais il y a sans doute aussi des achats pour mettre ces logements en location, un levier important de la promotion immobilière grâce aux avantages fiscaux successifs, les derniers en date relevant de la Loi Pinel.

Ces prix conséquents s'expliquent en partie par "l'augmentation des coûts de construction ainsi que la rareté des terrains dans l'Eurométropole", selon Me Claudine Lotz, présidente de la Chambre des notaires du Bas-Rhin. Au premier trimestre 2022, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), relève que les prix moyens au mètre carré des appartements neufs sont passés de 3 970 euros à 4 130 euros, soit une augmentation de 160 euros par mètre carré en un an. Dans le même temps, le nombre d'appartements neufs vendus dans l'Eurométropole de Strasbourg a diminué de 11% par rapport au premier trimestre 2021.

Des logements "inclusifs"

Malgré cette tendance, Pierre Ozenne trouve ces logements neufs plus "inclusifs" :

"Il faut voir cela comme un ensemble cohérent, les logements seront conformes aux normes énergétiques, alors qu'actuellement c'est un quartier peu cher parce qu'il y a beaucoup de logements obsolètes. C'est aussi adapté à la population vieillissante, avec des logements adaptés à une mobilité réduite, qui pourra par exemple leur permettre de continuer d’habiter dans le faubourg. Moi j’appelle ça développer un quartier de manière équilibrée."


#Koenigshoffen

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