
Les candidats aux élections municipales se présentant « sans étiquette » seront quand même classés dans une grille de « nuances politiques » et ce, à leur insu. Et pas de case centre, c’est pour les statistiques.
Francine Froment est maire de la commune de Kogenheim, 1 200 habitants environ. Lorsqu’elle a déposé sa candidature à la sous-préfecture de Sélestat, elle et son équipe ont fait le choix de se présenter « sans étiquette ». Néanmoins dans la foule de documents qui lui ont été remis au moment du dépôt de candidature, a été précisé dans « l’annexe 2 » – une nouveauté pour les élections 2014 – que les candidats seront classés selon une « grille politique ». Francine Froment explique :
« Le ministre de l’intérieur a demandé à tous les préfets de France d’enregistrer tous les candidats dans une catégorie politique, à notre insu. C’est là que ça coince. On vous classe dans une catégorie politique alors que vous vous déclarez sans étiquette. »
En clair, si aux yeux de ses administrés la maire sortante sera toujours sans étiquette, pour l’administration, sa candidature sera malgré tout classée parmi une quinzaine de « nuances politiques », sans qu’elle sache laquelle. La grille va de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par divers gauche, divers droite, écologiste, UMP, socialiste, etc.
Cette situation est la résultante d’un effet combiné entre la loi du 17 mai 2013 et d’un décret paru le 30 août 2001 que le ministère de l’Intérieur applique via une directive envoyée à tous les préfets de France.
« Le parti du bon sens ou des pieds sur terre »
Dans les villages et les petites villes, les candidats n’apprécient guère d’être ainsi « catégorisés dans des fonds de commerces politiques ». Éric Kléthi, maire sortant de Boofzheim, 1 200 habitants, ironise :
« J’ai des divergences politiques avec mes conseillers, mais notre parti politique à nous pour Boofzheim c’est plutôt le bon sens ou le parti des pieds sur terre que toute autre couleur. C’est où dans leur grille ça ? »
Ces élus ruraux se définissent comme « les petits ouvriers de la République » plutôt que comme des femmes ou des hommes politiques. Ainsi Francine Froment explique qu’elle ne « demandera jamais la couleur politique de ses conseillers ». Du coup, ça rend compliqué d’en déclarer une à la préfecture au moment de la déposition de la liste.
Des acteurs plutôt que des élus
Pour la sénatrice (UMP) du Bas-Rhin, Esther Sittler, également maire de Herbsheim, commune de moins de 1 000 habitants, c’est l’engagement des futurs conseillers qui compte, plus que leur couleur politique :
« Une tête de liste choisit ses conseillers selon leur dynamisme ou leur implication dans le milieu associatif. On se rapproche de ces personnes pour qu’elles fassent partie du conseil municipal et cela n’a rien à voir avec la couleur politique. Je suis persuadée que jusqu’à 3 500 habitants, les maires repèrent leur futurs conseillers selon leur caractère volontaire. »
Interrogés, les maires ruraux « supposent » ou « espèrent » avoir été classés avec la nuance divers. Mais cette catégorie est réservée aux candidatures fantasques ou inhabituelles.
L’impératif statistique
C’est un décret du 30 août 2001 qui a lancé la « création d’un fichier des élus » avec leur classification selon leur « étiquette politique » d’une part et de leur « nuance politique » d’autre part. Lors de la délibération du 19 décembre 2013, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a autorisé cette collecte d’information pour les communes de 1 000 habitants et plus.
Par souci d’uniformisation, toutes les communes bénéficiant du scrutin proportionnel voient les candidats classés selon cette grille des « nuances politiques ». C’est ce qui a donné la situation actuelle. La Cnil se justifie en invoquant « l’intérêt public » :
« Cette nuance, attribuée par l’administration, vise à placer tout candidat ou élu sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue ainsi des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps. »
La peur d’une manipulation politique
Interrogées sur cette classification, les préfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ne cachent pas une certaine gêne : « c’est une question épineuse qui fait couler beaucoup d’encre » confie-t-on. En attendant, la position officielle est celle-ci :
« L’administration attribue de façon discrétionnaire une nuance pour les candidats de plus de 1 000 habitants. Les candidats sont avisés de la grille existante et sont invités à choisir ou à aider l’administration à choisir en donnant un maximum d’indications. »
Pas sûr que les candidats soient toujours « invités » à donner leur avis d’après les témoignages recueillis. Et mystère sur la catégorie appliquée aux candidats qui ne souhaitent pas être classés, comme Francine Froment ou Eric Kléthi…
De leur côté, les candidats craignent surtout des dérives ou d’être englobés dans des statistiques politiques qui les dépassent. Francine Froment développe :
« Nous serons utilisés et exploités pour des statistiques nationales. Je considère qu’il est inadmissible d’utiliser des candidats sans étiquette à des fins politiques. Dans quelques temps, on va annoncer à la France entière qu’il y aura tant de candidats de tendance droite et tant de candidats de tendance gauche, d’extrême gauche ou d’extrême droite. On sera tout simplement utilisés pour renforcer les grands partis politiques. Je crois que c’est une grande erreur de vouloir politiser la France entière et surtout une grande atteinte à la liberté d’opinion, à la liberté individuelle. C’est anti-démocratique. »
Éric Kléthi estime que cette classification détruit l’organisation du monde rural :
« Aujourd’hui le monde rural est sapé et le découpage des cantons montre bien qu’on s’en fiche de la vie et de l’organisation des villages et on veut tout stéréotyper sur les grandes villes. Vous n’aurez jamais une liste verte, bleue ou rose dans un village. »
Quant à Esther Sittler, elle craint que cette classification politique ne s’invite systématiquement dans les relations entre élus, au sein des futurs conseils départementaux par exemple :
« Des grands élus de droite vont privilégier les petits élus classés à droite, à un niveau où ces considérations étaient jusqu’ à présent absentes. On peut craindre des arrangements pour placer telle ou telle personne en vue des élections futures, dont les sénatoriales par exemple. »
Mais quoi, les maires des villages croyaient échapper à la politique ? Raté.
Aller plus loin
Sur le Figaro.fr : Un fichier politique controversé au ministère de l’Intérieur
Sur Maire-info.com : Fronde des candidats sans étiquette contre la grille des nuances politiques
Il y a eu d'ailleurs à ce titre un excellent article dans les DNA d'un maire très courageux pour dénoncer ce type de racket .
Quant aux étiquettes des maires absentes dans les campagnes municipales, se révèlent rapidement au fil du mandat .
Je n'en connais pas les mécanismes, mais la situation doit être - hélas - identique à celle que vous décrivez. Reste le problème que j'évoque : un "petit" maire ne peut plus rien faire sans le président de sa comcom qui lui n'est pas directement élu par le suffrage universel. Et si celui-ci est dans un grand parti politique, le "petit" maire "sans étiquette" (c'est l'objet du présent article rue89) se trouve d'une certaine façon inféodé à ce parti pour survivre.
La revue scout
Suffit de leur demander leurs positions sur le mariage pour tous, l'immigration et le droit de vote des étrangers et on a une réponse à peu près fiable, et tant pis pour les supporters de "l'apolitisme" , du "non parti pris " du " sans étiquette" qui préfèrent pas se mouiller en ces temps difficile! Par manque de courage politique et d'opportunisme.
On peut être social et libéral, conservateur et pro-mariage pour tous, pro-immigration et pro-économie.
Ce n'est pas une question de ne pas se mouiller, mais de ne pas être la marionnette d'aparatchiks qui vivent dans leur monde fermé et créent des différentiations artificielles.
Je comprends bien l'influence sur l'élection du sénat, mais rejoins alors Fred2 dans sa suggestion de suppression de celui-ci.
Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que les conseillers sont aussi potentiellement des grand électeurs, qui participent à la désignation des sénateurs. Donc connaitre leur orientation politique est aussi très utile.
un maire "sans étiquette" qui votent pour un sénateur de gauche ou de droite (dans la région c'est plutôt de droite) c'est pas sans conséquence.
une solution qui pérenniserait vraiment ce "sans étiquette" c'est la suppression du sénat et en plus que d’économie en perspective !
Ça trompe personne, 90 fois sur 100, ça veut dire « de droite » et puis c’est tout.
Vous êtes déjà allés dans ces villages? Je connais les personnes interrogées, qui cherchent avant tout à bien bosser. Ils se fichent des étiquettes que les soi-disant grands penseurs des villes tentent de leur coller.
Si les candidats municipaux à Strasbourg, pouvaient s’inspirer de ces maires de villages, en nous proposant des vrais programmes plutôt que de passer leur temps à plancher sut des listes pleines de sycophantes, on s'en porterait beaucoup mieux.
Oui, il faut aller dans le milieu rural plutot que de se gausser.
Et les conseils municipaux, pour avoir assister à de nombreux et dans différentes communes, sont autrement plus intéressants que le spectacle pitoyable du CM Strasbourg diffusé en vidéo
Je regrette cette tendance française a toujours vouloir tout ramener à un débat gauche/droite : parents d'élèves fcpe/peep, deux associations de français dans chaque pays à l'étranger (une de gauche, une de droite) etc.
Je regrette aussi la fin du panachage dans notre village, processus électoral qui permettait justement de mettre l'humain au centre des choix politiques. En passant aux deux listes figées qui s'opposent, on se rapproche des scrutins citadins idéologiques.
(J'aime bien "seule la gauche est droite" ; je la ressortirai dans la conversation ;-)
La simplification adminisrative de la France est au TOP !
Bref, tout est fait pour pourrir le vie des français.
Il faut être un peu maso pour se présenter aux élections en France.
Les nouvelles lois se superposent, se creoisent, s'entrecroisent et après on se demande pourquoi il faut des masses infinis de fonctionneaires pour y comprendre qq chose, pourquoi la france est sur la prente descendente.
Vive le pessimisme ! Vive la dépression, Toujours tout droit dans les sables mouvants.
En cette période de crise, on comprend mieux ou va l'argent maintenant...