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Caroline, 48 ans : « On est maman, on est aidantes… puis en partant à la retraite, on n’est plus rien »

« Les perdantes de la réforme » – Épisode 2. Moins bien payées que les hommes, plus souvent arrêtées pour des raisons familiales, surreprésentées dans les emplois à temps partiels… Les femmes ont tout à redouter de la réforme des retraites qui s’annonce. Témoignages.

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Caroline, 48 ans : « On est maman, on est aidantes… puis en partant à la retraite, on n’est plus rien »

Avenue de la liberté, les cortège s’additionnent en ce début d’après-midi, mardi 7 février. La troisième journée de mobilisation intersyndicale a fait descendre dans la rue près de 10 000 personnes à Strasbourg. La détermination des manifestantes ne faiblit pas. En marge du cortège, quelques unes discutent de la manière dont la réforme va les pénaliser. Elles évoquent les carrières hachées par les congés parentaux et ce nouveau système qui les obligera à travailler encore plus longtemps pour partir à taux plein. Elles discutent des temps partiels pris pour s’occuper des enfants parce que leur compagnon ne pouvait pas s’arrêter ou réduire son temps de travail. Elles estiment les conséquences de ces choix contraints sur le montant de leur pension. Témoigner ? « Non merci », répond la demi-douzaine de femmes interrogées. « De toute façon, je ne suis pas là pour moi, personnellement, mais pour soutenir les femmes de manière générale », glisse l’une d’elles.

« C’est très rare qu’une femme arrive à cotiser 43 années à taux plein »

Sur le côté du cortège elle aussi, Caroline Ferro, 48 ans, accepte d’évoquer sa situation. Au chômage, cette Brumathoise a choisi de s’arrêter pour aider sa sœur, victime d’un accident vasculaire cérébral il y a six ans. Avant, elle a cessé de travailler pendant plusieurs années pour élever ses enfants. Elle a ainsi délaissé un poste d’assistante de direction chez Intermarché pour devenir assistante maternelle.

Caroline Ferro, 48 ans : « Avec la réforme, je partirai à taux plein à 69 ans avec 1030 euros par mois. » Photo : Anne Mellier / Rue89 Strasbourg / cc

« Avec la réforme, je partirai à la retraite à 69 ans avec 1030 euros par mois, expose t-elle. Je ne pourrai jamais acheter des trimestres comme mon mari l’a fait récemment, en déboursant 4 000 euros. Je n’en ai pas les moyens. » « Cette réforme, pour nous les femmes, c’est pas possible, poursuit-elle. Il ne faut pas que ça passe. C’est très rare d’arriver à cotiser 43 années à taux plein. On est maman, on est aidantes… et puis au moment de partir à la retraite, on est plus rien. »

« On sent la contrainte d’être sur tous les fronts »

14h30. La manifestation s’élance dans les rues de la ville. Sage-femme à la clinique Sainte-Anne et déléguée syndicale Unsa, Claudia Martino insiste sur les effets délétères de la réforme. Le report de l’âge légal efface les avantages des trimestres obtenus lors des congés maternités : « Les femmes ont des carrières plus hachées, la réforme va compliquer leurs situations », ajoute-t-elle.

Claudia Martino, sage-femme à la clinique Sainte-Anne : « On se sentait déjà prises au piège dans le choix entre carrière et foyer. La réforme n’améliore pas les choses. » Photo : AM/Rue89 Strasbourg

À titre personnel, cette mère de famille de 45 ans se sent aussi concernée. « On se sentait déjà prises au piège dans le choix entre carrière et foyer. La réforme n’améliore pas les choses. Ce qui était rassurant pour moi, au moment de prendre mon congé parental, c’était de me dire que la maternité serait en partie compensée (avec le système des trimestre octroyés pour chaque enfant, NDLR). »

Claudia Martino poursuit en évoquant la pénibilité du domaine hospitalier, un milieu très féminin là où les métiers sont les plus pénibles, et les fins de carrière prématurées qu’elle observe autour d’elle, pour cause d’invalidité ou d’arrêt maladie longue durée : « Au final, ce sont encore les femmes qui trinquent dans un monde du travail que l’on sait déjà inégalitaire. On sent la contrainte d’être sur tous les fronts. »

« On a des charges qui nous pénalisent »

Les sonos et les banderoles poursuivent leur avancée en centre-ville, direction Homme de fer. Au micro de la CGT, on insiste aussi sur les inégalités homme-femmes existantes: « 40% des femmes partent déjà à la retraite avec une carrière incomplète. »

Richarde Clauss, membre du bureau du syndicat des professeurs des écoles SNUIpp-FSU67 : «  »Ma mère est née en 1948 et a pris sa retraite en 2003 à 55 ans. Moi, je suis née en 1973 et je devrai travailler neuf ans de plus pour avoir le droit de m’arrêter à 64 ans. » Photo : AM /Rue89 Strasbourg

Dans un petit groupe de chasubles blancs, Richarde Clauss, membre du bureau du syndicat des professeurs des écoles SNUIpp-FSU67, fait le constat suivant :

« Ma mère est née en 1948 et a pris sa retraite en 2003 à 55 ans. Moi, je suis née en 1973 et je devrai travailler neuf ans de plus pour avoir le droit de m’arrêter à 64 ans. En une génération, c’est énorme. C’est l’allongement de la durée de cotisation qui me pénalise.

Ce qui me chagrine le plus, en tant que femme, c’est que sur la dizaine d’années qui me reste à travailler, je vais devoir m’occuper de mes parents. Peut-être que mon fils aura des enfants… on a quand même des charges en plus de notre travail qui nous pénalisent, qui nous affectent. Des engagements que l’on tient… Je trouve ça encore plus pénalisant pour les femmes car on a nos famille à tenir. Et dans ce cadre, s’arrêter à 62 ou 64 ans ça fait une très grande différence. C’est un âge de la vie où l’on est actifs et où l’on peut aider les aînés. »

« L’épuisement, il est aussi dans la vie quotidienne et familiale »

Un peu plus loin dans le cortège, Julie Rocquin-Pruneta et Christelle Catala, enseignantes et représentantes SE-UNSA, évoquent aussi le poids de la vie familiale sur les carrières :

« C’est une injustice d’être impactées de la même manière (que les hommes, NDLR) sur l’allongement de l’âge de la retraite alors qu’au cours de notre carrière, nous sommes déjà pénalisées par les arrêts pour élever nos enfants. Et la fatigue, elle est aussi générée par toutes les charges qui sont assurées par les femmes au quotidien dans la famille. Elles existent de toute façon. Et elles pèsent sur le fait de travailler plus longtemps. »


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