
Désemparés face à la situation d’élèves sans abri, des enseignants de plusieurs écoles de Strasbourg se mobilisent. Ils veulent alerter les pouvoirs publics pour mettre fin à ces situations de grande précarité dans leurs classes.
Il est 18 heures jeudi soir à l’école élémentaire Langevin de Cronenbourg. La sonnerie vient de retentir, les derniers élèves sortent rejoindre leurs parents en courant, la nuit est tombée, et la température frôle les 2°C. Dans la salle des maîtres au premier étage, une quinzaine d’enseignants, de parents d’élèves et de membres d’associations se retrouvent. Leur but : s’organiser pour que plus aucun élève n’ait à passer une nuit dehors.
Une élève « dort dans les halls d’immeuble depuis octobre »
À l’origine de cette réunion, un constat commun : certains élèves scolarisés, de la maternelle au collège, dorment dans la rue. « J’ai retrouvé une jeune fille de ma classe sous la verrière de la gare avec sa famille, un vendredi soir » commence Anne-Claire, professeure au collège Stockfeld du Neuhof. « Elle dort dans des halls d’immeubles, chez des particuliers ou sous la tente depuis octobre, car le 115 ne répond pas ». Toutes acquiescent : elles ont déjà entendu parler d’une situation similaire. « C’est une situation de non assistance à personne en danger » insiste Yaël, enseignante à l’école élémentaire Langevin.
Dans cet établissement, le vendredi 19 novembre, l’équipe éducative s’est mobilisée pour trouver un hébergement d’urgence à une autre de leurs élèves. « On a obtenu la mise à l’abri d’une famille jusqu’à fin mars, en mettant la pression aux élus », raconte Chantal, directrice de l’école Langevin. « On a demandé à la Ville si on pouvait ouvrir l’école, si l’État ne leur proposait pas de solution ». Et le coup de pression a fonctionné. Yaël confirme : « Quand on alerte et qu’on adopte une posture collective, on arrive à faire bouger les choses ».

Cette posture collective, toutes semblent déterminées à la tenir. Sous les lumières jaunes de la salle des maîtres, la parole est prise à tour de rôle. Les idées sont notées scrupuleusement pour alimenter un compte-rendu qui sera diffusé plus largement. Le collectif a invité Christelle Wieder, adjointe à la maire et élue référente du quartier Cronenbourg, Jonathan Herry, élu référent du quartier Neuhof-Sud, et Hülliya Turan, adjointe en charge de l’éducation et de l’enfance. Seule la dernière se présente en cours de soirée.
« Je ne veux plus me sentir seule ou démunie », explique Anne-Claire. Yaël réagit : « Quand on a proposé d’ouvrir l’école, je me suis sentie isolée ». Isolée vis-à-vis des institutions, qui ne s’intéressent pas à la situation. Sophie, présidente de l’association des parents d’élèves indépendants des Romains, à Koenigshoffen, ajoute que « des directeurs d’établissements ne sont pas au courant ».
« La majorité des enseignants ne savent pas ce qu’il se passe : si les parents ne parlent pas, tu ne le sais pas » explique Catherine, professeure à l’école maternelle Langevin. Les travailleurs sociaux qui accompagnent les familles sont tenus de ne pas révéler l’identité des personnes qu’ils suivent aux enseignants. Les enseignants peuvent repérer les situations les plus difficiles, lorsque les enfants ou leurs parents les confient à leurs professeurs, et c’est tout.
Pousser les responsables institutionnels à l’action
« Il faut interpeller tout le monde, mairie et préfecture, peu importe leurs compétences, car nos élèves dorment dehors, » estime Chantal, directrice de l’école élémentaire Langevin. « J’en ai marre de voir tout le monde se renvoyer la balle, la mairie aussi doit prendre ses responsabilités » insiste Marie-Jeanne de l’association de parents, l’APESte. « On n’a qu’à leur dire qu’avec l’hiver qui est là, il pourrait y avoir un drame, » poursuit-elle, déterminée.
La sonnette du portail retentit : Hülliya Turan s’installe et est invitée à se présenter. « Je suis là en tant qu’élue, mais aussi en tant que citoyenne : la situation est inacceptable et je peux vous aider à la faire connaître dans le débat public, » commence l’adjointe communiste à la maire. Selon elle, il y a plusieurs institutions à qui le collectif peut demander d’agir : « La mairie pour les questions d’éducation, la préfecture pour l’hébergement d’urgence, et la Collectivité européenne d’Alsace pour l’aide sociale à l’enfance, » explique-t-elle.
L’aide sociale à l’enfance est une prérogative départementale à laquelle a droit toute personne résidant en France, quelle que soit sa nationalité. Elle prend en charge non seulement des mineurs, mais également des femmes enceintes ou isolées avec un enfant de moins de trois ans. Le risque d’interpeller l’ASE, « c’est que les enfants soient placés et que les parents restent dehors » craint Magali. Sabine intervient : « Nous avons déjà essayé de faire appel à eux et ils ne nous ont jamais répondu ».
« On parle des enfants scolarisés à la rue, mais il y a aussi des enfants à la rue qui ne sont même pas scolarisés » pointe Catherine. « L’inscription à l’école et à la cantine, ça dépend uniquement de la mairie », appuie-t-elle devant l’adjointe à la maire. Hülliya Turan répond que tant que les familles n’entament pas les démarches pour scolariser les enfants ou les inscrire à la cantine, rien ne se passe. « Ça peut être compliqué, la démarche est dématérialisée, il faut beaucoup de documents… » poursuit Chantal. « Ça peut prendre des mois ». L’assemblée acquiesce. Hülliya Turan invite à faire part de cette problématique par écrit aux services de la Ville, pour qu’elle puisse l’appuyer.

Mettre à l’abri les familles sans les instrumentaliser
L’hébergement d’urgence, c’est la préfecture qui est légalement obligée de l’assurer inconditionnellement. Mais c’est la préfecture également qui est responsable des procédures liées à la demande d’asile. « Certaines familles concernées sont en fin de droit, » explique Sabine. C’est-à-dire que leur demande a été refusée, mais qu’elles n’ont pas reçu d’obligation de quitter le territoire. La crainte, c’est qu’en demandant à ces familles de prendre part à une action du collectif, elles risquent l’expulsion.
Marie-Jeanne réagit : « Il faut que ce soit anonyme. On a pas besoin de dire de quelle famille il s’agit, ni de quelle école sont issus les enfants » propose-t-elle. Autour des tables, tout le monde approuve. « Il faut veiller à ne pas les instrumentaliser », poursuit Sabine. Le collectif veut s’assurer de ne pas mettre une pression supplémentaire à des familles déjà précaires. « Ça me semble difficile de décider sans avoir l’avis des premiers concernés » regrette Magali.
Au milieu des hésitations, une idée forte revient tout au long de la soirée : occuper une école si des places d’hébergement d’urgence ne sont pas débloquées, comme l’a fait l’école Langevin. Marion, professeure des écoles dans Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), se rappelle la mobilisation des professeurs à Lezay Marnezia, à la Meinau en 2019 : « lls ont dormi dans des tentes, et ça a fait bouger les choses » se souvient-elle. Mais là encore, leur crainte est que cela ne change rien.
« Il ne faut pas proposer à une famille d’occuper l’école avec elle si c’est pour la remettre à la rue le lundi », prévient cependant Yaël. Les voix se mélangent : comment s’assurer que les actions du collectif seront efficaces, et permettront aux familles d’être à l’abri ? Les avis divergent. Magali propose d’organiser une collecte d’habits et de produits de première nécessité avec tous les parents, mais Chantal rétorque : « Je ne veux pas faire vestiaire, je veux que les enfants soient au chaud ».

Difficile d’estimer le nombre d’enfants à la rue
De combien d’enfants parle-t-on ? « J’ai demandé aux services de la Ville combien d’enfants étaient à la rue, voire non scolarisés, ils n’ont pas pu me répondre », explique Hülliya Turan, « mais ça doit être environ 50 ». Un aveu qui surprend les participantes. « Ce n’est pas normal de ne pas savoir » murmure l’une d’elle. Dans une interview à Rue89 Strasbourg, deux élues en charge de cette problématique, Suzanne Brolly et Floriane Varieras, indiquaient le chiffre de 45 enfants, lors de la semaine du 1er au 7 novembre.
Anne-Claire conclut : « Certains parlent facilement du fait qu’ils sont sans abri, mais j’imagine que d’autres ont peur, ou honte ». Il est 20 heures passées, certaines participantes sont à l’école depuis 8 heures du matin et fatiguent dans la salle mal chauffée. Il est temps de se répartir les responsabilités. Une action « coup de poing » est notamment envisagée. Les participantes devront trouver du temps dans l’espoir de mobiliser les structures prévues par la loi. Et pendant ce temps, des enfants continuent de dormir dehors à Strasbourg.
Pas d'Enfant à la Rue67.
Nous avons également une adresse mail. La voici:
pasdenfantalarue67@gmail.com
Sinon vous pouvez écrire un commentaire sous cet article sur la page Facebook de Rue89Strasbourg et je vous contacterai.
Anne-Claire Rouxel
J’aimerais rejoindre votre collectif étant infirmière en collège sur Strasbourg et confrontée aux mêmes réalités et surtout à la même inertie des collectivités depuis plusieurs années !
Pouvons nous échanger nos adresses mail?
Merci et bravo à vous pour votre engagement et votre lutte !
Cecilia
Pourriez vous communiquer le nom de votre collectif pour qu'on puisse le suivre et éventuellement participer lorsque vous créer des cagnottes .
Cordialement
Notre collectif n'a pas encore de nom ! Mais si vous le souhaitez, nous pouvons échanger nos adresses mails. Si vous avez Facebook, écrivez un commentaire sous cet article et je vous contacterai.
Bien cordialement,
Anne-Claire Rouxel
Je trouve que cela suffit, et que nous devrions voir comment il est possible, sur des cas précis, de faire un recours.
Je peux citer un cas hallucinant, d'un jeune enfin scolarisé en continu (modulo les confinements), qui a été privé pendant plus de deux mois de la poursuite de sa scolarité en collège, car l'OFII a décidé le 28 aôut d'enfin prendre la famille en charge, à Nancy, sans se soucier de scolariser notre collégien, et sans état d'âme de remettre la famille à la rue fin octobre suite à la décision négative de la CNDA ! Tout ça pour ça !!!
Ces drames sont d'autant plus inacceptables à l'époque des réjouissances convenues et des dégustations de foie gras ( sauf à la Mairie de Strasbourg).
C'est Kafka et sa " colonie pénitentiaire": la norme une fois posée, elle n'est plus questionnée. Elle est invisible, même si elle est partout, même si elle est atroce.
Ce sont les victimes de ce système ultralibéral-oppressif et sans pitié pour les vulnérables qui sont fautifs et qui n'ont pas su s'adapter.
Ce sont les flottes de livreurs connectés à des plates formes , sans voix, sans humain animées par des algorithmes...sève de notre monde futur.
Uber possède l' algorithme qui assure la liquéfaction des chauffeurs.
Voir le livre de Sandra Lucbert " Personne ne sort les fusils" sur le procès des responsables de France Télécom , outrés d'être sommés de se justifier du suicide de leurs collaborateurs
https://www.franceculture.fr/oeuvre/personne-ne-sort-les-fusils
Je suis Anne-Claire, une des enseignantes du collectif.
Je me permets de préciser un point: la famille que j'évoque appelle quotidiennement le 115 qui bien entendu répond, qui prend leurs appels, mais n'a pas de solution à leur proposer.
J'en profite également pour remercier mes collègues pour leur générosité à l'occasion de la mise en ligne de la cagnotte solidaire ainsi que lors de la collecte d'argent réalisée au collège, ainsi que les représentants des parents d'élèves qui sont prêts à nous aider.
Bravo
Dans le reste de la France, Nantes, Bordeaux, Lyon, fleurissent les Bureaux du Coeur, une initiative dont pourrait s'emparer les entreprises alsacienne cet hiver au moins.
La Préfecture doit quant à elle respecter cette année le principe de continuité de l'accueil et trouver pour chaque personne accueillie dans le gymnase, une solution immédiate d'hébergement.
L'an dernier, le gymnase a été ouvert 2 semaines et 3 jours sur 4 mois d'hiver, État, collectivités, entreprises et citoyens doivent se mobiliser et contribuer à ce que cette vingtaine de familles ne retournent plus sous une toile de tente, une voiture ou une cave.
Il faut se relire !
C'est typiquement la fausse bonne idée. Les écoles servent aux élèves à apprendre. Ce ne sont pas des logements. J'imagine la situation, le "protocole". 7H30 : Une famille a passé la nuit dans la classe de CM2. L'enfant reste puisque c'est sa classe. Les parents repartent dans la rue jusqu'au soir.
Comme l'indique Jean H. dans la vidéo qu'il propose il y a un gars qui disait en 2017 qu'il n'y aurait plus d'ici la fin de l'année (2017, rappelons-le) des gens qui dorment dans les rues. Attendez, je vais retrouver son nom.
Je propose une autre solution. Il suffit d'aller sur Google et de chercher "logements vides France", on trouve quantité d'articles de presse dans lesquels le nombre de logements vides oscille entre 1 et 3 millions. On réquisitionne (la loi le permet) et on loge vraiment les gens à la rue.
Si le 115 ne répond pas, composer le 01 42 92 81 00