
La pièce Comme tu me veux interroge la perte de sa propre identité et sa reconstruction dans un contexte de changements radicaux. Ce drame existentiel écrit par le prix Nobel de littérature Luigi Pirandello est mis en scène par Stéphane Braunschweig. À découvrir au TNS du 27 février au 4 mars.
Un drame existentiel et une quête d’identité. Du 27 février au 4 mars, le Théâtre national de Strasbourg invite à une aventure initiatique en salle Koltès. Dans la pièce Comme tu me veux, de l’auteur et prix Nobel de littérature Luigi Pirandello, l’héroïne commence comme danseuse dans un cabaret de Berlin. Traumatisée par un viol, elle cherche à retrouver celle qu’elle était avant de fuir l’Italie en prise à la guerre.

Un périple intime entre l’Allemagne et la Vénétie
Berlin, 1927. Elma, aussi appelée l’Inconnue, danse la nuit dans des cabarets. Suivie par ses admirateurs, elle rentre chez son amant, un auteur manipulateur qui la tient sous son emprise. Chez lui se déroulent les fêtes les plus luxurieuses et débauchées. Un soir, un photographe italien suit Elma, persuadé de reconnaître Lucia, la femme d’un de ses amis. Cette dernière a disparu dix ans plus tôt suite à l’invasion du nord de l’Italie par des soldats autrichiens. Seule chez elle, Elma est victime de viol et sa maison réduite en cendres.
Quatre mois plus tard, de retour en Italie, Elma retrouve Bruno Pietri, son mari. Mais le conjoint semble plus préoccupé par la crainte de perdre la demeure familiale obtenue en l’épousant que par l’envie de retrouver l’être aimé. Le couple est entouré de membres de leurs familles, à l’hypocrisie à peine voilée. Elma se laisse remplir par les souvenirs de Bruno, s’offrant à lui et cherchant à devenir la Lucia qu’il avait connu autrefois.
Mais, peu de temps après, Bruno Pietri rentre accompagné d’une femme qu’il a trouvé dans un asile en Autriche. Selon lui, elle serait la vraie Lucia. Laquelle est une imposture ? Nul n’aura la réponse. Ce n’est pas l’enjeu pour l’auteur de la pièce Luigi Pirandello.
Vivre l’expérience de l’entre deux guerres
L’ambiance est oppressante pour le spectateur. Le décor se compose de quelques canapés et des vases à la disposition millimétrée, à la mode dans les années 1920. À partir du deuxième acte, un tableau est placé au centre de la scène. Il représente Lucia dans sa jeunesse et participe à créer le doute autour de l’Inconnue. La projection d’archives historiques, relatant la montée du nazisme et le triomphe du fascisme en Italie, ancre le spectateur dans ce climat angoissant.
Le choix des tentures vertes autour de la scène n’est pas anodin. C’est une couleur qui porte malheur au théâtre. Une façon subtile de rappeler le désir de l’Inconnue d’ôter les masques et de lever le voile sur les simulacres. La création lumière de Marion Hewlett et son travail sur les ombres créent un rappel à l’expressionnisme allemand. Ce mouvement artistique a pour vocation de déformer la réalité pour exacerber un sentiment, souvent négatif.
Le pouvoir de la subjectivité dans la quête de liberté
La pièce prend pour toile de fond les traumatismes laissés par la première guerre mondiale et cette époque marquée par des crises économiques et sociales et la montée du populisme partout en Europe. Cette société au bord du gouffre rappelle la nôtre, fragilisée suite à la pandémie, la guerre en Ukraine et la crise sociale. De plus, la reconstruction suite à des traumatismes causés par le viol est une problématique contemporaine qui fait écho aux souffrances de nombreuses femmes à travers le monde.
La comédienne Chloé Réjon brille dans son interprétation de l’Inconnue, un rôle aux multiples facettes. Elle incarne l’envie de Pirandello de créer le doute chez le spectateur. Stéphane Braunschweig donne sa vision du personnage dans un entretien avec Anne-Françoise Benhamou pour le théâtre de l’Odéon :
« Il ne s’agit pas, ou pas seulement, d’une femme qui ne pourrait exister qu’à travers le désir ou le fantasme de l’homme. C’est surtout quelqu’un qui dit : je ne peux exister que si je me reconstruis complètement à partir de rien, ou que si je me fais – littéralement – une autre. »
Si L’Inconnue mène cette quête d’identité, c’est pour trouver sa liberté. Une raison suffisante pour s’essayer à toutes les identités, renonçant à la précédente ou à certains de ses désirs. Elle a l’espoir de conquérir cette liberté, par corps puis par conscience.
De Pirandello à Braunschweig
Né en 1867, Luigi Pirandello a une relation ambiguë au fascisme. Il rencontre plusieurs fois Benito Mussolini. L’auteur sicilien est déçu par la politique artistique en Italie, qui préfère la propagande à l’avant-garde. En 1929, l’auteur s’exile quelques mois en Allemagne en compagnie de sa muse et amante, la comédienne Marta Abba.
Ensemble, ils découvrent les cabarets berlinois de l’entre-deux-guerres, en totale contradiction avec la rigueur qui règne alors en Italie. Cette expérience lui inspire l’écriture de Comme tu me veux. Marta Abba et sa compagnie monteront la pièce au théâtre pour la première fois à Milan en 1930, avec la comédienne et compagne de Luigi Pirandello dans le premier rôle.
Stéphane Braunschweig est un adepte de l’auteur italien. Le metteur en scène a dirigé le TNS jusqu’en juin 2008, période durant laquelle il a monté pour la première fois une pièce de Pirandello, Vêtir ceux qui sont nus. Il prend par la suite la direction du théâtre de la Colline avant de prendre la direction du théâtre de l’Odéon en 2016. Avec Comme tu me veux, il met en scène pour la quatrième fois une œuvre de l’auteur italien.
Comme cet homme d'origine mauritanienne aujourd'hui âgé ( et usé) de 50 ans que j'accompagne depuis 2003, soit près de 20 ans à présent.
Il est nécessaire de revenir sur son histoire traumatique comme je le fais depuis si longtemps, sur son errance, sur son désespoir, sur le fait aujourd'hui que le traitement octroyé lui a permis de recouvrer une partie de sa dignité et de sa vitalité.
Une partie seulement car il demeure en permanence en état d'alerte et d'insécurité du fait de l'insécurité administrative dans laquelle il est confiné et aliéné.
Le patient a poursuivi son chemin de vie, en s’adaptant comme il pouvait à une existence simple fondée sur la possibilité de travailler pour gagner un peu d’indépendance et de dignité, mais il fonctionne toujours autour de repères complètement désarticulés, donnant une impression de grand chaos, d’où seule émerge l’idée immuable de mort et vouant à l’échec toute tentative de construction, d’introduction, de cohérence, d’unité et de sens, mais aussi toute possibilité d’interaction constructive avec le monde extérieur et toute possibilité d’action sur ce monde extérieur.
La qualité des relations thérapeutiques qui ont été instaurées le surprend et le rassure bien sûr, mais il reste méfiant et persuadé que la trêve que la vie lui a accordé depuis quelques années ne sera que de durée limitée et que le malheur le rattrapera à nouveau sans qu’il comprenne pourquoi et sans qu’il l’ait mérité.
C’est écrit comme cela !
L’existence de ce patient d’origine mauritanienne a été complètement perturbée et bouleversée par les évènements tragiques de 1989 à une époque où son psychisme était évidemment immature.
Ce qui fait que les évènements dramatiques aux effets d’anéantissement et de destruction se sont révélés d’autant plus ravageurs.
Il ne faut jamais oublier que cet homme est un survivant psychique et que les bons soins octroyés ont permis de le réanimer** véritablement à une époque mais que l’équilibre reste éminemment fragile.
Il en est toujours ainsi.
L’interruption des soins entraînerait des conséquences d’une gravité exceptionnelle à type de décompensation dépressive mélancoliforme qui réactiveraient la conviction que seule la MORT constitue une perspective d’avenir.
Le risque de décompensation délirante sur le mode projectif paranoïaque ou hypochondriaque sub-délirant n’est pas à exclure chez cette personnalité extrêmement fragile qui s’est forgée sur ce mode PSYCHOTIQUE pour pouvoir lutter contre une angoisse insurmontable.
Il pleure.
Son cœur brûle et les maux de tête sont insupportables.
Le syndrome dépressif présenté par ce patient est profond, humiliant et déconcertant et exacerbé par l’incrédulité de l’interlocuteur.
(*) https://www.hrw.org/fr/report/2018/02/12/ethnicite-discrimination-et-autres-lignes-rouges/repression-lencontre-de
(**) Le terme de "psychothérapie de réanimation" illustre bien qu'outre le traitement psychotrope très lourd instauré et vital, la part du transfert et du contre-transfert est déterminante pour préserver la vie de cet homme-là , la volonté du thérapeute intervient et participe d'une part importante du protocole de soins complexe.
On ne retrouvera sans doute pas immédiatement cette volonté et ce désir de guérir en Mauritanie où la pauvreté et la "folie" sont des obstacles à l'octroi de soins de qualité.