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Commerce de singes de l’Université de Strasbourg : les responsables s’expliquent

Fin septembre Rue89 Strasbourg révélait l’ouverture d’une information judiciaire concernant l’université et ses activités de commerce de singes rattachées à son centre de primatologie de Niederhausbergen. Deux responsables du site ont accepté de nous livrer leur version des faits.

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Commerce de singes de l’Université de Strasbourg : les responsables s’expliquent

Fin septembre, Rue89 Strasbourg révélait l’ouverture d’une information judiciaire concernant l’Université de Strasbourg (Unistra) et sa filiale de commerce de primates pour les industries de la santé. L’Université dit ne pas être informée de l’existence de cette enquête judiciaire. Elle a accepté de nous organiser une rencontre avec deux responsables du site de Niederhausbergen.

Le premier est un vice-président de l’Unistra, présenté comme le nouveau président de l’Adueis, l’association gestionnaire de la filiale Silabe (pour SImian LABoratory Europe). Il a été élu en mars 2017 pour succéder, selon lui, à Michel Deneken élu président de l’Unistra en décembre 2016 mais aucun document n’atteste cette nouvelle présidence au registre des associations du tribunal administratif pour le moment.

Le second, lui aussi vice-président de l’université, est le directeur administratif du centre de primatologie, membre de l’association Adueis. Tous deux ont demandé à préserver leur anonymat car ils disent faire l’objet de menaces de la part des militants de la cause animale. Durant l’entretien, c’est surtout le directeur du centre de primatologie qui a répondu à nos questions, même quand elles concernaient la filiale privée Silabe.

Qu’est-ce que Silabe ?

Les deux vices-présidents de l’Unistra confirment que l’association Adueis et la marque Silabe sont bien la même entité.

« C’est une filiale de l’université avec le statut d’association. Les personnes qui occupent des fonctions à l’université sont membres du conseil d’administration de l’association au titre de leur fonction. »

Les responsables défendent cette tutelle d’une filiale privée par l’université :

« Cela permet le contrôle parfait de l’association. »

Ils définissent la filiale Silabe comme « une plateforme de service comme l’université en a plusieurs, avec la mission de valoriser et développer les recherches ; un atout proposé à d’autres partenaires publics et à des entreprises privées ». L’objet de Silabe serait de permettre des « interactions pour pouvoir irriguer l’ensemble de la communauté scientifique universitaire et pas de faire du bénéfice. »

Santé économique de Silabe et liens financiers avec l’université

Les responsables affirment que Silabe et le centre de primatologie ne sont « pas à la recherche de sous ». Le but économique de la plateforme Silabe est de « s’autofinancer et se nourrir de nouvelles technologies pour la recherche », pour « que l’Unistra ne vienne pas abonder une plateforme déficitaire ». D’après les deux responsables, les comptes de Silabe sont aujourd’hui « à l’équilibre » après « des années plus ou moins fastes ». Ils soulignent que l’université n’injecte pas d’argent dans sa filiale, et n’en retire pas de dividendes.

D’après eux, l’Adueis reverse près de 300 000 euros de loyer par an à l’université pour l’occupation du Fort Foch, auxquels s’ajoutent les frais d’électricité et de traitement du personnel mis à disposition, que l’Unistra refacture à l’association. Les responsables réfutent maintenir le secret sur leurs bilans :

« Notre rapport d’activité est librement consultable au tribunal administratif. »

Vérification faite, Rue89 Strasbourg n’a pourtant trouvé aucun document financier concernant l’Adueis auprès de la juridiction, qui nous a simplement indiqué que l’association n’avait pas déposé ses comptes.

Quelles sont les activités du centre de primatologie toujours rattaché à l’université ?

Le centre de primatologie est présenté comme une « plateforme de mise à disposition de primates pour les chercheurs ». Selon nos interlocuteurs, ils peuvent faire de l’observation sur le site et s’y former. Chacun des huit parcs du centre fait un hectare, constitué d’un espace extérieur et d’une animalerie chaude. « C’est un outil unique en Europe ». Le centre de primatologie accueille une chaire d’éthologie occupé par une ingénieure de recherche et aussi d’autres laboratoires de recherche dont le CNRS.

Le directeur du centre indique que l’établissement investit dans la recherche en sciences cognitives :

« Il s’est équipé d’écrans tactiles pour les singes. On y étudie le comportement des lémuriens pour en déduire comment les gens se comportent les uns par rapport aux autres et comment le bébé, humain non verbal, apprend et prend conscience de soi par exemple. »

L’élevage, une activité marginale selon Silabe

Quelles sont les activités de Silabe ?

Les responsables du site reconnaissent trois activités de Silabe. La principale est la quarantaine et l’hébergement, qui représenterait « 60% de l’activité de Silabe, et qui est générateur de la majorité des dépenses » :

« Nous faisons de l’hôtellerie, nous offrons le clos et le couvert pour environ 10 euros par nuitée et par singe. »

Ils soulignent que la plupart des singes n’appartient pas à Silabe mais aux laboratoires et que la filiale assure uniquement des prestations et contrôles sanitaires liées aux quarantaines et au stockage de singes pour ses partenaires.

Silabe ferait aussi, à la marge, de l’élevage de singes :

« Il peut y avoir des naissances dans nos huit parcs d’éthologie et nous vendons les singes surnuméraires, entre un et trois par an. Les espèces non commerciales comme les macaques de Toncéan, qui sont des espèces préservées, sont donnés à des parcs zoologiques. »

Les singes à Niederhausbergen appartiennent en majorité aux laboratoires (Photo : Jens Schott Knudsen / Flickr / cc)

L’activité de prélèvement biologique de Silabe représenterait quant à elle 30% des revenus de la filiale. Il s’agirait de collecte de sang, sperme, plasma et autres liquides destinés à l’étude in vitro des laboratoires. Cette pratique contribuerait à permettre la recherche in vitro sans recours aux animaux directement.

Ces prélèvements sont, toujours selon les responsables, réalisés sous anesthésie sur des singes qui sont ensuite remis dans leur parc d’éthologie.

« Les volumes prélevés sont proportionnels à la masse de l’animal. »

Les responsables assurent que la filiale ne prélève pas d’organes :

« On prélève uniquement des tissus d’animaux euthanasiés. »

Le directeur du centre de primatologie coupe court aux rumeurs de prélèvement d’yeux :

« Nous avons hébergé deux singes en retraite récupérés d’un laboratoire et qui avaient subi des prélèvements d’yeux dans les années 1980. Ils avaient plus de 25 ans. Ce n’est plus dans les pratiques aujourd’hui. »

En quoi consistent les « autres services » annoncés sur le site Internet de Silabe ?

10 % de l’activité de Silabe correspondrait à des « études précliniques » pour les laboratoires en amont de leurs propres expérimentations :

« Nous répondons à une demande d’instituts publics et privés dans le cadre de projets contractuels soumis à la confidentialité et dans le cadre de protocoles scientifiques encadrés. En France, cela se fait à Strasbourg ou à Marseille. Nous ne sommes pas habilités pour des études à grands risques sanitaires. »

Il s’agirait d’injections, comme par exemple pour tester des adjuvants de vaccins. Mais les responsables assurent mettre des limites et ne pas accepter tous les projets :

« Sur des traitements bénins, nous offrons des populations d’animaux dans des conditions de vie optimales. Nous appliquons la règle des 3R (réduire les recours aux animaux, raffiner les méthodes, remplacer les modèles animaux quand c’est possible – ndlr). Rien ne se fait sans validation des comités d’éthique. »

Quels sont les créneaux d’expérimentation de Silabe ?

Les responsables expliquent que Silabe se positionne sur deux domaines de recherche biomédicale, les neurosciences et les inflammations :

« Nous ne faisons pas de recherche sur les cancers ni ne développons de tumeurs sur les animaux. Nous ne leur faisons pas de lésions. Nous ne produisons pas d’animaux modèles de pathologie. »

Ils affirment que Silabe ne travaille pas sur la conception de modèles de primates transgéniques (comme c’est le cas pour les souris à l’institut clinique de la souris à Illkirch par exemple). À l’échelle internationale, la recherche sur la technologie de modification génétique Crispr Cas9 pourraient aboutir à produire de tels spécimens à plus ou moins long terme.

Concernant la recherche sur les maladies du vieillissement et les troubles cognitifs, le site n’a pas relevé pour le moment de singes diagnostiqués Alzheimer qui pourraient servir de modèles pour cette maladie :

« Nous ferons des investigations mais le modèle Alzheimer est très compliqué. Ce n’est pas établi pour l’instant. »

Quelles précautions prend Silabe dans son exploitation des singes à des fins biomédicales ?

Les responsables assurent que Silabe certifie la traçabilité de tous les singes qui passent à Niederhausbergen :

« Des audits sont réalisés sur les fermes dont ils proviennent. Nous savons où vont les animaux et nous nous assurons que les entreprises ou laboratoires qui les récupèrent ont des protocoles d’étude validés. À Niederhausbergen, nos manipulations sont soumises à notre comité d’éthique interne et à un comité d’éthique régional qui valide tous les protocoles. L’Etat doit donner son feu vert à tous les protocoles pour une durée de cinq ans. À la fin d’un protocole sur un primate, un bilan est obligatoire dans le privé comme dans le public. Toute infraction est passible de poursuites pénales. »

Comment défendre l’expérimentation animale aujourd’hui ?

Le directeur du centre de primatologie souligne qu’en matière d’expérimentation, le primate est utilisé « singe par singe quand il n’y a pas d’autres moyens » :

« Aujourd’hui on ne peut pas descendre à moins de trois ou quatre individus pour un test fiable. » Dans la recherche biomédicale, « il y a plein d’étapes avant de pouvoir vérifier des choses sur des modèles de cellules. Pour une question scientifique précise, on choisit un animal précis qui présente cette maladie ».

« Beaucoup d’associations de malades demandent que l’on continue », insiste-t-il rappelant l’exemple du médicament Thalidomide dont les effets tératogènes ont conduit à une époque à la naissance de bébés sans bras, ce qui d’après lui ne serait pas arrivé s’il avait été testé au préalable sur des singes. Quant aux opposants à ce raisonnement, le responsable renvoie à leur moralité :

« Gardons à l’esprit que ces militants voudraient faire réaliser les tests sur des humains, de préférence des immigrés et des prisonniers. »

À quoi a servi la subvention interministérielle de 1,7 million d’euros perçue par Silabe entre 2010 et 2014 ?

Les deux vice-présidents de l’Unistra assurent que la somme a permis à Silabe de développer ses efforts pour le bien-être animal. « C’est là l’avantage d’avoir une démarche scientifique et pas commerciale », commentent-ils. Dans le détail, la subvention a permis selon eux de pérenniser un poste consacré au bien-être animal, de monter en compétences pour obtenir l’agrément AALAC, qui va au-delà du niveau réglementaire sur le bien-être animal, de soutenir la recherche de statisticiens de l’université pour diminuer le nombre d’animaux nécessaire à une expérimentation, et de soutenir les juristes dans leur connaissance des évolutions législatives en matière de bien-être animal à travers l’organisation de colloques.

Pourquoi avoir développé Silabe avec autant de discrétion ?

Les responsables réfutent avoir agi dans la discrétion et soulignent que les décisions ont été validées dans les règles du conseil d’administration de l’université de Strasbourg et déclarées au tribunal administratif. Pour eux, la création de la filiale privée Silabe répondait à une demande du ministère de l’Industrie.

Ils expliquent que le centre de primatologie de Niederhausbergen était déjà engagé dans ce type d’activités depuis une trentaine d’années. Une commission de travail sur d’éventuelles évolutions juridiques de la filiale est en cours et devrait rendre ses conclusions d’ici la fin de l’année. Et cette fois, les deux vice-président l’assurent, celles-ci seront discutées en conseil d’administration de l’université.


#Santé

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