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« Après le confinement, j’angoisse de ne pas réussir à reprendre une vie normale »

La limitation des déplacements et la distanciation sociale ont des conséquences psychologiques pour la majorité de la population, des troubles qui pour certains peuvent aller jusqu’à entraîner des tentatives de suicide. Un numéro d’écoute, le CoviEcoute 67, a été mis en place depuis lundi pour répondre aux questions et aux doutes de la population.

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« Après le confinement, j’angoisse de ne pas réussir à reprendre une vie normale »

Après trois semaines de confinement à Reinhardsmunster, Mélissa ressent une dégradation de sa santé :

« Quand je stresse, je serre les dents la nuit et ça me provoque des douleurs dans la nuque et des névralgies. Cela ne m’était pas arrivé depuis un mois. Mais là depuis deux jours, j’ai des insomnies et je fais à nouveau des crises de douleurs. » 

Le confinement provoquée par la crise sanitaire est venue chambouler le rythme de vie de la population. Résultat, une partie de celle-ci en perd ses repères, ce qui provoque des conséquences sur sa santé mentale :

« J’ai toujours été quelqu’un qui a besoin d’une certaine routine. Le fait de ne pas avoir de date de fin de confinement, me fait très mal réagir : c’est le flou total et aucune lunette pour y voir clair. Je suis en stand by, j’ai l’impression de vivre un cauchemar et que je vais me réveiller… mais non, c’est bien réel. Je culpabilise aussi de vivre à la campagne, je suis tiraillée entre mon envie d’aider les autres et la peur de mettre en danger ma famille. »

Les médecins sont bien conscients qu’une bonne partie de la population va souffrir de troubles psychiques, souvent légers, comme de la nervosité, l’altération de la concentration ou encore des troubles anxieux, mais parfois aussi plus graves comme des addictions,  une détresse psychologique, voire des hallucinations…

C’est pourquoi un numéro d’appel à destination du grand public a été mis en place depuis le 6 avril dans le Bas-Rhin (voir ci-contre). Les écoutants redirigent ainsi chaque personne, selon ses besoins, vers la structure médico-sociale la plus adaptée. En plus de faire baisser le nombre d’appels vers les structures d’urgences, « notre objectif est de prévenir les syndromes dépressifs », explique le Dr Alexandre Feltz, président du conseil local en santé mentale et co-responsable du dispositif d’écoute, CoviEcoute 67.

Un impact sur le moral mais pas de maladie

« Chez l’ultra-majorité des gens on va assister à une gêne, un désagrément, peut-être de l’anxiété, mais en théorie si vous êtes en bonne santé, cela ne va pas provoquer une maladie, » rassure le Dr Dominique Mastelli, co-responsable du dispositif d’écoute grand public et responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (Cump 67).

Sauf que le manque de sommeil constant a forcément un impact sur le moral. À Strasbourg, Romy (prénom modifié) fait des insomnies et sent qu’elle tire de plus en plus sur la corde :

« Au moment de m’endormir, je ressasse ma journée et j’ai des émotions négatives. Je pense aux déceptions amicales, à mon copain dont je suis séparée à cause du confinement, au stress du lendemain… »

Du coup, la jeune femme regarde Netflix, écoute de la musique et traîne sur les réseaux sociaux parfois jusqu’au petit matin :

« C’est comme un échappatoire dans le contexte actuel. Je me rends compte que je retarde le moment où je vais être seule avec moi-même, je cherche donc à m’épuiser pour m’endormir directement. »

Tentatives de suicides et addictions supplémentaires

La peur phobique du virus peut également entraîner chez certains des troubles sévères pouvant aller jusqu’à des tentatives de suicide, comme le raconte le Dr Amaury Durpoix, interne en psychiatrie :

« Nous avons eu le cas d’une patiente très angoissée après avoir été infectée par le virus. Elle a eu peur de mourir, ça l’a empêchée de dormir et ça a fini par entraîner des idées suicidaires. Nous avons dû l’hospitaliser sous contrainte parce que son mari l’a trouvée sur le point de sauter par la fenêtre. »

Le Dr Dominique Mastelli s’inquiète aussi pour la population dont les troubles, contenus en temps normal, peuvent être réactivés pendant cette période. Les claustrophobes qui sortaient pour calmer leurs angoisses ne peuvent plus le faire. Celles et ceux qui trouvaient dans le sport un échappatoire ne l’ont plus et il est difficile d’éviter sa famille lorsqu’on est confiné avec elle :.

« Si je suis irritable, je vais faire du catch ou de la boxe pour distiller mon agressivité. Mais si je ne peux pas, elle va se transformer en violence. »

Le confinement peut avoir de lourdes conséquences psychologiques (Photo Abdesslam Mirdass / Hans Lucas)

Ainsi, jusqu’à présent, en France, le confinement a déjà eu pour conséquence une augmentation de plus de 30% des violences conjugales. Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance parle également d’une augmentation de 20% des appels au 119, la ligne dédiée aux violences sur les enfants. Le Dr Mastelli constate aussi une « augmentation des idées suicidaires, des appels de la population pour des idées noires et des rechutes pour les personnes anciennement dépressives. »

Les médecins s’attendent également à une augmentation des consommations addictives (alcool, tabac…). La fermeture des frontières et les patrouilles de police perturbent le trafic de drogue et entraînent un sevrage brutal : « Certaines personnes qui ont une addiction au cannabis vont donc le substituer avec de l’alcool ou des anxiolytiques, » explique le Dr Amaury Durpoix.

De nombreux patients dans « l’angle-mort »

Le Dr Durpoix s’occupe généralement de patients atteints du trouble borderline, c’est-à- dire dont les émotions varient beaucoup et de manière très rapide d’un extrême à un autre. Étant donné que les séances ont dû être arrêtées en raison du confinement, l’interne en psychiatrie de 25 ans a décidé de créer une série de vidéos sur YouTube pour aider ses patients à gérer leur émotions : « Cela permet de garder un lien avec les patients. Les vidéos sont complémentaires aux séances et j’espère que ce sera utile pour plus tard », explique-t-il. 

Pour le Dr Adrien Gras, psychiatre aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, il est en effet indispensable d’assurer la continuité du suivi des patients : « Le fait de les appeler et de les soutenir, les rassure. Ils savent qu’on ne les prive pas de leur espace de parole et ça c’est très important. »

Mais pour certains patients, le contexte de crise sanitaire accroît le sentiment de culpabilité. C’est le cas de Mathilde (prénom modifié). Hospitalisée avant le confinement et de retour chez elle, elle a commencé, au bout de quelques temps, à se dévaloriser et son sommeil s’est dégradé : 

« J’observais les manifestations de la maladie revenir et l’angoisse de ne pas réussir à reprendre une vie normale. Mais je n’osais pas appeler l’hôpital. Dans un contexte comme celui-là on ne sait pas comment les gens vont et j’imagine que les médecins sont surbookés. »

Le Dr Durpoix s’inquiète également pour ceux qui n’avaient pas entamé une démarche de soins avant le confinement et qui aujourd’hui ne savent pas comment réagir.

« Mes patients vont moins bien, mais il y a des personnes qui ne vont pas bien du tout et qui n’osent pas appeler. Ils sont dans l’angle-mort qui ne sera révélé qu’après le confinement. »


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