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Chez Constellium, la collecte des données personnelles de santé des employés fait débat

L’activité physique, la qualité de l’alimentation, du sommeil et de la santé mentale de 250 salariés de l’usine Constellium, près de Colmar, vont être évalués pendant 100 jours. Une « opération de sensibilisation » qui fait débat au sein de l’entreprise de 1 500 employés.

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Chez Constellium, la collecte des données personnelles de santé des employés fait débat

Les 1 500 salariés du groupe Constellium à Neuf-Brisach, spécialisé dans la fabrication de produits en aluminium, ont récemment reçu un courrier un peu particulier de leur direction des ressources humaines.

Celui-ci les invitait à évaluer leur activité physique, la qualité de leur alimentation, de leur sommeil et de leur santé mentale pendant 100 jours, dans le cadre du Global Corporate Challenge (GCC). Une initiative présentée comme une « opportunité » par la direction des ressources humaines (DRH) pour améliorer sa santé et son bien-être, et qui est également proposée dans une autre usine du groupe multinational.

Pour résumer, le GCC se présente sous la forme d’un concours auquel les salariés s’inscrivent par équipes de sept personnes. Leur inscription leur donne droit à un appareil électronique, le GCC Pulse, permettant de mesurer le nombre de pas et les distances parcourues. Chaque jour, les participants doivent enregistrer leurs résultats sur une plateforme à laquelle leur inscription leur donne accès. La saisie peut être faite de manière automatique grâce à une application à installer sur leur téléphone portable. L’objectif du GCC consiste à évaluer leur activité physique et à faire en sorte que les participants fassent 10 000 pas par jour, comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé.

Un questionnaire sur l’alimentation, le sommeil…

Par ailleurs, les participants reçoivent des recommandations adaptées à leur profil sur la plateforme. Mais pour cela, ils doivent répondre à un questionnaire sur leur activité physique, leur alimentation, leur sommeil et leur santé mentale. Un moyen d’individualiser le suivi, explique la responsable du développement du GCC en France :

« Nos recommandations ne sont pas les mêmes si un participant indique qu’il est végétarien. De même, si un salarié a des horaires de travail décalés. Nous avons une approche globale en quatre étapes (activité physique, alimentation, sommeil, santé mentale). Pour l’activité physique, une recommandation de privilégier les escaliers à l’ascenseur. Pour l’alimentation, nous formulons des recommandations sur les meilleurs moments de la journée pour manger, les portions de nourriture, la quantité d’eau à boire… Pour le sommeil, sur la notion de cycles ainsi que la manière de se mettre dans les meilleurs dispositions avant d’aller dormir. Pour la santé mentale, la gestion de ses émotions ou de son stress, etc. »

Sur son site internet, le GCC assure que le programme est développé en collaboration avec des spécialistes de la santé.

(Document remis)
Le courrier reçu par les 1 500 salariés de l’usine Constellium de Neuf-Brisach. (Document remis)

Néanmoins, le mari d’une salariée du site de Neuf-Brisach craint que cette opération ne représente une atteinte à la vie privée :

« Ils disent que c’est pour améliorer la santé des salariés, mais c’est pour mieux faire passer la soupe ! Ils veulent savoir tout ce qu’ils font ! Pour l’instant, c’est sur la base du volontariat mais s’il n’y a pas de protestation, ce genre de démarche risque de devenir une obligation, un moyen d’évaluer les salariés, et de se généraliser dans de nombreuses entreprises. Récemment, des salariés de Sanofi ont été obligés de porter une puce électronique sur leur lieu de travail… « 

« Qu’on sache ce que je fais pendant mon repos ne me plaît pas »

De même, à la fonderie, un salarié explique pourquoi il ne participe pas :

« L’idée qu’on puisse savoir ce que je fais chez moi pendant mon temps de repos ne me plaît pas ! Dans mon service, nous en avons discuté et mes collègues sont du même avis : ce qu’on fait en dehors du travail ne regarde pas l’entreprise. »

Un délégué syndical raconte que le GCC a été un sujet de conversation important dans les ateliers de l’usine ces dernières semaines :

« Le GCC pose question, c’est sûr ! Les avis sont partagés. Certains ont des soupçons. Pour d’autres, cela ne pose pas de problème. Pour ma part, je pense que tout dépend de la manière dont les données seront utilisées. Peut-être que c’est juste un moyen pour la direction de se donner bonne conscience ? Ou de faire un coup de pub ? »

« Au moins, cette opération nous concerne, ça change »

Contactés, de nombreux salariés ne s’inquiètent cependant pas de cette opération. À l’image de Maxime Kury, opérateur, qui participe au GCC depuis bientôt une semaine :

« Peut-être que ça me permettra de mieux m’adapter à mon rythme de travail qui est particulier (deux jours de 5h à 13h, deux de 13h à 21h, deux de 21h à 5h puis quatre de repos). Ce rythme en cinq-huit n’est pas simple pour le cycle de sommeil ni pour prendre ses repas à la même heure ! Si c’est en plus l’occasion d’améliorer mon alimentation et mon activité physique, moi qui ne suis pas un grand sportif, je ne vois pas le négatif. Et vu les données collectées, je n’ai pas trop de craintes sur ce qui pourrait en être fait… En plus, cette opération nous concerne directement, ce qui change de toutes celles avec des règles de sécurité à apprendre. »

Comme Maxime Kury, quelques 250 employés participent au GCC, proposé pour la première fois à Constellium. Au service qualité, on assure que « tous les sportifs sont à fond dedans. » De même, au standard téléphonique, Chloé Kracher voit le GCC comme un concours « sympa à faire » entre collègues…

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Pendant 100 jours, les participants au Global Corporate Challenge devront mesurer leur activité physique à l’aide d’un accéléromètre. (Document remis / GCC)

Sur les 1 500 salariés que compte le site, 80% ne participent cependant pas… Certains expliquent qu’ils pensaient que le GCC s’adressait uniquement aux sportifs. D’autres racontent qu’ils étaient intéressés mais qu’ils n’ont pas trouvé d’équipe. Quelques-uns ne sont carrément pas au courant. L’un d’entre eux dit même qu’il n’a reçu qu’un mail d’information sur le GCC… en anglais. Et qu’il n’a pas cherché à en savoir plus.

Sans compter ceux qui, comme Hervé Hartmann, chef de poste du service maintenance de l’Unité autonome de production, n’en voient pas l’intérêt :

« Si je veux faire du sport, je n’ai pas besoin de mon boulot pour cela. Dans mon service, personne ne participe. Comme moi, ils pensent que le GCC ne sert à rien. »

Pour un autre délégué syndical, une seule chose est sûre : dans un contexte social tendu au sein de l’usine, cette opération n’était pas une priorité :

« Les membres de notre organisation syndicale n’y sont ni favorables ni défavorables. Nous préférerions surtout que le coût de cette mascarade serve à améliorer nos conditions de travail, en commençant par ajuster tous les salaires aux coefficients correspondants. »

De 15 000€ à 18 000€ investis

L’entreprise n’a pas communiqué sur le coût de ce programme, mais le GCC annonce un tarif de 65€ par participant, ce qui représente environ 16 000€ pour les quelque 250 inscrits. Le DRH de Constellium auteur du courrier, Thierry Carré, se dit « dubitatif » par rapport aux réactions de méfiance exprimées par certains salariés :

« C’est uniquement une manière ludique de faire de la prévention sur la santé au travail, et qui change des opérations habituelles ou des brochures… Les inscrits reçoivent un accéléromètre pour mesurer leur activité physique, comme il en existe dans le commerce, et participer à un challenge à plusieurs est plus motivant que seul de son côté pour changer ses habitudes. Je ne comprends pas comment on peut penser autre-chose! »

Pour rassurer les inquiétudes de certains salariés, il souligne :

« Le GCC se fait sur la base du volontariat et toutes les données collectées restent confidentielles. Les seules  informations que je recevrai sont le nombre d’inscrits et la composition de chaque équipe. Il n’est ni souhaitable ni possible que j’ai accès à des données personnelles. »

L'usine Constellium de Neuf-Brisach (doc remis)
L’usine Constellium de Neuf-Brisach (doc remis)

Des rapports en temps réel sur les employés

Du côté de la société qui a créé le GCC, on dédramatise en expliquant qu’une « réaction de méfiance » est tout à fait « normale » quand c’est une première fois comme à Constellium. Et on tente de rassurer aussi sur la confidentialité des données collectées :

« Seuls les participants ont accès aux données collectées. Si notre programme existe depuis 13 ans, que depuis plus de 5 500 entreprises et 2 millions de participants nous ont fait confiance, c’est aussi parce que nous avons des standards de haut niveau en matière de protection des données. »

Néanmoins, le site internet du GCC vante que des rapports en temps réel pour comprendre l’impact des gains individuels des salariés en terme de santé sur les performances globales de l’entreprise sont envoyés à ses clients comme Constellium. Ce qui n’aide pas à dissiper les doutes.

Ces rapports mettent en avant les impacts sur la santé des salariés – hausse du moral des salariés (pour 83% des participants), réduction du stress (69%), développement de leur culture de la santé (92%) – mais aussi sur leur rapport au travail – engagement au travail plus fort (83%), amélioration du travail d’équipe (pour 77%), réduction de l’absentéisme (41%)…

À propos de ces rapports, la responsable du développement du GCC en France précise :

« Pour les rédiger, nous nous appuyons sur un questionnaire que les participants remplissent uniquement s’ils le souhaitent. Toutes les réponses sont ensuite regroupées de manière anonyme. Et pour garantir cet anonymat, nous n’en rendons que lorsque nous avons plus de 100 inscrits dans une même entreprise. Pour nos clients, c’est une manière de mesurer la participation des salariés à cette opération ainsi que son impact. »

Du côté de la direction du travail (Direccte), on estime que, dans la mesure où ce programme fonctionne sur la base du volontariat et que les données sont traitées de manière confidentielle, une telle pratique ne semble pas poser de problème légal.


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