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Après deux vagues de coronavirus, un quart des internes alsaciens au bord du burn-out

Une consultation du Syndicat autonome des internes d’Alsace (SAIA) dresse un bilan inquiétant de l’état psychologique des médecins en formation, les internes. Un quart des répondants a une forte probabilité de présenter une détresse psychologique.

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Après deux vagues de coronavirus, un quart des internes alsaciens au bord du burn-out

Environ 230 internes alsaciens ont une forte probabilité de « présenter une détresse psychologique. » C’est le chiffre édifiant qui est ressorti d’une consultation exceptionnelle des internes en médecine menée par le Syndicat autonome des internes d’Alsace (SAIA). Après le suicide d’au moins cinq internes en France depuis le début de l’année 2021, l’objectif du syndicat était « de faire un état du moral des troupes en Alsace, pour empêcher que ça arrive ici », précise Hubert Werth, interne et président du SAIA.

Parmi les 350 répondants, soit plus d’un tiers des internes d’Alsace, un quart présente un « risque important de détresse psychologique », et 51% estiment qu’ils font face à « un risque moyen. »

Pour déterminer le risque de détresse psychologique des répondants, une liste de questions a été élaborée avec un psychologue des Hôpitaux universitaires de Strasbourg. Par exemple, le syndicat a demandé aux internes s’ils s’étaient déjà sentis tellement agités qu’ils ne tenaient pas en place, si rien ne pouvait les faire rire ou s’ils s’étaient déjà sentis « bons à rien » après leur journée de travail. Pour le Saia, ces éléments sont des signes qui doivent alerter les proches. Et c’est à partir de ces critères qu’ils ont pu déterminer le degré de risque de détresse psychologique des répondants.

Accompagnement insuffisant

La crise sanitaire a chamboulé la formation des internes, d’autant plus dans les hôpitaux alsaciens qui ont dû faire face à un afflux de malades plus important que dans d’autres régions. Antoine (le prénom a été modifié), tout jeune interne dans une spécialité très sollicitée, relate :

« Un ami interne m’a raconté qu’en arrivant dans le service, le médecin sénior n’a cessé de lui dire de “se démerder”. Et quand il appelait son chef pour être certain de bien faire les choses, son chef lui reprochait de le faire venir pour si peu. »

Hubert Werth précise :

« Il y a eu une augmentation très importante du nombre de patients. Les internes ont donc pu passer moins de temps avec chaque patient, ça en a démotivé certains. Dans le même temps, ils ont eu plus de responsabilités parce que les séniors étaient débordés. »

Un soignant dans les couloirs du service de réanimation des NHC, le 1er avril 2021 Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

« Moins d’empathie et de patience »

L’une des principales inquiétudes des internes, c’est l’allongement du temps de travail. « La moyenne à Strasbourg, c’est environ 55/60 heures par semaine, alors que la législation européenne limite à 48 heures, » se désole Maurine (le prénom a été modifié), en deuxième année d’internat.

Mais si cette législation n’est pas appliquée, c’est en partie parce que le système hospitalier français ne comptabilise pas le temps de travail des internes en heures, mais en demi-journées. « En fonction des stages, les internes strasbourgeois travaillent entre 8 et 10 demi-journées par semaine », soit entre 4 et 5 jours. « Et il faut ajouter les cours, » précise Maurine. Lors de son dernier stage dans un service particulièrement chargé, Maurine a subi une phase d’épuisement professionnel :

« Ça s’est traduit par des signes de burn-out. Je me réveillais et j’allais au service à reculons alors que j’étais toujours autant passionnée par mon travail. Arrivée à l’hôpital, cet épuisement ne disparaissait pas : j’avais bien moins d’empathie et de patience avec les personnes dont je m’occupais. Je n’en suis jamais arrivée à être énervée contre un patient mais je râlais beaucoup plus contre mes collègues dans le poste de soin. »

Une certaine vision de l’omerta

« Je veux bien parler mais à condition d’être anonyme, » ont tenu à préciser les internes contactés pour cet article, avant même de répondre à la première question. Noms, prénoms, services et même spécialités ont dû être ôtés pour que les témoignages ne soient pas identifiables. « Il faut faire très attention sur ce point », avait prévenu un syndicaliste, anticipant de potentiels « jeux de vengeances ».

« Vous savez la médecine, c’est un petit monde, donc tout finit par se savoir » expliquait-il pour justifier les précautions imposées. Et pour cause, les médecins séniors ont un pouvoir important sur les étudiants en médecine qu’ils accueillent dans leurs services. C’est à eux que revient la décision de valider ou non le stage d’un interne, lui donnant (ou non) la possibilité de continuer son cursus.

« C’est intenable »

Autre problème, lui quantifiable : le nombre d’internes par semaine de gardes est parfois insuffisant. Les gardes de 24 heures font partie des missions allouées aux internes, mais même quand il n’y a pas assez de médecins en formation dans le service, la semaine doit être comblée. « S’il y a quatre internes dans un service, ils vont devoir assurer une garde (de 8h30 à 8h30 le lendemain) tous les 4 jours, » s’alarme Hubert Werth qui estime que ce rythme est « intenable ». Selon la loi, au minimum 6 internes doivent assurer les gardes à tour de rôle dans chaque service.

L’enquête du Syndicat autonome des internes d’Alsace a permis d’identifier six services hospitaliers qui ne respectent pas le nombre minimal d’internes pour les gardes. « Une lettre a été envoyée aux chefs de ces services par l’intermédiaire du doyen de la faculté, » explique le président du syndicat, qui avertit : « SAIA ira jusqu’au tribunal administratif si la réponse est une fin de non recevoir. » Dans l’urgence, 4 services visés ont pallié le manque d’internes par des médecins en formation étrangers, mais la situation est bloquée dans deux autres services.


#Hôpitaux universitaires de Strasbourg

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