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Avec ceux qui décrochent de l’école, repris par l’association Cours Singulier à Strasbourg

Depuis la rentrée, l’association Cours Singulier accueille des élèves en décrochage scolaire à Strasbourg. Une trentaine de jeunes, de la 4e à la Terminale, sont suivis par des professeurs qui s’adaptent à leurs rythmes… à condition que les familles puissent se permettre ces cours d’un nouveau genre, presque particuliers.

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Avec ceux qui décrochent de l’école, repris par l’association Cours Singulier à Strasbourg

À Cours Singulier à Strasbourg, chaque matin, le professeur fait l’appel comme il le ferait devant n’importe quelle classe. Mais là, pas de brimades pour les absents, il s’agit seulement de le relever pour discuter avec ces élèves… plus tard, afin de comprendre pourquoi ils ne sont pas venus. Car à Cours Singulier, la trentaine d’élèves sont tous en délicatesse avec l’Éducation nationale, le système éducatif ou même les cours d’une manière générale… Ils ont « décroché. » Et le but de cette association reconnue d’intérêt public, implantée à Strasbourg depuis la rentrée, est de les récupérer, là où ils sont, pour les réconcilier avec l’école.

Bien loin du collège ou du lycée, au Cours Singulier, les élèves sont accueillis dans un lieu qui ressemble à un appartement, quai Kléber près des Halles. Ils s’y retrouvent sur les coups de 10 heures dans l’une des 6 salles de classes. Elles sont équipées de tables rondes et 8 élèves maximum peuvent s’installer par salles. Parfois les classes peuvent être mélangées, les 3e et 4e par exemple sont ensemble pour les cours de langue.

Un espace détente est à la disposition des élèves. (Photo CM / Rue89 Strasbourg / cc)

Salle à manger, salle de repos avec des poufs, des jeux vidéos mais aussi un espace baby-foot… Les élèves ont en moyenne quatre heures de cours par jour, avec un emploi du temps personnalisé. Le programme scolaire est traité par les cours du Centre national de l’enseignement à distance (CNED), dont les professeurs reçoivent les copies par la Poste et évaluent les élèves. Les enseignants de Cours singulier procurent appuis et conseils aux élèves. Responsable de l’antenne de Strasbourg de Cours Singulier, Magali Schaedelin détaille :

« Les élèves ont entre 18 et 20 heures de cours par semaine. C’est moins que dans une école standard, mais les progrès sont là. Nous voulons réhabituer petit à petit les jeunes victimes de phobie scolaire. S’ils habitent loin de Strasbourg, on rassemble les cours sur plusieurs jours. L’une des étudiantes vient de Verdun, tous ses cours sont en fin de semaine. »

En classe de 10h à 15h

Une majorité des cours ont lieu de 10h à 15h. Mais les élèves peuvent venir après, lorsqu’il y a moins de monde. On prend alors l’adolescent en tête à tête, on cherche à déverrouiller les noeuds relationnels qui le bloquent. Les intervenants s’occupent des élèves au cas pas cas. Et si l’un d’entre eux a un souci de santé, les cours lui sont envoyés ou les horaires sont aménagés… Toute la structure s’adapte, l’important étant que l’adolescent ne se sente pas isolé.

Pour Magali Schaedelin, ce type d’enseignement a un double enjeu :

« Nous souhaitons mettre en place des ponts avec des partenaires locaux afin d’organiser des sorties. Notre priorité reste la scolarité des élèves mais il y a aussi un enjeu de socialisation de l’enfant, il doit retrouver un cercle d’amis. »

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Certains élèves ont du mal à être entourés. Pendant la pause, les élèves jouent au baby-foot, trois garçons et une jeune fille. Une scène banale partout ailleurs, mais Magali Schaedelin est très enthousiaste devant cette scène :

« Du jour au lendemain, on remarque des différences même dans leur manière d’être. Une de nos élèves n’est pas encore tout à fait à l’aise avec les autres. Elle vient le mardi et le vendredi, car elle a un suivi thérapeutique. Cette partie de baby-foot avec d’autres élèves, c’est une grande avancée ! »

Pour déjeuner, les élèves peuvent se rendre au centre-ville ou rester sur place avec les adultes, comme l’explique Magali Schaedelin :

« Les professeurs mangent parfois avec les élèves, c’est un échange. Ils font des pauses ensemble, des parties de jeux-vidéo, de baby-foot… »

Lors de la pause, Louis, 14 ans, joue aux jeux vidéos avec ses camarades. Pour lui, il n’y a « pas photo, » dans cet endroit, il a une meilleure ambiance que dans son ancien collège :

« J’ai fait ma 4e au collège jusqu’en juin. Cet été j’ai trouvé Cours Singulier, je fais maintenant ma 3e ici et je vais passer mon brevet pour être accepté à l’école hôtelière, où je voudrais passer mon bac. Ici, je trouve que c’est moins compliqué, on apprend facilement, il y a une meilleure ambiance. Ce matin, j’avais maths. Nous avons l’aide de notre professeur, des devoirs, des évaluations… Plus tard, je voudrais travailler dans la restauration, plus précisément le service. Et pourquoi pas, par la suite, avoir mon propre établissement. »

Un large panel d’enseignements et d’enseignants

À Strasbourg, ils sont une vingtaine d’élèves mais de nouvelles inscriptions sont en cours. En tout, il y a… 14 professeurs. Certains sont issus de l’Éducation nationale, comme Éveline Ziegler professeur d’arts plastiques, enseignante depuis 37 ans. Paul Kippeurt est étudiant à la ville, en troisième année de licence d’allemand, mais professeur d’Allemand à Cours Singulier. D’autres encore sont des enseignants-chercheurs de l’université de Strasbourg. En ce qui concerne l’équipe enseignante, Nicolas George affirme :

« On recrute beaucoup par bouche à oreille… des personnes qu’on nous a conseillé. Certains professeurs occupent des CDI à temps plein, la majorité ne sont présents que quelques heures par semaine et sont payés en vacations… »

Paul Kippurt encadre les cours d’Allemand, ici avec deux terminales. (Photo CM / Rue89 Strasbourg / cc)

Le nombre de professeurs pourrait même passer à 20. En effet, les élèves demandent de nouvelles options, selon Magali Schaedelin :

« Certains souhaitent faire ST2S, pour passer un baccalauréat sciences et technologies de la santé et du social. Ou encore avoir un enseignement STMG, sciences et technologies du management et de la gestion. Nous essayons de leur donner le plus de choix possible pour leur permettre de faire ce dont ils ont envie. »

« On s’adapte »

Au siège de l’association à Paris, des cours de coréen, d’arabe, de japonais de portugais ou de théâtre ont été mis en place à la demande des familles. Nicolas Georges affirme que tous types de profils peuvent être suivis :

« Si des élèves sont dysgraphiques ou dysorthographiques, on s’adapte. Certains professeurs sont formés pour ça. »

Si Éveline Ziegler, professeur d’arts plastiques, a voulu venir enseigner au Cours Singulier, c’est aussi pour des raisons personnelles :

« Après une dépression, mon fils de 16 ans se soigne aujourd’hui. Dans son ancienne école, il a très mal vécu sa scolarité. Sensible au bruit, rapidement stressé, il a vite été isolé, alors un mal-être s’installe. Pourtant, il a toujours eu une envie de réussir ses études. Nous l’avons inscrit au CNED. C’est notre pédopsychiatre qui nous a conseillé Cours Singulier. Je suis venue voir, ils n’avaient pas de professeur d’arts plastiques, j’ai signé sans hésiter. »

Professeure dans un collège, elle a réussi à dégager ses vendredis après-midi. De 13h à 15h, elle est avec une classe de 4e, 3e et terminale. Ils travaillent sur l’œuvre de Magritte, le Thérapeute. À côté de cela, elle suit aussi les programmes du CNED.

« Les maîtres mots pour travailler avec des enfants en phobie scolaire, c’est la patience, l’écoute et la bienveillance. Dans mon collège, il y a de plus en plus de décrochages. Une jeune fille est chez elle depuis deux ans. Un de mes anciens élèves est ici aujourd’hui. Au collège où j’enseigne, je vois les élèves une heure par semaine. Pour établir un dialogue, c’est difficile. Nous n’avons pas les moyens de les accompagner individuellement comme ici. »

Le projet collectif d’arts plastique des élèves de Cours Singulier, un travail encadré par Eveline Ziegler. (Photo CM / Rue89 Strasbourg / cc)

Paul Kippeurt, lui, a 20 ans. Il est professeur d’allemand depuis octobre. Il donne 6 heures de cours en moyenne par semaine :

« Au lycée en tout, ils ont 6 évaluations à rendre. Après chaque séquence, ils envoient leur travail au CNED et grâce au suivi au cas par cas, les élèves ont de bonnes notes. En 4e l’un d’entre eux a eu 19. C’est encourageant, ils sont très curieux. Au lycée, les enseignants n’ont pas forcément le temps de mesurer les progrès en fonction des niveaux très différents des uns et des autres. Ici on voit la progression de l’élève très rapidement. »

370€ par mois, le coût de la personnalisation

L’association ne bénéficiant d’aucune subvention, les parents paient 370€ par mois, sur dix mois, pour permettre à leur enfant à sortir de la phobie scolaire. Et en plus, il faut s’affranchir des frais demandés par le CNED pour ses programmes et ses corrections à distance, comme l’explique Dominique Dureux, la fondatrice et directrice de l’association :

« Si l’élève est déjà scolarisé à l’Éducation nationale, il paiera 295€. Sinon, comme pour n’importe qui de plus de 16 ans qui souhaite reprendre ses études avec le CNED, il faut compter 995€ par année scolaire. »

Soit pour une année scolaire, un coût entre 4 000 et 5 000€… Hors de portée des familles aux revenus modestes, pourtant souvent concernées par les problèmes de phobie scolaire.  Pourtant, l’association se voit comme une alternative au système scolaire, comme comme le détaille Magali Schaedelin :

« Le système traditionnel ne peut pas être adapté à tous les profils. Donc l’idée, c’est d’être partenaire des collèges et des lycées et que les établissements nous sollicitent lorsqu’ils repèrent des élèves en difficulté. Un CPE d’un collège est venu voir comment ça se passait ici. On a des infirmières scolaires qui nous ont contacté, des cabinets de psychologues et un pédopsychiatre parlent de nous comme une solution adaptée lorsqu’ils ont des patients que nous pouvons aider… »

Financée grâce aux deux précédentes écoles de Cours Singulier dans la région parisienne, l’antenne de Strasbourg a besoin de 25 à 30 élèves pour pouvoir équilibrer ses comptes. Selon Cours Singulier, 50% des élèves accueillis reprennent leur scolarité avec l’association. Depuis la création de l’association en 2016, une dizaine d’élèves a passé le bac avec Cours Singulier et tous ont continué à l’université ou en BTS.


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