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En pause, les techniciens du spectacle minés par l’absence de perspective

Depuis le mois de mars, les prestataires techniques de spectacles sont quasiment à l’arrêt. Les dirigeants craignent de devoir licencier en 2021 si les événements d’ampleur ne peuvent reprendre.

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En pause, les techniciens du spectacle minés par l’absence de perspective

« La Route du Rock, les Eurockéennes de Belfort, les Vieilles Charrues, Rock en Seine, les Francofolies… D’habitude, on est sur tous les gros festivals. Cet été, on en a fait qu’un : c’était Jazz à l’Hospitalet, à côté de Narbonne. » Assis à son bureau derrière un amoncellement d’accréditations de concerts et quelques dossiers posés en vrac, Raymond Schweitzer fait grise mine. À 60 ans, il est le patron de Stacco, leader national et numéro deux en Europe de la construction et réalisation scénique.

Prestataire technique du monde du spectacle, son entreprise collabore avec les plus grands, comme en témoignent les dizaines de photos encadrées dans le hall d’entrée. « Là, c’était le concert des 50 ans de Johnny au Parc des Princes. On a fabriqué la copie conforme du pont du Golden Gate à San Francisco. » Un ouvrage dantesque qui rappelle les plus belles heures de Stacco, qui connaît en cette année 2020, à cause de l’épidémie de Covid, une situation économique inédite :

« La seule véritable chute d’activité que nous avons vécue en 38 ans d’existence, c’était pendant la seconde guerre du Golfe, car les artistes américains ne venaient plus se produire en France. Mais ça représentait 30 % de baisse, c’est incomparable avec ce qui se passe aujourd’hui. »

Raymond Schweitzer est le P-DG de Stacco, une entreprise vieille de près de 40 ans basée à Wasselonne (Photo Robin Dussenne / Rue89 Strasbourg)

« Jusqu’à cent semi-remorques sur la route »

Installée à Wasselonne, sa société a réalisé en 2019 un chiffre d’affaires de près de 10 millions d’euros. « Habituellement, on assure entre six et dix spectacles par jour. Au plus fort de l’été, jusqu’à cent semi-remorques sont sur la route en simultané et 300 intermittents travaillent avec nous », détaille-t-il. Sauf que depuis la mi-mars, Stacco est à l’arrêt forcé et 70% de ses salariés ont été placés en activité partielle. Le chef d’entreprise a contracté huit emprunts bancaires pour rembourser les dettes accumulées auprès des fournisseurs. Raymond Schweitzer constate aujourd’hui l’ampleur des dégâts :

« Regardez comme les locaux sont vides ! Ça fait peine à voir… Cette année, on n’atteindra pas les 3 millions de chiffre d’affaires. Mais je n’ai, à l’heure actuelle, licencié personne. Je vais me battre et trouver tout ce que je peux pour générer de l’activité ! »

L’espace de stockage extérieur de Stacco est entièrement occupé : une première depuis des années (Photo Robin Dussenne / Rue89 Strasbourg)

Une baisse de 80% du chiffre d’affaires

Cette pugnacité, Aurélie Ehret a elle aussi décidé de s’en imprégner. Co-gérante de Passe Muraille, la cheffe de projet dresse un bilan semblable à celui de Stacco et enregistre une baisse vertigineuse de 80 % du chiffre d’affaires (3,56 millions d’euros en 2019). « Clairement, on n’est pas à la fête, mais on essaie de se réinventer en attendant que l’orage passe », tempère-t-elle.

L’agence de communication strasbourgeoise est spécialisée dans la création et la gestion d’évènements sur mesure. On lui doit notamment « Strasbourg Mon Amour », la grand messe hivernale de l’Office de tourisme. En dehors du chômage partiel qui concerne les quatre salariés, l’entreprise n’a reçu aucune aide de l’État. Alors pendant le confinement, les quatre associés ont cherché à rester « actifs », comme le précise Aurélie Ehret :

« Nous en sommes venus à la conclusion qu’il valait mieux “évènementialiser le digital que digitaliser l’évènementiel”. C’est-à-dire qu’il est préférable de miser sur une émission conçue spécialement pour le net, qui sera diffusée en streaming, plutôt que d’assurer la captation d’une convention sans public. »

Autre axe de réflexion, la création de petits évènements festifs qui peuvent se tenir dans le respect des normes sanitaires. La première semaine de décembre par exemple, les employés du laboratoire Octapharma de Lingolsheim verront naître au sein de leur entreprise une scénographie autour de l’univers de Noël. « On essaie d’apporter à nos clients de la légèreté et du fun », expose la co-gérante. Grâce à ces nouvelles idées, Passe Muraille dit ne pas se sentir « menacée à court terme ».

« On a de quoi tenir six mois ! »

À quelques kilomètres au nord de Strasbourg, à Mundolsheim, Denis Fenninger, P-DG de Lagoona, n’affiche pas la même confiance que ses confrères. Le 28 février, un incendie a entièrement détruit les anciens locaux de l’entreprise à Schiltigheim. La société qu’il dirige est spécialisée depuis 1987 dans la sonorisation et l’éclairage scénique. Le préjudice s’élève à 10 millions d’euros. « Après ça, on a bossé une grosse semaine, on nous a prêté du matos de toute la France et puis patatras : le confinement est arrivé », s’exclame-t-il.

Depuis sept mois, l’activité de Lagoona s’est considérablement réduite. Engagée sur de grands festivals comme la Foire aux vins de Colmar, Wolfijazz, Au Grès du jazz à La Petite-Pierre ou les Sud à Arles, l’entreprise aux 8 millions d’euros de chiffre d’affaires n’a assuré qu’une seule prestation cet été : le concert du 14 Juillet à la tour Eiffel. « Et encore, c’était à huis-clos », glisse Denis Fenninger.

Après l’incendie, Denis Fenninger a déménagé sa société Lagoona dans un ancien tri postal de Mundolsheim (Photo Robin Dussenne / Rue89 Strasbourg)

Le gérant parle d’un « cataclysme économique » pour le monde de la culture, alors même que Bercy a élargi son parapluie de mesures venant en aide aux entreprises en difficulté financière :

« L’allègement des charges patronales, c’est une chose, mais on ne verra le bout du tunnel que l’été prochain, et encore, ce n’est pas sûr… Chez Lagoona, on a de quoi tenir encore ainsi pendant six mois ! Comment expliquer qu’on mette 200 personnes dans un TGV mais pas dans une salle de spectacles ? »

Pour marquer le coup, le patron envisage désormais de « se montrer ». « Pourquoi pas en débarquant sur les Champs Élysées avec des flycases (malles de rangement, ndlr) vides ? », suggère-t-il. En septembre, le Synpase (Syndicat national des prestataires de l’audiovisuel scénique et évènementiel) a d’ailleurs organisé une action baptisée #alerterouge, visant à alerter les pouvoirs publics sur l’urgence de la situation (les professionnels du spectacle étaient invités à éclairer en rouge de grands monuments).

Le 3 septembre, le Premier ministre Jean Castex avait pourtant annoncé qu’un effort de 2 milliards d’euros serait fait pour la culture. Mais c’est loin d’être suffisant pour les professionnels. En France, le secteur de la culture pèse 2,3% du PIB, il compte 80 000 entreprises dont la plupart sont des TPE et des PME et fait vivre près de 670 000 personnes. « La ministre du Travail Elisabeth Borne a dit que nous étions des dommages collatéraux », s’agace Denis Fenninger. « Le problème, c’est que les petites entreprises sont vouées à disparaître et les grosses, à s’appauvrir ».


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