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Crises d’angoisses, malaises, tremblements : les témoignages du personnel éducatif à bout

Dans le cortège de la manifestation du personnel de l’Éducation nationale du 13 janvier, des enseignants, des surveillants, des directrices d’écoles et des accompagnants d’élèves en situation de handicap ont témoigné sur leurs conditions de travail. Ils se disent épuisés par les protocoles sanitaires et la charge de travail qui va avec, parfois au point d’éprouver leurs corps.

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Crises d’angoisses, malaises, tremblements : les témoignages du personnel éducatif à bout

« Je suis épuisée. C’est simple, ça ne peut pas continuer, c’est physiquement impossible », assure Mariam. Elle est assistante d’éducation (surveillante, ou AE), au lycée des Pontonniers. Impossible pour elle de louper la manifestation de ce 13 janvier. Le rassemblement est fixé devant l’inspection académique, avenue de la Forêt noire, par l’ensemble des syndicats de l’Éducation nationale (FSU, SGEN, UNSA, FO, CGT Éduc‘action, SNALC, SNE, SUD). L’objectif : dire stop aux protocoles sanitaires inapplicables et demander des moyens humains et matériels pour la protection de tous les personnels de l’éducation.

« J’ai fait des crises d’angoisse cette semaine »

Environ 1 200 personnes répondent à l’appel et s’apprêtent à marcher jusqu’au rectorat, près de la place des Halles. Dans le cortège, sous les pancartes et les drapeaux, les langues se délient. Mariam, la voix serrée, raconte son quotidien :

« Nous sommes deux assistantes d’éducation (AE) à temps plein, et une à temps partiel, pour 995 élèves. Une infirmière scolaire est présente un jour et demi par semaine. La charge de travail est monumentale. On gère les absences et le tracing, avec le protocole qui change régulièrement. Depuis le 3 janvier, on a eu 91 malades du Covid dans l’établissement. Je dois appeler tous les parents des élève cas contact, pour leur indiquer la démarche à suivre. On a fait un signalement au rectorat pour avoir un poste d’AE en plus, mais ça n’a pas été possible. Cette situation est affolante et on n’en voit pas le bout. J’ai fait des crises d’angoisse cette semaine, je tremblais et j’étais en pleurs. »

Mariam travaille 41h par semaine pour le salaire minimum. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Les accompagnants d’élèves en situation de handicap très exposés, sans matériel de protection

À quelques mètres de Mariam, Paule et Sandra, sont directrices d’écoles primaires à Uberach et Engwiller. Elles se confient aussi sur leurs conditions. Elles dénoncent une multitude de tâches supplémentaires liées aux directives sanitaires : « Nous devons contrôler les attestations sur l’honneur à l’entrée de l’école le matin, gérer les absences et le tracing », explique Sandra. Paule ajoute : « Nous n’avons pas assez de temps pour appeler tous les parents des cas contact comme le demande le ministère, c’est inapplicable. Alors nous envoyons un mail groupé. » Cette dernière explique travailler tous les week-ends et pendant les vacances : « Mon mari me dit que je dois changer de métier. Il me voit devant l’ordi en permanence. Malheureusement, il a raison, je n’en peux plus. »

Sandra (à gauche) et Paule (à droite), directrices d’école primaire toutes les deux, ont fait le déplacement depuis le nord de l’Alsace. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Julien est accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) dans une école strasbourgeoise. Il pointe du doigt le manque d’équipement de protection « qui peut avoir de lourdes conséquences » au vu de la nature de son travail :

« Toute la journée, je suis au contact des élèves. Certains ne peuvent pas porter de masques. Malgré cela, l’Éducation nationale ne nous transmet pas suffisamment de gel hydroalcoolique et de masques. Ceux que nous recevons sont en tissu. Je me suis fourni moi-même. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, ferait mieux de se soucier de notre sécurité, plutôt que de financer et d’inaugurer un colloque sur le « wokisme » qui cible les féministes, les antiracistes et les anticapitalistes. C’est indécent. »

« Tous au bord de l’implosion »

Sous le soleil d’hiver, le cortège avance doucement, au rythme de chansons écrites pour l’occasion. Des représentants de chaque syndicat tiennent la banderole de tête. Laure Trémolières, secrétaire départemental Unsa 67, se réjouit de la forte mobilisation du jour :

« Des AESH aux directeurs, en passant par les enseignants et les AE, on est tous au bord de l’implosion. Nous sommes environ 50% à suivre la grève. »

D’après le rectorat, le taux de grévistes dans l’académie de Strasbourg est de 36,83 % dans les écoles maternelles et élémentaires, ainsi que de 25,54% dans les collèges et de 15,19% dans les lycées. À l’échelle nationale, le gouvernement estime que 31% des enseignants ne sont pas allés travailler, avec, comme en Alsace, davantage de mobilisation dans les écoles primaires (38,48%). Un décompte qui tranche avec celui des syndicats, qui comptabilisent environ 75% de grévistes à l’école et 62% dans le secondaire. « Peu importe », balaye Isabelle, enseignante au Lycée Louis Couffignal : « Ils ne peuvent pas nier qu’on est là », lance celle qui est aussi syndiquée à la CGT. Elle se dit en permanence au bord du burn-out depuis plusieurs mois, à cause des cours à rattraper, loupés lors des fermetures de classes au rythme de l’épidémie :

« En plus, les élèves devront passer le bac dès mars après la dernière réforme. On gère en même temps le retard accumulé pendant la pandémie et les réformes. J’ai des élèves qui viennent en pleurs parce qu’ils se sentent dépassés. Les prises de décision sont absolument déconnectées du terrain. C’est flagrant. Moi j’ai fait un malaise pendant la première semaine de janvier. Je suis tombée dans les pommes au lycée. J’exerce ce métier par passion, et là, je ne le reconnais plus. Je resterai mobilisée tant qu’il n’y aura pas de réponse d’ampleur du ministère. »


#AESH

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